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Author Topic: Chemin de la Perfection  (Read 9598 times)

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Offline poche

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Chemin de la Perfection
« on: January 19, 2017, 04:10:26 AM »
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  • Les sœurs de ce monastère de Saint-Joseph d'Avila, sachant
    que le père Présenté-Dominique Bagnez, religieux, de l'ordre du
    glorieux saint Dominique, qui est à présent mon confesseur, m'a
    permis d'écrire de l'oraison, ont cru que je le pourrais faire utilement,
    à cause que j'ai traité sur ce sujet avec plusieurs personnes fort
    spirituelles et fort saintes, et elles m'ont tant pressée de leur en dire
    quelque chose, que j'ai résolu de leur obéir, parce que le grand amour
    qu'elles me portent leur fera mieux recevoir ce qui leur viendra de
    moi, quelque imparfait et mal écrit qu'il puisse être, que des livres
    dont le style est excellent, et qui ont été faits par des hommes fort
    savants en cette matière. Je mets ma confiance en leurs prières, qui
    pourront peut-être obtenir de Dieu que me donnant de quoi leur
    donner, je dirai quelque chose d'utile touchant la manière de vivre
    qui se pratique en cette maison. Que si je rencontre mal, le père
    Bagnez, qui sera le premier qui le verra, le corrigera ou le brûlera.
    Ainsi, je ne perdrai rien pour avoir obéi à ces servantes de Dieu, et
    elles connaîtront ce que je puis de moi-même lorsque sa grâce ne
    m'assiste pas.
    Mon dessein est d'enseigner les remèdes pour de légères
    tentations excitées par le démon, dont les personnes religieuses ne
    tiennent compte, à cause qu'elles ne les croient pas considérables, et
    de traiter aussi d'autres points, selon que Notre-Seigneur m'en
    donnera l'intelligence, et que je pourrai m'en souvenir ; car ne
    sachant ce que j'ai à dire, je ne saurais le dire par ordre, et je crois
    que c'est le meilleur de n'en point garder, puisque c'est déjà un si
    grand renversement de l'ordre que j'entreprenne. d'écrire sur un tel
    sujet.
    J'implore l'assistance de Dieu, afin que je me conformeentièrement à sa sainte volonté : c'est à quoi tendent tous mes désirs,
    encore que mes actions n'y répondent pas ; mais, au moins, je ne
    manque pas d'affection et d'ardeur pour aider de tout mon pouvoir
    mes chères sœurs à s'avancer de plus en plus dans le service de Dieu.
    Cet amour que j'ai pour elles étant joint à mon âge et à mon
    expérience de ce qui se passe dans quelques maisons religieuses, fera
    peut-être qu'en de petites choses je rencontrerai mieux que les
    savants, à cause qu'ayant d'autres occupations plus importantes, et
    étant des personnes fortes, ils ne tiennent pas grand compte de ces
    imperfections qui paraissent n'être rien en elles-mêmes, et ne
    considèrent pas que les femmes étant faibles, tout est capable de leur
    nuire ; joint aussi que les artifices dont le démon se sert contre les
    religieuses si étroitement renfermées sont en grand nombre, parce
    qu'il sait qu'il a besoin de nouvelles armes pour les combattre ; et
    comme je m'en suis si mal défendue, étant si mauvaise que je suis, je
    souhaiterais que mes sœurs profitassent de mes fautes.
    Je ne dirai rien que je n'aie reconnu par expérience, ou dans
    moi, ou dans les autres ; et quoique m'ayant été ordonné depuis peu
    de jours d'écrire une relation de ma vie, j'y aie aussi mis quelques
    avis touchant l'oraison, néanmoins, parce que mon confesseur ne
    voudra peut-être pas que vous la voyiez maintenant, j'en redirai ici
    quelque chose, et j'y en ajouterai d'autres qui me paraîtront
    nécessaires. Notre-Seigneur veuille, s'il lui plaît, m'assister, comme
    je l'en ai déjà prié, et faire réussir à sa plus grande gloire tout ce que
    j'écris.

    http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/carmel/theresedavila/Oeuvres%20par%20titre/Fran%E7ais/7%20Le%20Chemin%20de%20la%20perfection.pdf


    Offline poche

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    Chemin de la Perfection
    « Reply #1 on: January 20, 2017, 12:06:26 AM »
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  • CHAPITRE PREMIER.
    Dos raisons qui ont porté la Sainte à établir une observance si
    étroite dans le monastère de Saint-Joseph d'Avila.
    Lorsque l'on commença de fonder ce monastère, pour les
    raisons que j'ai écrites dans la relation de ma vie, et ensuite de
    quelques merveilles par lesquelles Notre-Seigneur fit connaître qu'il
    devait être beaucoup servi en cette maison, mon dessein n'était pas
    qu'on y pratiquât tant d'austérités extérieures, ni qu'elle fût sans
    revenu ; je désirais, au contraire, que, s'il était possible, rien n'y
    manquât de toutes les choses nécessaires, agissant en cela comme
    une personne lâche et imparfaite, quoique je fusse plutôt portée par
    une bonne intention que par le désir dune vie plus molle et plus
    relâchée.
    Ayant appris en ce même temps les troubles de France, le
    ravage qu'y faisaient les hérétiques, et combien cette malheureuse
    secte s'y fortifiait de jour en jour, j'en fus si vivement touchée, que,
    comme si j'eusse pu quelque chose, ou j'eusse moi-même été quelque
    chose, je pleurais en la présence de Dieu, et le priais de remédier à un
    si grand mal. Il me semblait que j'aurais donné mille vies pour sauver
    une seule de ce grand nombre d’âmes qui se perdaient dans ce
    royaume. Mais voyant que je n'étais qu'une femme, et encore si
    mauvaise et très-incapable de rendre à mon Dieu le service que je
    désirerais, je crus, comme je le crois encore, que, puisqu'il a tant
    d'ennemis et si peu d'amis, je devais travailler de tout mon pouvoir à
    faire que ces derniers fussent bons.
    Ainsi, je me résolus de faire ce qui dépendait de moi pour
    pratiquer les conseils évangéliques avec la grande perfection que je
    pourrais, et tâcher de porter ce petit nombre de religieuses qui sont
    ici à faire la même chose. Dans ce dessein, je me confiai en la grande
    bonté de Dieu, qui ne manque jamais d'assister ceux qui renoncent à
    tout pour l'amour de lui ; j'espérai que ces bonnes filles étant telles
    que mon désir se les figurait, mes défauts seraient couverts par leurs
    vertus, et je crus que nous pourrions contenter Dieu en quelque
    chose, en nous occupant toutes à prier pour les prédicateurs, pour les
    défenseurs de l'Église et pour les hommes savants qui soutiennent sa
    querelle, puisque ainsi nous ferions ce qui serait en notre puissance
    pour secourir notre maître, que ces traîtres, qui lui sont redevables de
    tant de bienfaits, traitent avec une telle indignité, qu'il semble qu'ils
    le voudraient crucifier encore, et ne lui laisser aucun lieu où il puisse
    reposer sa tête.« O mon Rédempteur ! comment puis-je entrer dans ce
    discours, sans me sentir déchirer le cœur ? Quels sont maintenant les
    chrétiens ? Faut-il que vous n'ayez point de plus grands ennemis que
    ceux que vous choisissez pour vos amis, que vous comblez de
    faveurs, parmi lesquels vous vivez et à qui vous vous communiquez
    par les sacrements ? Et ne se contentent-ils pas de tant de tourments
    que vous avez soufferts pour l'amour d'eux ? Certes, mon Dieu, celui
    qui quitte aujourd'hui ne quitte rien ; car que pouvons-nous attendre
    des hommes, puisqu'ils ont si peu de fidélité pour vous-même ?
    Méritons-nous qu'ils ils en aient davantage pour nous que pour
    vous ? et leur avons-nous fait plus de bien que vous ne leur en avez
    fait, pour espérer qu'ils nous aiment plus qu'ils ne vous aiment ? »
    Que pouvons-nous donc attendre du monde, nous qui, par la
    miséricorde de Dieu, avons été tirés du milieu de cet air si contagieux
    et si mortel ? Car qui peut douter que ces personnes ne soient déjà
    sous la puissance du démon ? Elles sont dignes de ce châtiment,
    puisque leurs œuvres l'ont mérité ; et il est bien raisonnable que leurs
    délices et leurs faux plaisirs aient pour récompense un feu éternel.
    Qu'ils jouissent donc, puisqu'ils le veulent, de ce fruit malheureux de
    leurs actions. J'avoue toutefois que je ne puis voir tant d’âmes se
    perdre, sans en être navrée de douleur. Je sais que, pour celles qui
    sont déjà perdues, il n'y a plus de remède ; mais je souhaiterais qu'au
    moins il ne s'en perdit pas davantage.
    O mes filles en Jésus-Christ, aidez-moi à prier Notre-Seigneur
    de vouloir remédier à un si grand mal : c'est pour ce sujet que nous
    sommes ici assemblées ; c'est l'objet de notre vocation, le juste sujet
    de nos larmes, c'est à quoi nous devons nous occuper, c'est où
    doivent tendre tous nos désirs, c'est ce que nous devons sans cesse
    demander à Dieu, et non pas nous employer à ce qui regarde les
    affaires séculières ; car, je confesse que je me ris, ou plutôt je
    m'afflige de voir ce que quelques personnes viennent recommander
    avec tant d'instances à nos prières, jusqu'à désirer même que nous
    demandions pour eux à Dieu de l'argent et des revenus ; au lieu que
    je voudrais, au contraire, le prier de leur faire fouler aux pieds toutes
    ces choses. Je veux croire que leur intention n'est pas mauvaise, et on
    se laisse aller à ce qu'ils souhaitent ; mais je tiens pour certain que
    Dieu ne m'exauce jamais en de semblables occasions. Toute la
    chrétienté est en feu ; ces malheureux hérétiques veulent, pour le dire
    ainsi, condamner une seconde fois Jésus-Christ, puisqu'ils suscitent
    contre lui mille faux témoins, et travaillent à renverser son Église ; et
    nous perdrons le temps en des demandes qui, si Dieu nous les
    accordait, ne serviraient peut-être qu'à fermer à une âme la porte du
    ciel ! Non, certes, mes sœurs, ce n'est pas ici le temps de traiter avec
    Dieu pour des affaires si peu importantes ; et s'il ne fallait avoir
    quelque égard à la faiblesse des hommes, qui cherchent en tout de la
    consolation, qu'il serait bon de leur donner si nous le pouvions, je
    serais fort aise que chacun sût que ce n'est pas pour de semblables
    intérêts que l'on doit prier Dieu avec tant d'ardeur dans le monastère
    de Saint-Joseph d'Avila.


    http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/carmel/theresedavila/Oeuvres%20par%20titre/Fran%E7ais/7%20Le%20Chemin%20de%20la%20perfection.pdf


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    Chemin de la Perfection
    « Reply #2 on: January 21, 2017, 12:11:09 AM »
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  • CHAPITRE II.
    Que les religieuses ne doivent point se mettre en peine de leurs
    besoins temporels. Des avantages qui se rencontrent dans la pauvreté.
    Contre les grand bâtiments.
    Ne vous imaginez pas, mes sœurs, que pour manquer à
    contenter les gens du monde, il vous manque de quoi vivre. Ne
    prétendez jamais faire subsister votre maison par des inventions et
    des adresses humaines ; autrement vous mourrez de faim, et avec
    raison. Jetez seulement les yeux sur votre divin époux, puisque c'est
    lui qui doit vous nourrir. Pourvu que vous le contentiez, ceux même
    qui vous sont les moins affectionnés vous donneront de quoi vivre,
    encore qu'ils ne le voulussent pas, ainsi que vous l'avez reconnu par
    expérience. Mais quand vous mourriez de faim en vous conduisant
    de la sorte, oh ! que bienheureuses seraient les religieuses de SaintJoseph
    ! Je vous conjure, au nom de Dieu, de graver ces paroles dans
    votre mémoire ; et, puisque vous avez renoncé à avoir du revenu,
    renoncez aussi au soin de ce qui regarde votre nourriture, si vous ne
    le faites, vous êtes perdues.
    Que ceux à qui Notre-Seigneur permet d'avoir du revenu
    prennent ces sortes de soins, à la bonne heure, puisqu'ils le peuvent
    sans contrevenir à leur vocation. Quant à nous, mes filles, il y aurait
    de la folie ; car ne serait-ce pas porter ses pensées sur ce qui
    appartient aux autres, que de penser à ses revenus ? Et vos soins
    inspireraient-ils aux personnes une volonté qu'ils n'ont point, pour les
    engager à vous faire des charités ? Remettez-vous de ce soin à celui
    qui domine sur le cœur, et qui n'est pas moins le maître des richesses
    que des riches. C'est par son ordre que nous sommes venues ici ; ses
    paroles sont véritables, sont infaillibles, et le ciel et la terre passeront
    plutôt qu'elles manquent de s'accomplir.
    Prenons garde seulement de ne pas manquer à ce que nous lui
    devons, et ne craignez point qu'il manque à ce qu'il nous a promis.
    Mais quand cela arriverait, ce serait sans doute pour notre avantage,
    de même que la gloire des saints s'est augmentée par le martyre. Oh !
    que ce serait un heureux échange de mourir bientôt, faute d'avoir de
    quoi vivre, pour jouir d'autant plus tôt d'une vie et d'un bonheur qui
    ne finiront jamais !
    Pesez bien, je vous prie, mes sœurs, l'importance de cet avis
    que je vous laisse par écrit, afin que vous vous en souveniez après
    ma mort ; car tant que je serai au monde, je ne manquerai pas de
    vous en renouveler souvent la mémoire, à cause que je sais par
    expérience l'avantage qu'il y a de le pratiquer. Moins nous avons,
    moins j'ai de soin ; et Notre-Seigneur sait qu'il est très-vrai que la
    nécessité ne me donne pas tant de peine que l'abondance, si je puis
    dire avoir éprouvé de la nécessité, vu la promptitude avec laquelle il
    a toujours plu à Dieu de nous secourir.
    Que si nous en usions autrement, ne serait-ce pas tromper le
    monde, puisque voulant passer pour pauvres, il se trouverait que
    nous ne le serions pas d'affection, mais seulement en apparence ?
    J'avoue que j'en aurais du scrupule, parce qu'il me semble que nous
    serions comme des riches qui demanderaient l'aumône ; et Dieu nous
    garde que cela soit. Après s'être laissé aller une ou deux fois à ces
    soins excessifs de recevoir des charités, ils se tourneraient enfin en
    coutume, et il pourrait arriver que nous demandassions ce qui ne
    nous serait pas nécessaire à des personnes qui en auraient plus besoin
    que nous. Il est vrai qu'elles pourraient gagner en nous les donnant ;
    mais nous y perdrions sans doute beaucoup.
    DES AVANTAGES DE LA PAUVRETÉ.
    Dieu ne permette pas, s'il lui plaît, mes filles, que vous tombiez
    dans cette faute ; et si cela devait être, j'aimerais encore mieux que
    vous eussiez du revenu. Je vous demande en aumône, et pour l'amour
    de Notre-Seigneur, qu'une pensée si dangereuse n'entre jamais dans
    votre esprit. Mais si ce malheur arrivait en cette maison, celle-là
    même qui serait la moindre de toutes les sœurs, devrait pousser des
    cris vers le ciel, et représenter avec humilité à sa supérieure que cette
    faute est si importante, qu'elle ruinerait peu à peu la véritable
    pauvreté. J'espère, avec la grâce de Dieu, que cela ne sera point ; qu'il
    n'abandonnera pas ses servantes ; et que, quand ce que j'écris pour
    satisfaire à votre désir ne serait utile à autre chose, il servira au moins
    à vous réveiller, si vous tombiez en ceci dans la négligence. Croyez,
    je vous prie, mes filles, que Dieu a permis pour votre bien que j'eusse
    quelque intelligence des avantages qui se rencontrent dans la sainte
    pauvreté. Ceux qui la pratiqueront la comprendront, mais non pas
    peut-être autant que moi, parce qu'au lieu d'être pauvre d'esprit,
    comme j'avais fait vœu de l'être, j'ai été longtemps folle d'esprit ; et
    ainsi, plus j'ai été privée d'un si grand bien, plus j'ai reconnu par
    expérience que c'est un extrême bonheur à une âme de le posséder.
    Cette heureuse pauvreté est un si grand bien, qu'il renferme
    tous les biens du monde. Oui, je le redis encore, il renferme tous les
    biens du monde, puisque mépriser le monde, c'est être le maître du
    monde. Car, que me soucierai-je d'avoir la faveur des grands et des
    princes, si je ne voulais ni avoir leurs biens, ni jouir de leurs délices,
    et que je serais très-fâchée de rien faire pour leur plaire qui pût
    déplaire à Dieu en la moindre chose ? Comment pourrais-je désirer
    aussi leurs vains honneurs, sachant que le plus grand honneur d'un
    pauvre consiste à être pauvre véritablement ? Je tiens que les
    honneurs et les richesses vont presque toujours de compagnie ; et
    celui qui aime l'honneur ne saurait haïr les richesses, et celui qui
    méprise les richesses ne se soucie guère de l'honneur.
    Comprenez bien ceci, je vous prie ; pour moi, il me semble que
    l'honneur est toujours suivi de quelque intérêt de bien ; car il arrive
    très-rarement qu'une personne pauvre soit honorée dans le monde,
    quoique sa vertu la rende digne de l'être, et l'on en tient au contraire
    fort peu de compte. Mais quant à la véritable pauvreté, elle est
    accompagnée d'un certain honneur, qui fait qu'elle n'est à charge à
    personne. J'entends par cette pauvreté celle que l'on souffre
    seulement pour l'amour de Dieu, laquelle ne se met en peine de
    contenter que lui seul ; et l'on ne manque jamais d'avoir beaucoup
    d'amis, lorsqu'on n'a besoin de personne ; je le sais par expérience.
    Mais, comme l'on a déjà écrit de cette vertu tant de choses
    excellentes que je n'ai garde de pouvoir exprimer par mes paroles,
    puisque je n'ai pas assez de lumière pour les bien comprendre, outre
    que je craindrais d'en diminuer le prix en entreprenant de la louer, je
    me contenterai de ce que j'ai dit en avoir éprouvé ; et j'avoue que
    jusqu'ici je me suis trouvée de telle sorte, comme hors de moi, que je
    ne me suis pas entendue moi-même ; mais que ce que j'ai dit demeure
    dit pour l'amour de Notre-Seigneur.
    Puis donc, mes filles, que nos armes sont la sainte pauvreté, et
    que ceux qui le doivent bien savoir, m'ont appris que les saints Pères
    qui ont été les fondateurs de notre ordre, l'ont, dès le commencement,
    tant estimée et si exactement pratiquée, qu'ils ne gardaient rien d'un
    jour à l'autre : si nous ne les pouvons imiter dans l'extérieur en la
    pratiquant avec la même perfection, tâchons au moins de les imiter
    dans l'intérieur.
    Nous n'avons que deux heures à vivre : la récompense qui nous
    attend est très-grande ; et quand il n'y en aurait point d'autre que de
    faire ce que Notre-Seigneur nous conseille, ne serions-nous pas assez
    bien récompensées par le bonheur d'avoir imité en quelque chose
    notre divin maître ?
    Je le dis encore : ce sont là les armes qui doivent paraître dans
    nos enseignes ; et il n'y a rien en quoi nous ne devions témoigner
    notre amour pour la pauvreté, dans nos logements, dans nos habits,
    dans nos paroles, et par-dessus tout, dans nos pensées. Tant que vous
    tiendrez cette conduite, ne craignez point qu'avec la grâce de Dieu,
    l'observance soit bannie de cette maison. Car, comme disait sainte
    Claire, la pauvreté est un grand mur, et elle ajoutait qu'elle voulait
    s'en servir et de celui de l'humilité, pour enfermer ses monastères. Il
    est certain que, si on pratique véritablement cette sainte pauvreté, la
    continence et toutes les autres vertus se trouveront beaucoup mieux
    soutenues et plus fortifiées par elle que par de somptueux édifices.
    CONTRE LES BÂTIMENTS MAGNIFIQUES.
    Je conjure, au nom de Jésus-Christ et de son précieux, sang,
    celles qui viendront après nous, de bien se garder de faire de ces
    bâtiments superbes ; et si c'est une prière que je puisse faire en
    conscience, je prie Dieu que, si elles se laissent emporter à un tel
    excès, ces bâtiments tombent sur leur tête et qu'ils les écrasent toutes.
    Car, mes filles, quelle apparence y aurait-il de bâtir de grandes
    maisons du bien des pauvres ? Mais Dieu ne permette pas, s'il lui
    plaît, que nous ayons rien que de vil et de pauvre. Imitons en quelque
    sorte notre roi : il n'a eu pour maison que la grotte de Bethléem où il
    est né, et la croix où il est mort. Étaient-ce là des demeures fort
    agréables ? Quant à ceux qui font de grands bâtiments, ils en savent
    les raisons, et ils peuvent avoir des intentions saintes que je ne sais
    pas ; mais le moindre petit coin peut suffire à treize pauvres
    religieuses.
    Que si, à cause de l'étroite clôture, on a besoin de quelque
    enclos pour y faire des ermitages, afin d'y prier séparément, cela
    pouvant sans doute aider à l'oraison et à la dévotion, j'y consens, à la
    bonne heure ; mais quant à de grands bâtiments, et à avoir rien de
    curieux, Dieu nous en garde par sa grâce. Ayez continuellement
    devant les yeux que tous les édifices du monde tomberont au jour du
    jugement, et que nous ignorons si ce jour est proche. Or quelle
    apparence y aurait-il que la maison de treize pauvres filles ne pût
    tomber sans faire un grand bruit ? Les vrais pauvres doivent-ils en
    faire ? et aurait-on compassion d'eux s'ils en faisaient ?
    Quelle joie vous serait-ce, mes sœurs, si vous voyiez quelqu'un
    être délivré de l'enfer par l'aumône qu'il vous aurait faite, car cela
    n'est pas impossible ! Vous êtes donc obligées de beaucoup prier
    pour ceux qui vous donnent de quoi vivre, puisque, encore que
    l'aumône vous vienne de la part de Dieu, il veut que vous en sachiez
    gré à ceux par qui il vous la donne et vous ne devez jamais y
    manquer.
    Je ne sais ce que j'avais commencé de dire, parce que j'ai fait
    une grande digression ; mais je crois que Notre-Seigneur l'a permis,
    puisque je n'avais jamais pensé à écrire ce que je viens de vous dire.
    Je prie sa divine majesté de nous tenir toujours par la main afin que
    nous ne l'abandonnions jamais.

    http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/carmel/theresedavila/Oeuvres%20par%20titre/Fran%E7ais/7%20Le%20Chemin%20de%20la%20perfection.pdf

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    « Reply #3 on: January 25, 2017, 12:18:11 AM »
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  • CHAPITRE III.
    La Sainte exhorte ses religieuses à prier continuellement Dieu pour
    ceux qui travaillent pour l'église. Combien ils doivent être parfaits.
    Prières de la Sainte à Dieu pour eux.
    Pour retourner au principal sujet qui nous a assemblées en cette
    maison, et pour lequel je souhaiterais que nous pussions faire
    quelque chose qui fût agréable à Dieu, je dis que, voyant que
    l'hérésie qui s'est élevée en ce siècle est comme un feu dévorant qui
    fait toujours de nouveaux progrès, et que le pouvoir des hommes
    n'est pas capable de l'arrêter, il me semble que nous devons agir
    comme ferait un prince qui, voyant que ses ennemis ravageraient tout
    son pays et qu'il ne serait pas assez fort pour leur résister en
    campagne, se retirerait avec quelques troupes choisies dans une place
    qu'il ferait extrêmement fortifier, d'où il ferait avec ce petit nombre
    des sorties sur eux, qui les incommoderaient beaucoup plus que ne
    pourraient faire de grandes troupes mal aguerries ; car il arrive
    souvent que par ce moyen on demeure victorieux, et au pis aller on
    ne saurait périr que par la famine, puisqu'il n'y a point de traitres
    parmi ces gens-là. Or ici, mes sœurs, la famine peut bien nous
    presser, mais non pas nous contraindre de nous rendre ; elle peut bien
    nous faire mourir, mais non pas nous vaincre.
    Or pourquoi vous dis-je ceci ? C'est pour vous faire connaître
    que ce que nous devons demander à Dieu est qu'il ne permette pas
    que, dans cette place où les bons chrétiens se sont retirés, il s'en
    trouve qui s'aillent jeter du côté des ennemis, mais qu'il fortifie la
    vertu et le courage des prédicateurs et des théologiens, qui sont
    comme les chefs de ces troupes, et fasse que les religieux, qui
    composent le plus grand nombre de ces soldats, s'avancent de jour en
    jour dans la perfection que demande une vocation si sainte ; car cela
    importe de tout, parce que c'est des forces ecclésiastiques et non pas
    des séculières que nous devons attendre notre secours.
    Puisque nous sommes incapables de rendre dans cette occasion
    du service à notre roi, efforçons-nous au moins d'être telles que nos
    prières puissent aider ceux de ses serviteurs qui, n'ayant pas moins de
    doctrine que de vertu, travaillent avec tant de courage pour son
    service. Que si vous me demandez pourquoi j'insiste tant sur ce sujet
    et vous exhorte d'assister ceux qui sont beaucoup meilleurs que nous,
    je réponds que c'est parce que je crois que vous ne comprenez pas
    encore assez quelle est l'obligation que vous avez à Dieu de vous
    avoir conduites en un lieu où vous êtes affranchies des affaires, des
    engagements et des conversations du monde. Cette faveur est bien
    plus grande que vous ne le sauriez croire, et ceux dont je vous parle
    sont bien éloignés d'en jouir : il ne serait pas même à propos qu'ils en
    jouissent, principalement en ce temps, puisque c'est à eux de fortifier
    les faibles et d'encourager les timides ; car à quoi seraient bons des
    soldats qui manqueraient de capitaine ? Il faut donc qu'ils vivent
    parmi les hommes, qu'ils conversent avec les hommes, et qu'entrant
    dans les palais des grands et des rois, ils y paraissent quelquefois,
    pour ce qui est de l'extérieur, semblables aux autres hommes.
    QU'IL N'APPARTIENT QU'AUX PARFAITS DE SERVIR L'ÉGLISE.
    Or pensez-vous, mes filles, qu'il faille peu de vertu pour vivre
    dans le monde, pour traiter avec le monde et pour s'engager dans les
    affaires du monde ? Pensez-vous qu'il faille peu de vertu pour
    converser avec le monde et pour être en même temps dans son cœur ;
    non-seulement éloigné du monde, mais aussi ennemi du monde, pour
    vivre sur la terre comme dans un lieu de bannissement, et enfin pour
    être des anges et non pas des hommes ? Car, s'ils ne sont tels, ils ne
    méritent pas de porter le nom de capitaines, et je prie Notre-Seigneur
    de ne pas permettre qu'ils sortent de leurs cellules. Ils feraient
    beaucoup plus de mal que de bien, puisque ce n'est pas maintenant le
    temps de voir des défauts en ceux qui doivent enseigner les autres ; et
    que s'ils ne sont bien affermis dans la piété, et fortement persuadés
    combien il importe de fouler aux pieds tous les intérêts de la terre, et
    de se détacher de toutes les choses périssables pour s'attacher
    seulement aux éternelles, ils ne sauraient empêcher que l'on ne
    découvre leurs défauts, quelque soin qu'ils prennent de les cacher.
    Comme c'est avec le monde qu'ils traitent, ils peuvent s'assurer qu'il
    ne leur pardonnera pas, mais qu'il remarquera jusques à leurs
    moindres imperfections, sans s'arrêter à ce qu'ils auront de bon, ni
    peut-être même sans le croire.
    J'admire qui peut apprendre à ces personnes du monde ce que
    c'est que la perfection ; car ils la connaissent, non pour la suivre,
    puisqu'ils ne s'y croient point obligés, et s'imaginent que c'est assez
    d'observer les simples commandements, mais pour employer cette
    connaissance à examiner et à condamner jusqu'aux moindres défauts
    des autres. Quelquefois même ils raffinent de telle sorte qu'ils
    prennent pour une imperfection et pour un relâchement ce qui est en
    effet une vertu. Vous imaginez-vous donc que les serviteurs de Dieu
    n'aient pas besoin qu'il les favorise d'une assistance tout
    extraordinaire pour s'engager dans un si grand et si périlleux
    combat ?
    Tâchez, je vous prie, mes sœurs, de vous rendre telles que vous
    méritiez d'obtenir ces deux choses de sa divine majesté : la première,
    que parmi tant de personnes savantes et tant de religieuses, il s'en
    trouve plusieurs qui aient les conditions que j'ai dit nécessaires pour
    travailler à ce grand ouvrage, et qu'il lui plaise d'en rendre capables
    ceux qui ne le sont pas encore assez, puisqu'un seul homme parfait
    rendra plus de service qu'un grand nombre d'imparfaits ; la seconde,
    que lorsqu'ils sont engagés dans une guerre si importante, NotreSeigneur
    les soutienne par sa main toute-puissante, afin qu'ils ne
    succombent pas dans les périls continuels où l'on est exposé dans le
    monde ; mais qu'ils bouchent leurs oreilles aux chants des sirènes qui
    se rencontrent sur une mer dangereuse. Que si, dans l'étroite clôture
    où nous sommes, nous pouvons par nos prières contribuer pour
    quelque chose à ce grand dessein, nous aurons aussi combattu pour
    Dieu, et je m'estimerai avoir très-bien employé les travaux que j'ai
    soufferts pour établir cette petite maison, où je prétends que l'on
    garde la règle de la sainte Vierge, notre reine, avec la même
    perfection qu'elle se pratiquait au commencement.
    Ne croyez pas, mes filles, qu'il soit inutile de faire sans cesse
    cette prière, quoique plusieurs pensent que c'est une chose bien rude
    de ne prier pas beaucoup pour soi-même ; croyez-moi, nulle prière
    n'est meilleure et plus utile. Que si vous craignez qu'elle ne serve pas
    à diminuer les peines que vous devez souffrir dans le purgatoire, je
    vous réponds qu'elle est trop sainte pour n'y pas servir ; mais quand
    vous y perdriez quelque chose en votre particulier, à la bonne heure.
    Et que m'importe quand je demeurerais jusqu'au jour du jugement en
    purgatoire, si je pouvais, par mes oraisons, être cause du salut d'une
    âme, et, à plus forte raison, si je pouvais servir à plusieurs et à la
    gloire de Notre-Seigneur ? Méprisez, mes sœurs, des peines qui ne
    sont que passagères, lorsqu'il s'agit de rendre un service beaucoup
    plus considérable à celui qui a tant souffert pour l'amour de nous.
    Tâchez à vous instruire sans cesse de ce qui est le plus parfait,
    puisque pour les raisons que je vous dirai ensuite, j'ai à vous prier
    instamment de traiter toujours de ce qui regarde votre salut avec des
    personnes doctes et capables. Je vous conjure, au nom de Dieu, de lui
    demander qu'il nous accorde cette grâce, ainsi que je le lui demande,
    toute misérable que je suis, parce qu'il y va de sa gloire et du bien de
    son église, qui sont le but de tous mes désirs.
    PRIÈRE À DIEU.
    « J'avoue que ce serait une grande témérité à moi de croire que
    je pusse contribuer pour quelque-chose, afin d'obtenir une telle
    grâce ; mais je me confie, mon Dieu, aux prières de vos servantes,
    avec qui je suis, parce que je sais qu'elles n'ont autre dessein ni autre
    prétention que de vous plaire. Elles ont quitté, pour l'amour de vous,
    le peu qu'elles possédaient, et auraient voulu quitter davantage pour
    vous servir. Comment pourrais-je donc croire, ô mon Créateur,
    qu'étant aussi reconnaissant que vous êtes, vous rejetassiez leurs
    demandes ? Je sais que, lorsque vous étiez sur la terre, non-seulement
    vous n'avez point eu de mépris pour notre sexe, mais vous avez
    même répandu vos faveurs sur plusieurs femmes avec une bonté
    admirable. Quand nous vous demanderons de l'honneur ou de
    l'argent, ou du revenu, ou quelqu'une de ces autres choses que l'on
    recherche dans le monde, alors ne nous écoutez point. Mais pourquoi
    n'écouteriez-vous pas, ô Père éternel, celles qui ne vous demandent
    que ce qui regarde la gloire de votre Fils, qui mettent toute la leur à
    vous servir, et qui donneraient pour vous mille vies ? Je ne prétends
    pas néanmoins, Seigneur, que vous accordiez cette grâce pour
    l'amour de nous, je sais que nous ne la méritons pas, mais j'espère de
    l'obtenir en considération du sang et des mérites de votre Fils.
    Pourriez-vous bien, ô Dieu tout-puissant, oublier tant d'injures, tant
    d'outrages et tant de tourments qu'il a soufferts ? Et vos entrailles
    paternelles, toutes brûlantes d'amour, pourraient-elles bien permettre
    que ce que son amour a fait pour vous plaire en vous aimant, comme
    vous lui aviez ordonné, soit aussi méprisé qu'il l'est aujourd'hui, dans
    le très-saint Sacrement de l’Eucharistie, par ces malheureux
    hérétiques qui le chassent de chez lui en abattant les églises où on
    l'adore ? Que s'il avait manqué à quelque chose de ce qui était le plus
    capable de vous contenter, n'a-t-il pas accompli parfaitement tout ce
    qui pouvait vous être agréable ?Ne suffit-il pas, mon Dieu, que,
    durant qu'il a été dans le monde, il n'ait pas eu où pouvoir reposer sa
    tête, et qu'il ait été accablé par tant de souffrances, sans qu'on lui
    ravisse maintenant les maisons où il reçoit ses amis, et où,
    connaissant leur faiblesse, il les nourrit et les fortifie par cette viande
    toute divine, pour les rendre capables de soutenir les travaux où ils se
    trouvent engagés pour votre service ? N'a-t-il pas suffisamment
    satisfait par sa mort au péché d'Adam ? Et faut-il donc que toutes les
    fois que nous péchons, ce très-doux et très-charitable agneau
    satisfasse encore pour nos offenses ? Ne le permettez pas, ô
    souverain monarque de l'univers ; apaisez votre colère ; détournez les
    yeux de nos crimes ; considérez le sang que votre divin Fils a
    répandu pour nous racheter ; ayez seulement égard à ses mérites et à
    ceux de la glorieuse Vierge sa mère, des martyrs et de tous les saints
    qui ont donné leur vie pour votre service. Mais hélas ! mon Seigneur,
    qui suis-je pour oser, au nom de tous, vous présenter cette requête ?
    Ah ! mes filles, quelle mauvaise médiatrice pour faire une telle
    demande pour vous et pour l'obtenir ! Ma témérité ne servira-t-elle
    pas plutôt d'un sujet très-juste pour augmenter l'indignation de ce
    redoutable et souverain juge dont j'implore la clémence ? Mais,
    Seigneur, puisque vous êtes un Dieu de miséricorde, ayez pitié de
    cette pauvre pécheresse, de ce ver de terre, et pardonnez à ma
    hardiesse. Ne considérez pas mes péchés, considérez plutôt mes
    désirs et mes larmes que je répands en vous faisant cette prière : Je
    vous en conjure par vous-même, ayez pitié de tant d'âmes qui se
    perdent ; secourez, Seigneur, votre Église ; arrêtez le cours de tant de
    maux qui affligent la chrétienté et faites luire votre lumière parmi ces
    ténèbres. »
    Je vous demande, mes sœurs, pour l'amour de Jésus-Christ et
    comme une chose à quoi vous êtes obligées, de prier sa divine
    majesté pour cette pauvre et trop hardie pécheresse qui vous parle,
    afin qu'il lui plaise de me donner l'humilité qui m'est nécessaire.
    Quant aux rois et aux prélats de l'Église, et particulièrement notre
    évêque, je ne vous les recommande point, parce que je vous vois si
    soigneuses de prier pour eux, que je ne crois pas qu'il en soit besoin.
    Mais, puisqu'on peut dire que celles qui viendront après nous seront
    saintes, si elles ont un saint évêque, comme cette grâce est si
    importante, demandez-la sans cesse à Notre-Seigneur. Que si vos
    désirs, vos oraisons, vos disciplines et vos jeûnes ne s'emploient pour
    de tels sujets et les autres dont je vous ai parlé, sachez que vous ne
    tendez point à la fin pour laquelle Dieu nous a ici assemblées.

    http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/carmel/theresedavila/Oeuvres%20par%20titre/Fran%E7ais/7%20Le%20Chemin%20de%20la%20perfection.pdf

    Offline poche

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    Chemin de la Perfection
    « Reply #4 on: January 27, 2017, 01:25:09 AM »
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  • CHAPITRE IV.
    La Sainte exhorte ses religieuses à l'observation de leur règle. Que
    les religieuses doivent s'entr'aimer, et éviter avec grand soin toutes
    singularités et partialités. De quelle manière on doit s'aimer. Des
    confesseurs, et qu'il en faut changer, lorsqu'on remarque en eux de la
    vanité.
    DE L'OBSERVATION DE LA RÈGLE.
    Vous venez de voir, mes filles, combien grande est l'entreprise
    que nous prétendons exécuter ; car quelles devons-nous être pour ne
    point passer pour téméraires au jugement de Dieu et des hommes ? II
    est évident qu'il faut pour cela beaucoup travailler, et qu'il est besoin
    pour y réussir d'élever fort haut nos pensées, afin de faire de si
    grands efforts que nos œuvres y répondent ; car il y a sujet d'espérer
    que Notre-Seigneur exaucera nos prières, pourvu que nous
    n'oubliions rien de ce qui peut dépendre de nous pour observer
    exactement nos constitutions et notre règle. Je ne vous impose rien
    de nouveau, mes filles, je vous demande seulement d'observer les
    choses auxquelles votre vocation et votre profession vous obligent,
    quoiqu'il y ait grande différence entre les diverses manières dont on
    s'en acquitte.
    La première règle nous ordonne de prier sans cesse, et comme
    ce précepte renferme le plus important de nos devoirs, si nous
    l'observons exactement, nous ne manquerons ni aux jeûnes, ni aux
    disciplines, ni au silence, auxquels notre institut nous oblige, puisque
    vous savez que toutes ces choses contribuent à la perfection de
    l'oraison, et que les délicatesses et la prière ne s'accordent point
    ensemble.
    Vous avez désiré que je vous parle de l'oraison, et moi je vous
    demande, pour récompense de ce que je vais dire, non-seulement de
    le lire fort souvent, avec beaucoup d'attention, mais aussi de
    pratiquer ce que je vous ai déjà dit.
    Avant que d'en venir à l'intérieur, qui est l'oraison, je vous dirai
    certaines choses si nécessaires à ceux qui prétendent marcher dans ce
    chemin que, pourvu qu'ils les pratiquent, ils pourront s'avancer
    beaucoup dans le service de Dieu, quoiqu'ils ne soient pas fort
    contemplatifs ; au lieu que sans cela, non-seulement il est impossible
    qu'ils le deviennent, mais ils se trouveront trompés s'ils croient l'être.
    Je prie Notre-Seigneur de me donner l'assistance dont j'ai besoin et
    de m'enseigner ce que j'ai à dire, afin qu'il réussisse à sa gloire.
    Ne croyez pas, mes chères sœurs, que les choses auxquelles je
    prétends vous engager, soient en grand nombre. Nous serons trop
    heureuses, si nous accomplissons celles que nos saints pères ont
    ordonnées et pratiquées, puisqu'en marchant par ce chemin, ils ont
    mérité le nom de saints, et que ce serait s'égarer de tenir une autre
    route, ou de chercher d'autres guides pour nous conduire. Je
    m'étendrai seulement sur trois choses portées par nos constitutions,
    parce qu'il nous importe extrêmement de comprendre combien il
    nous est avantageux de les garder, pour jouir de cette paix extérieure
    et intérieure que Jésus-Christ nous a tant recommandée. La première
    est un amour sincère des unes envers les antres ; la seconde, un entier
    détachement de toutes les choses créées ; et la troisième, une
    véritable humilité, qui, bien que je la nomme la dernière, est la
    principale de toutes et embrasse les deux antres.
    DE QUELLE MANIÈRE LES RELIGIEUSES SE DOIVENT AIMER.
    Quant à la première, qui est de nous entr'aimer, elle est d'une
    grande conséquence, parce qu'il n'y a rien de si difficile à supporter
    qui ne paraisse facile à ceux qui s'aiment, et qu'il faudrait qu'une
    chose fût merveilleusement rude pour leur pouvoir donner de la
    peine. Que si ce commandement s'observait avec grand soin dans le
    monde, je crois qu'il servirait beaucoup pour en faire garder d'autres ;
    mais comme nous y manquons toujours en aimant trop ce qui doit
    être moins aimé, ou trop peu ce qui doit l'être davantage, nous ne
    l'accomplissons jamais parfaitement.
    Il y en a qui s'imaginent que, parmi nous, l'excès ne peut en
    cela être dangereux ; il est néanmoins si préjudiciable et apporte tant
    d'imperfections avec lui, que j'estime qu'il n'y a que ceux qui l'ont
    remarqué de leurs propres yeux, qui le puissent croire ; car le démon
    s'en sert comme d'un piège si imperceptible à ceux qui se contentent
    de servir Dieu imparfaitement, que cette grande affectation passe
    dans leur esprit pour une vertu. Mais ceux qui aspirent à la perfection
    en connaissent le danger, et savent que cette affection mal réglée
    affaiblit peu à peu la volonté, et l'empêche de s'employer entièrement
    à aimer Dieu. Ce défaut se rencontre encore plutôt, à mon avis, chez
    les femmes que chez les hommes, et cause un dommage visible à
    toute la communauté, parce qu'il arrive de là que l'on n'aime pas
    également toutes les sœurs, que l'on sent le déplaisir qui est fait à son
    amie, que l'on désire d'avoir quelque chose pour lui donner, que l'on
    cherche l'occasion de lui parler, sans avoir le plus souvent rien à lui
    dire, sinon qu'on l'aime, et autres choses impertinentes, plutôt que de
    lui parler de l'amour que l'on doit avoir pour Dieu. Il arrive même si
    peu souvent que ces grandes amitiés aient pour fin de s'entr'aider à
    l'aimer, que je crois que le démon les fait naître pour former des
    ligues et des factions dans les monastères ; car quand on ne s'aime
    que pour servir sa divine majesté, les effets le font bientôt connaître,
    en ce qu'au lieu que les autres s'entr'aiment pour satisfaire leur
    passion, celles-ci cherchent, au contraire, dans l'affection qu'elles se
    portent, un remède pour vaincre leurs passions.
    Quant à cette sorte d'amitié, je souhaiterais que, dans les grands
    monastères, il s'y en trouvât beaucoup ; car pour celui-ci où nous ne
    sommes et ne pouvons être que treize, toutes les sœurs doivent être
    amies, toutes se doivent chérir, toutes se doivent aimer ; et quelque
    saintes qu'elles soient, je les conjure, pour l'amour de NotreSeigneur,
    de se bien garder de ces singularités où je vois si peu de
    profit, puisque, entre les frères mêmes, c'est un poison d'autant plus
    dangereux pour eux, qu'ils sont plus proches.
    Croyez-moi, mes sœurs, quoique ce que je vous dis vous
    semble un peu rude, il conduit à une grande perfection ; il produit
    dans l'âme une grande paix, et fait éviter plusieurs occasions
    d'offenser Dieu à celles qui ne sont pas tout-à-fait fortes. Que si notre
    inclination nous porte à, aimer plutôt une sœur que non pas une
    autre, ce qui pourrait arriver, puisque c'est un mouvement naturel qui
    souvent même nous fait aimer davantage les personnes les plus
    imparfaites, quand il se rencontre que la nature les a favorisées de
    plus de grâces, nous devons alors nous tenir extrêmement sur nos
    gardes, afin de ne nous laisser point dominer par cette affection
    naissante. Aimons les vertus, mes filles, et les biens intérieurs ; ne
    négligeons aucun soin pour nous désaccoutumer de faire cas de ces
    biens extérieurs, et ne souffrons point que notre volonté soit esclave,
    si ce n'est de celui qui l'a rachetée de son propre sang.
    Que celles qui ne profiteront pas de cet avis prennent garde de
    se trouver, sans y penser, dans des liens dont elles ne pourront se
    dégager. Hélas ! mon Dieu, mon Sauveur, qui pourrait nombrer
    combien de sottises et de niaiseries tirent leur origine de cette
    source ? Mais comme il n'est pas besoin de parler ici de ces
    faiblesses qui se trouvent dans les femmes, ni de les faire connaître
    aux personnes qui les ignorent, je ne veux pas les rapporter en partie.
    J'avoue que j'ai été quelquefois épouvantée de les voir ; je dis de les
    voir, car par la miséricorde de Dieu, je n'y suis jamais guère tombée.
    Je les ai remarquées souvent, et je crains bien qu'elles ne se
    rencontrent dans la plupart des monastères, ainsi que je l'ai vu en
    plusieurs, parce que je sais que rien n'est plus capable d'empêcher les
    religieuses d'arriver à une grande perfection, et que dans les
    supérieures, comme je l'ai déjà dit, c'est une peste.
    Il faut apporter un extrême soin à couper la racine de ces
    partialités et de ces amitiés dangereuses aussitôt qu'elles commencent
    à naître ; mais il le faut faire avec adresse et avec plus d'amour que
    de rigueur. C'est un excellent remède pour cela de n'être ensemble
    qu'aux heures ordonnées, et de ne se point parler, ainsi que nous le
    pratiquons maintenant, mais de demeurer séparées, comme la règle le
    commande, et nous retirer chacune dans notre cellule. Ainsi, quoique
    ce soit une coutume louable d'avoir une chambre commune où l'on
    travaille, je vous exhorte à n'en point avoir dans ce monastère, parce
    qu'il est beaucoup plus facile de garder le silence lorsque l'on est
    seule. Outre qu'il importe extrêmement de s'accoutumer à la solitude
    pour pouvoir bien faire l'oraison, qui doit être le fondement de la
    conduite de cette maison, puisque c'est principalement pour ce sujet
    que nous sommes ici assemblées, nous ne saurions trop nous
    affectionner à ce qui peut le plus contribuer à nous l'acquérir.
    Pour revenir, mes filles, à ce que je disais de nous entr'aimer, il
    me semble qu'il serait ridicule de vous le recommander, puisqu'il n'y
    a point de personnes si brutales qui, demeurant et communiquant
    toujours ensemble, n'ayant ni ne devant point avoir de conversations,
    d'entretiens et de divertissements avec les personnes de dehors, et
    ayant sujet de croire que Dieu aime les sœurs et qu'elles l'aiment,
    puisqu'elles ont tout quitté pour l'amour de lui, puissent manquer de
    s'aimer les unes les autres, outre que c'est le propre de la vertu de se
    faire aimer, et que j'espère, avec la grâce de Dieu, qu'elle
    n'abandonnera jamais ce monastère.
    Je n'estime donc pas qu'il soit besoin de vous recommander
    beaucoup de vous entr'aimer en la manière que je viens de dire ; mais
    je veux vous représenter quel est cet amour si louable que je désire
    qui soit parmi nous, et par quelles marques nous pourrons connaître
    que nous aurons acquis cette vertu, qui doit être bien grande, puisque
    Notre-Seigneur l'a recommandée si expressément à ses apôtres. C'est
    de quoi je vais maintenant vous entretenir un peu, selon mon peu de
    capacité : que si vous le trouvez mieux expliqué en d'autres livres, ne
    vous arrêtez pas à ce que j'en écrirai, car peut-être ne sais-je pas ce
    que je dis.
    DE L’AFFECTION POUR LES CONFESSEURS.
    Il y a deux sortes d'amour dont je vais parler : l'un est
    purement. spirituel, ne paraissant rien en lui qui ternisse sa pureté,
    parce qu'il n'a rien qui tienne de la sensualité et de la tendresse de
    notre nature ; l'autre est aussi spirituel ; mais notre sensualité et notre
    faiblesse s'y mêlent. C'est toutefois un bon amour, et qui semble
    légitime : tel est celui qui se voit entre les parents et les amis. J'ai
    déjà dit quelque chose de ce dernier, et je veux maintenant parler de
    l'autre, qui est purement spirituel et sans aucun mélange de passion ;
    car s'il s'y en rencontrait, toute la spiritualité qui y paraîtrait
    s'évanouirait et deviendrait sensuelle, an lieu que si nous nous
    conduisons dans cet autre amour, quoique moins parfait, avec
    modération et avec prudente, tout y sera méritoire, et ce qui paraissait
    sensualité se changera en vertu. Mais cette sensualité s'y mêle
    quelquefois si subtilement, qu'il est difficile de la discerner,
    principalement s'il se rencontre que ce soit avec un confesseur, parce
    que les personnes qui s'adonnent à l'oraison s'affectionnent
    extrêmement à celui qui gouverne leur conscience, quand elles
    reconnaissent en lui beaucoup de vertu et de capacité pour les
    conduire. C'est ici que le démon les assiège d'un grand nombre de
    scrupules dans le dessein de les inquiéter et de les troubler, et surtout
    s'il voit que le confesseur les porte à une plus grande perfection ; car
    alors il les presse d'une telle sorte, qu'il les fait résoudre à quitter leur
    confesseur, et ne les laisse point en repos après même qu'elles en ont
    choisi un autre.
    Ce que ces personnes peuvent faire en cet état est de ne point
    s'appliquer à discerner si elles aiment ou n'aiment pas. Que si elles
    aiment, qu'elles aiment. Car, si nous aimons ceux de qui nous
    recevons des biens qui ne regardent que le corps, pourquoi
    n'aimerions-nous pas ceux qui travaillent sans cesse à nous procurer
    les biens de l'âme ? J'estime, au contraire, que c'est une marque que
    l'on commence à faire un progrès notable, lorsque l'on aime son
    confesseur, quand il est saint et spirituel, et que l'on voit qu'il
    travaille pour nous faire avancer dans la vertu, notre faiblesse étant
    21
    telle que nous ne pourrions souvent, sans son aide, entreprendre de
    grandes choses pour le service de Dieu.
    Que si le confesseur n'est pas tel que je viens de dire, c'est alors
    qu'il y a beaucoup de péril, et qu'il peut arriver un très-grand mal de
    ce qu'il voit qu'on l'affectionne, principalement dans les maisons où
    la clôture est la plus étroite. Or, comme il est difficile de connaître si
    le confesseur a toutes les bonnes qualités qu'il doit avoir, on doit lui
    parler avec une grande retenue et une grande circonspection. Le
    meilleur serait sans doute de faire qu'il ne s'aperçût point qu'on l'aime
    beaucoup, et de ne lui en parler jamais. Mais le démon use d'un si
    grand artifice pour l'empêcher, que l'on ne sait comment s'en
    défendre ; car il fait croire à ces personnes que c'est à quoi toute leur
    confession se réduit principalement, et qu'ainsi elles sont obligées de
    s'en accuser. C'est pourquoi je voudrais qu'elles crussent que cela
    n'est rien, et n'en tinssent aucun compte. C'est un avis qu'elles
    doivent suivre, si elles connaissent que tous les discours de leur
    confesseur ne tendent qu'à leur salut, qu'il craint beaucoup Dieu, et
    n'a point de vanité ; ce qui est très-facile à remarquer, à moins de se
    vouloir aveugler soi-même. Car, en ce cas, quelques tentations que
    leur donne la crainte de trop aimer, au lieu de s'en inquiéter, il faut
    qu'elles les méprisent et en détournent leur vue, puisque c'est le vrai
    moyen de faire que le démon se lasse de les persécuter et se retire.
    Mais, si elles remarquent que le confesseur les conduise en
    quelque chose par un esprit de vanité, tout le reste doit alors leur être
    suspect, et quoiqu'il n'y ait rien que de bon dans ses entretiens, il faut
    qu'elles se gardent bien d'entrer en discours avec lui, mais qu'elles se
    retirent après s'être confessées en peu de paroles, Le plus sûr, dans
    ces rencontres,, sera de dire à la prieure que l'on ne se trouve pas bien
    de lui, et de le changer comme étant le remède le plus certain, si l'on
    en peut user sans blesser sa réputation.
    Dans ces occasions et autres semblables, qui sont comme
    autant de pièges qui nous sont tendus par le démon, et où l'on ne sait
    quel conseil prendre, le meilleur sera d'en parler à quelque homme
    savant et habile (ce que l'on ne refuse point en cas de nécessité), de
    se confesser à lui et de suivre ses avis, puisque, si on ne cherchait
    point de remède à un si grand mal, on pourrait tomber dans de
    grandes fautes ; car combien en commet-on dans le monde que l'on
    ne commettrait pas si l'on agissait avec conseil, principalement en ce
    qui regarde la manière de se conduire envers le prochain pour ne lui
    point faire de tort ? Il faut donc nécessairement, dans ces rencontres,
    travailler à trouver quelque remède, puisque, quand le démon
    commence à nous attaquer de ce côté-là, il fait en peu de temps de
    grands progrès, si l'on ne se hâte de lui fermer le passage. Ainsi cet
    avis de parler à un autre confesseur est sans doute le meilleur, en cas
    qu'il se trouve quelque commodité pour le faire, et si, comme je
    l'espère de la miséricorde de Notre-Seigneur, ces âmes sont disposées
    à ne rien négliger de tout ce qui est en leur pouvoir pour ne plus
    traiter avec le premier, quand elles devraient pour ce sujet s'exposer à
    perdre la vie.
    Considérez, mes filles, de quelle importance vous est cet avis,
    puisque ce n'est pas seulement une chose périlleuse, mais une peste
    pour toute la communauté, mais un enfer. N'attendez donc pas que le
    mal soit grand, et travaillez de bonne heure à le déraciner par tous les
    moyens dont vous pourrez user en conscience. J'espère que NotreSeigneur
    ne permettra pas que des personnes qui font profession
    d'oraison puissent affectionner d'autres que de grands serviteurs de
    Dieu ; car autrement elles ne seraient ni des âmes d'oraison, ni des
    âmes qui tendissent à une perfection telle que je prétends que soit la
    vôtre, puisque si elles voyaient qu'un confesseur n'entendît pas leur
    langage, et qu'il ne se portât pas avec affection à parler de Dieu, il
    leur serait impossible de l'aimer, parce qu'il leur serait entièrement
    dissemblable. Que s'il était comme elles dans la piété, il faudrait qu'il
    fût bien simple et peu éclairé pour croire qu'un si grand mal pût
    entrer facilement dans une maison si resserrée, et si peu exposée aux
    occasions qui l'auraient pu faire naître, et pour vouloir ensuite
    s'inquiéter soi-même, et inquiéter des servantes de Dieu.
    C'est donc là, comme je l'ai dit, tout le mal ou au moins le plus
    grand mal que le démon puisse faire glisser dans les maisons les plus
    resserrées. C'est celui qui s'y découvre le plus tard, et qui est capable
    d'en ruiner la perfection sans que l'on en sache la cause, parce que si
    le confesseur lui-même étant vain, donne quelque entrée à la vanité
    dans le monastère, comme il se trouve engagé dans ce défaut, il ne se
    met guère en peine de le corriger dans les autres. Je prie Dieu, par
    son intime bonté, de nous délivrer d'un tel malheur. Il est si grand,
    qu'il n'en faut pas davantage pour troubler toutes les religieuses
    lorsqu'elles sentent que leur conscience leur dicte le contraire de ce
    que leur dit leur confesseur ; et que si on leur tient tant de rigueur que
    de leur refuser d'aller à un autre, elles ne savent que faire pour calmer
    le trouble de leur esprit, parce que celui qui devrait y remédier est
    celui-là même qui le cause. Il se rencontre sans doute en quelques
    maisons tant de peines de cette sorte, que vous ne devez pas vous
    étonner que la compassion que j'en ai m'ait fait prendre un si grand
    soin de vous avertir de ce péril.

    http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/carmel/theresedavila/Oeuvres%20par%20titre/Fran%E7ais/7%20Le%20Chemin%20de%20la%20perfection.pdf


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    « Reply #5 on: February 01, 2017, 02:01:10 AM »
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  • CHAPITRE V.
    Suite du même sujet. Combien il importe que les confesseurs
    soient savants. En quels cas on peut changer, et de l'autorité des
    supérieurs.
    Je prie Dieu de tout mon cœur de ne permettre qu'aucune de
    vous éprouve, dans un monastère d'une si étroite clôture, ces troubles
    d'esprit et ces inquiétudes dont je viens de vous parler. Que si la
    prieure et le confesseur sont bien ensemble, et qu'ainsi on n'ose rien
    dire, ni à elle de ce qui le touche, ni à lui de ce qui la regarde, ce sera
    alors que l'on se trouvera tenté de taire dans la confession des péchés
    fort importants, par la crainte de ce trouble et de cette inquiétude où
    l'on s'engagerait en les disant. O mon Dieu, mon Sauveur, quel
    ravage le démon ne peut-il point faire par ce moyen ; et que cette
    dangereuse retenue et ce malheureux point d'honneur coûtent cher !
    Car, par la fausse créance qu'il y va de la réputation du monastère de
    n'avoir qu'un confesseur, cet esprit infernal met ces pauvres filles
    dans une gène d'esprit où il ne pourrait par d'autres voies les faire
    tomber. Ainsi, si elles demandent d'aller à un autre confesseur, on
    croit que c'est renverser toute la discipline de la maison ; et quand
    celui qu'elles désirent serait un saint, s'il se rencontre qu'il ne soit pas
    du même ordre, on s'imagine ne pouvoir le leur donner sans faire un
    affront à tout l'ordre.
    Louez extrêmement Dieu, mes filles, de la liberté que vous
    avez maintenant d'en user d'une autre sorte ; puisqu'encore qu'elle ne
    se doive pas étendre à avoir beaucoup de confesseurs, vous pouvez,
    outre les ordinaires, en avoir quelques-uns qui vous éclaircissent de
    vos doutes. Je demande, au nom de Notre-Seigneur, à celle qui sera
    supérieure, de tâcher toujours d'obtenir de l'évêque ou du provincial,
    pour elle et ses religieuses, cette sainte liberté de communiquer de
    son intérieur avec des personnes doctes, principalement si leurs
    confesseurs ne le sont pas, quelque vertueux qu'ils puissent être. Car
    Dieu les garde de se laisser conduire en tout par un confesseur
    ignorant, quoiqu'il leur paraisse spirituel, et qu'il le soit en effet. La
    science sert extrêmement pour donner lumières en toutes choses, et il
    n'est pas impossible de rencontrer des personnes qui soient tout
    ensemble et savantes et spirituelles. Souvenez-vous aussi, mes sœurs,
    que plus Notre-Seigneur vous fera de grâces dans l'oraison, et plus
    vous aurez besoin d'établir sur un fondement solide toutes vos
    actions et vos prières.
    Vous savez déjà que la première pierre de cet édifice spirituel
    est d'avoir une bonne conscience, de faire tous ses efforts pour éviter
    même de tomber dans les péchés véniels, et d'embrasser ce qui est le
    plus parfait. Vous vous imaginerez peut-être que tous les confesseurs
    le savent, mais c'est une erreur ; car il m'est arrivé de traiter des
    choses de conscience avec un qui avait fait tout son cours de
    théologie, lequel me fit beaucoup de tort en me disant que certaines
    choses n'étaient point considérables. Il n'avait point toutefois
    intention de me tromper, ni sujet de le vouloir, et il n'y aurait rien
    gagné : mais il n'en savait pas davantage ; et la même chose m'est
    arrivée avec deux ou trois autres.
    EN QUELS CAS ON PEUT CHANGER DE CONFESSEUR.
    Cette véritable connaissance de ce qu'il faut faire pour observer
    avec perfection la loi de Dieu, nous importe de tout. C'est le
    fondement solide de l'oraison, et quand il manque, on peut dire que
    tout l'édifice porte à faux. Vous devez donc prendre conseil de ceux
    en qui l'esprit se trouve joint avec la doctrine ; et si votre confesseur
    n'a ces qualités, tâchez de temps en temps d'aller à un autre. Que si
    l'on fait difficulté de vous le permettre, communiquez au moins hors
    de la confession de l'état de votre conscience avec des personnes
    telles que je viens de dire.
    J'ose même passer plus avant, en vous conseillant de pratiquer
    quelquefois cet avis, quand bien même votre confesseur aurait de
    l'esprit et serait savant, parce qu'il se pourrait faire qu'il se tromperait,
    et qu'il serait très-fâcheux que vous fussiez toutes trompées par lui.
    Tâchez toujours néanmoins à ne rien faire qui contrevienne à
    l'obéissance ; car à toutes choses il y a remède. Et puisqu'une âme est
    de si grand prix qu'il n'y a rien qu'on ne doive faire pour son
    avancement dans la vertu, que ne doit-on pas faire lorsqu'il s'agit de
    l'avancement de plusieurs âmes ?
    Tout ce que je viens de dire regarde principalement la
    supérieure. Je la conjure, encore une fois, que puisqu'on ne cherche
    d'autre consolation en cette maison que celle qui regarde l'âme, elle
    tâche de la lui procurer dans un point si important. Car, comme il y a
    plusieurs chemins par lesquels Dieu conduit les personnes pour les
    attirer à lui, il n'y a pas sujet de s'étonner que le confesseur en ignore
    quelques-uns. Et pourvu, mes filles, que vous soyez telles que vous
    devez être, quelque pauvres que vous soyez, vous ne manquerez pas
    de personnes qui veuillent par charité vous assister de leurs conseils.
    Ce même Père céleste qui vous donne la nourriture nécessaire pour le
    corps, inspirera sans doute à quelqu'un la volonté, d'éclairer votre-
    âme, pour remédier à ce mal qui est celui de tous que je crains le
    plus. Et quand il arriverait que le démon tenterait le confesseur pour
    le faire tomber dans quelque erreur, lorsque ce confesseur verrait que
    d'autres vous parleraient, il prendrait garde de plus près à lui, et serait
    plus circonspect dans toutes ses actions.
    J'espère en la miséricorde de Dieu, que si l'on ferme cette porte
    au diable, il n'en trouvera point d'autre pour entrer dans ce
    monastère : et ainsi je demande, au nom de Notre-Seigneur, à
    l'évêque ou au supérieur sous la conduite duquel vous serez, qu'il
    laisse aux sœurs cette liberté, et que, s'il se rencontre dans cette ville
    des personnes savantes et vertueuses, ce qui est facile à savoir dans
    un lieu aussi petit qu'est celui-ci, il ne leur refuse pas la permission
    de se confesser quelquefois à eux, quoiqu'elles ne manquent pas d'un
    confesseur ordinaire. Je sais que cela est à propos pour plusieurs
    raisons, et que le mal qui en peut arriver ne doit pas entrer en
    comparaison avec un mal aussi grand et aussi irrémédiable que serait
    celui d'être cause, en leur refusant cette grâce, qu'elles retinssent sur
    leur conscience des péchés qu'elles ne pourraient se résoudre de
    découvrir. Car les maisons religieuses ont cela de propre que le bien
    s'y perd promptement si on ne le conserve avec grand soin, au lieu
    que quand le mal s'y glisse une fois il est très-difficile d'y remédier,
    la coutume dans tout ce qui va au relâchement se tournant bientôt en
    habitude. Je ne vous dis rien en ceci que je n'aie vu, que je n'aie
    remarqué, et dont je n'aie conféré avec des personnes doctes et
    saintes, qui ont fort considéré ce qui était le plus propre pour
    l'avancement de la perfection de cette maison.
    DE L'AUTORITÉ DES SUPÉRIEURS.
    Entre les inconvénients qui peuvent arriver, comme il s'en
    rencontre toujours partout durant cette vie, il me semble que le
    moindre est qu'il n'y ait point de vicaire ni de confesseur qui ait le
    pouvoir d'entrer, de commander et de sortir, mais seulement de
    veiller et de prendre garde à ce que la maison soit dans le
    recueillement, que toutes choses s'y fassent avec bienséance, et que
    l'on y avance intérieurement et extérieurement dans la pratique de la
    vertu, afin que s'il trouve que l'on y manque, il en informe l'évêque ;
    mais qu'il ne soit pas supérieur. C'est ce qui s'observe maintenant ici,
    non par mon seul avis, mais par celui de monseigneur dom Alvarez
    de Mendoce, maintenant notre évêque et sous la conduite duquel
    nous sommes, personne de très-grande naissance, grand serviteur de
    Dieu, très-affectionné à toutes les religions et à toutes les choses de
    piété, et qui se porte avec une inclination très-particulière à favoriser
    cette maison, qui, pour plusieurs raisons, n'est point encore soumise à
    l'ordre, ayant fait assembler sur ce sujet des hommes savants,
    spirituels et de grande expérience. Ils résolurent ce que j'ai dit ensuite
    de beaucoup de prières de plusieurs personnes, auxquelles, toute
    misérable que je suis, je joignis les miennes. Ainsi il est juste qu'à
    l'avenir les supérieures se conforment à cet avis, puisque c'est celui
    auquel tant de gens de bien se sont portés, après avoir demandé à
    Dieu de leur donner la lumière nécessaire pour connaître ce qui serait
    meilleur, comme il l'est sans doute selon ce qui a paru jusqu'ici ; et je
    le prie de faire que cela continue toujours, pourvu que ce soit pour sa
    gloire. Ainsi soit-il.

    http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/carmel/theresedavila/Oeuvres%20par%20titre/Fran%E7ais/7%20Le%20Chemin%20de%20la%20perfection.pdf

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    « Reply #6 on: February 07, 2017, 04:02:21 AM »
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  • CHAPITRE VI.
    De l'amour spirituel que l'on doit avoir pour Dieu, et pour ceux qui
    peuvent contribuer à notre salut.
    Quoique j'aie fait une grande digression, ce que j'ai dit est si
    important, que ceux qui en comprendront bien la conséquence ne
    m'en blâmeront pas, j'en suis assurée.
    DE L'AMOUR DE DIEU, QUI EST TOUT SPIRITUEL.
    Je reviens maintenant à cet amour qu'il ne nous est seulement
    pas permis d'avoir, mais qu'il est utile que nous ayons. Je dis qu'il est
    purement spirituel, et cependant je doute si je dois le nommer ainsi.
    Il me semble qu'il n'est pas nécessaire d'en parler beaucoup, dans la
    crainte que j'ai que peu d'entre vous le possèdent ; et s'il y en a
    quelqu'une que Notre-Seigneur favorise d'une telle grâce, elle l'en
    doit beaucoup louer, parce qu'un si grand don sera sans doute
    accompagné d'une très-grande perfection. Je veux néanmoins vous en
    dire quelque chose qui pourra peut-être servir, à cause que ceux qui
    désirent d'acquérir la vertu s'y affectionnent lorsqu'on l'expose devant
    leurs yeux. J'avoue que je ne sais comment je m'engage à parler de ce
    sujet, dans la créance que j'ai de ne pas bien discerner ni ce qui est
    spirituel, ni quand la sensualité s'y mêle. Dieu veuille, s'il lui plaît,
    me le faire connaître, et me rendre capable de l'expliquer. Je
    ressemble à ces personnes qui entendent parler de loin sans savoir ce
    que l'on dit ; car quelquefois je n'entends pas moi-même ce que je
    dis, et Dieu fait pourtant que je dis bien. D'autres fois ce que je dis
    est impertinent, et c'est ce qui m'est le plus ordinaire.
    Il me semble que lorsque Dieu fait connaître clairement à une
    personne ce que c'est que ce monde, qu'il y a un autre monde, la
    différence qu'il se trouve entre eux, que l'un passe comme un songe,
    et que l'autre est éternel ; ce que c'est que la créature, quel bonheur
    c'est d'aimer l'un, et quel malheur c'est d'aimer l'autre, il me semble,
    dis-je, que lorsque cette personne connaît toutes ces vérités et
    plusieurs autres que Dieu enseigne avec certitude à ceux qui se
    laissent conduire par lui dans l'oraison, et qu'elle le connaît par
    expérience et par un vrai sentiment du cœur, ce qui est bien différent
    de le croire seulement et de le penser, cette personne l'aime sans
    doute d'une manière tout autre que nous, qui ne sommes pas encore
    arrivées à cet état.
    Il vous paraîtra peut-être, mes sœurs, que c'est inutilement que
    je vous parle de la sorte, et que je ne dis rien que vous ne sachiez. Je
    prie Dieu de tout mon cœur que cela se trouve véritable, et que le
    sachant aussi bien que je le souhaite, vous le graviez profondément
    dans votre cœur. Que si vous le savez en effet, vous savez donc que
    je ne mens pas, lorsque je dis que ceux à qui Dieu a fait cette grâce,
    et à qui il donne cet amour, sont des âmes généreuses et toutes
    royales. Ainsi, quelque belles que soient les créatures, de quelques
    grâces qu'elles soient ornées, quoiqu'elles plaisent à nos yeux, et nous
    donnent sujet de louer celui qui, en les créant, les a rendues si
    agréables, ces personnes favorisées de Dieu ne s'y arrêtent pas, de
    telle sorte que cela passe jusqu'à y attacher leur affection, parce qu'il
    leur semble que ce serait aimer une chose de néant, et comme
    embrasser une ombre ; ce qui leur donnerait une si grande confusion,
    qu'elles ne pourraient, sans rougir de honte, dire après cela à Dieu
    qu'elles l'aiment.
    N'AIMER QUE CEUX QUI SAVENT CONTRIBUER À NOTRE SALUT.
    Vous me direz peut-être que ces personnes ne savent pas ce
    que c'est que d'aimer et de répondre à l'amitié qu'on leur porte. Je
    réponds qu'au moins se soucient-elles peu d'être aimées ; et quoique
    d'abord la nature les fasse quelquefois se réjouir de voir qu'on les
    aime, elles ne rentrent pas plus tôt en elles-mêmes, qu'elles
    connaissent que ce n'est qu’une folie, excepté aux yeux de ceux qui
    peuvent contribuer à leur salut par leurs prières ou par leur doctrine ;
    toutes les affections les lassent et les ennuient, parce qu'elles savent
    qu'elles ne leur peuvent profiter de rien, et qu'elles seraient capables
    de leur nuire. Elles ne laissent pas d'en savoir gré, et de payer cet
    amour en recommandant à Dieu ceux qui les aiment ; car elles
    considèrent l'affection de ces personnes comme une dette dont NotreSeigneur
    est chargé, parce que ne voyant rien en elles-mêmes qui
    mérite d'être aimé, elles croient qu'on ne les aime qu'à cause que
    Dieu les aime. Ainsi elles lui laissent le soin de payer cet amour
    qu'on a pour elles, et en le priant de tout leur cœur, elles s'en croient
    déchargées, et demeurent aussi tranquilles que si cette affection ne
    les touchait point.
    Ces considérations me font penser quelquefois qu'il y a
    beaucoup d'aveuglement dans ce désir d'être aimé, si ce n'est, comme
    je l'ai dit, de ceux qui peuvent nous aider à acquérir les biens
    éternels. Sur quoi il faut remarquer qu'au lieu que dans l'amour du
    monde nous n'aimons jamais sans qu'il y entre quelque intérêt
    d'utilité ou de plaisir, au contraire, ces personnes si parfaites foulent
    aux pieds tout le bien qu'on pourrait leur faire, et toute la satisfaction
    qu'on leur pourrait donner dans le monde, leur âme étant disposée de
    telle sorte, que quand, pour parler ainsi, elles le voudraient, elles n'en
    sauraient trouver qu'en Dieu et dans les entretiens dont lui seul est
    tout le sujet. Comme elles ne comprennent point quel avantage elles
    pourraient retirer d'être aimées, elles se soucient peu de l'être, et sont
    si persuadées de cette vérité, qu'elles se rient en elles-mêmes de la
    peine où elles étaient autrefois de savoir si l'on récompensait leur
    affection par une égale affection. Ce n'est pas qu'il ne soit fort
    naturel, même dans l'amour honnête et permis, de vouloir qu'on nous
    aime quand nous aimons ; mais, lorsqu'on nous a payées en cette
    monnaie, qui nous paraissait si précieuse, nous découvrons qu'on ne
    nous a donné que des pailles que le vent emporte ; car, quoique l'on
    nous aime beaucoup, qu'est-ce qu'à la fin il nous en reste ? C'est ce
    qui me fait dire que ces grandes âmes ne se soucient pas plus de
    n'être pas aimées que de l'être, si ce n'est de ceux qui peuvent
    contribuer à leur salut et dont encore elles ne sont bien aises d'être
    aimées qu'à cause qu'elles savent que le naturel de l'homme est de se
    lasser bientôt de tout, s'il n'est soutenu par l'amour.
    Que s'il vous semble que ces personnes n'aiment donc rien,
    sinon Dieu, je vous réponds qu'elles aiment aussi leur prochain, et
    d'un amour plus véritable et plus utile, et même plus grand que ne
    font les autres, parce qu'elles aiment toujours beaucoup mieux, même
    à l'égard de Dieu, donner que recevoir. C'est à cet amour qu'il est
    juste de donner le nom d'amour, et non pas à ces basses affections de
    la terre qui l'usurpent si injustement.
    Que si vous me demandez à quoi ces personnes peuvent donc
    s'affectionner, si elles n'aiment pas ce qu'elles voient, je réponds
    qu'elles aiment ce qu'elles voient, et s'affectionnent à ce qu'elles
    entendent ; mais les choses qu'elles voient et qu'elles entendent sont
    permanentes et passagères. Ainsi, sans s'arrêter au corps, elles
    attachent les yeux sur les âmes, pour connaître s'il y a quelque chose
    en elles qui mérite d'être aimé, et quand elles n'y remarqueraient que
    quelque disposition au bien qui leur donne sujet de croire que,
    pourvu qu'elles approfondissent cette mine, elles y trouveront de l'or,
    elles s'y affectionnent, et il n'y a ni peines, ni difficultés qui les
    empêchent de travailler de tout leur pouvoir à faire leur bonheur,
    parce qu'elles désirent de continuer à les aimer ; ce qui leur serait
    impossible si elles n'avaient de la vertu et n'aimaient beaucoup Dieu.
    Je dis impossible, car encore que ces personnes aient un ardent
    amour pour elles, qu'elles les comblent de bienfaits, qu'elles leur
    rendent tous les offices imaginables, et que même elles soient ornées
    de toutes les grâces de la nature, ces âmes saintes ne sauraient se
    résoudre, par ces seules considérations, à les aimer d'un amour ferme
    et durable. Elles connaissent trop le peu de valeur de toutes les
    choses d'ici-bas pour pouvoir être trompées. Elles savent que ces
    personnes ont des sentiments différents des leurs, et qu'ainsi cette
    amitié ne saurait durer, parce que n'étant pas également fondée sur
    l'amour de Dieu et de ses commandements, il faut, de nécessité,
    qu'elle se termine avec la vie, et qu'en se séparant par la mort, l'un
    aille d'un côté, et l'autre d'un autre.
    Ainsi, l'âme à qui Dieu a donné une véritable sagesse, au lieu
    de trop estimer cette amitié qui finit avec la vie, l'estime moins
    qu'elle ne mérite. Elle ne peut être désirée que par ceux qui, étant
    enchantés des plaisirs, des honneurs et des richesses passagères, sont
    bien aises de trouver des personnes riches qui les satisfassent dans
    leur malheureux divertissement. Si donc ces âmes parfaites ont
    quelque amitié pour une personne, ce n'est que pour la porter à aimer
    Dieu, afin de pouvoir ensuite l'aimer, sachant, comme je l'ai dit, que
    si elles aimaient d'une autre sorte, cette amitié ne durerait pas, et leur
    serait préjudiciable. C'est pourquoi elles n'oublient rien pour tâcher
    de leur être utiles, et elles donneraient mille vies pour leur procurer
    un peu de vertu. O amour sans prix, que vous imitez heureusement
    l'amour de Jésus, qui est tout ensemble notre bien et l'exemple du
    parfait amour !

    http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/carmel/theresedavila/Oeuvres%20par%20titre/Fran%E7ais/7%20Le%20Chemin%20de%20la%20perfection.pdf

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    « Reply #7 on: February 08, 2017, 11:21:54 PM »
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  • CHAPITRE VII.
    Des qualités admirables de l'amour spirituel que les personnes
    saintes ont pour les âmes à qui Dieu les lie. Quel bonheur c'est que
    d'avoir part à leur amitié. De la compassion que les âmes, même les plus
    parfaites, doivent avoir pour les faiblesses d’autrui. Divers avis touchant
    la manière dont les religieuses doivent se conduire, et avec quelle
    promptitude et sévérité il faut réprimer les désirs d'honneur et de
    préférence.
    DE L'AMOUR SPIRITUEL QU'ON A POUR LES ÂMES.
    C'est une chose incroyable que la véhémence de cet amour
    qu'on a pour une âme : que de larmes il fait répandre ! que de
    pénitences il produit ! que d'oraisons il fait adresser à Dieu ! que de
    soins il fait prendre de la recommander aux prières des gens de bien !
    Quel désir n'a-t-on point de la voir avancer dans la vertu ! quelle
    douleur ne ressent-on point lorsqu'elle n'avance pas ! Que si, après
    s'être avancée, elle recule, il semble qu'on ne puisse plus goûter
    aucun plaisir dans la vie ; on perd l'appétit et le sommeil ; on est dans
    une peine continuelle, on tremble par l'appréhension que cette âme ne
    se perde, et ne se sépare de nous pour jamais. Car, pour la mort du
    corps, ces personnes embrasées de la charité ne la considèrent point,
    tant elles sont éloignées de s'attacher à une chose qui échappe des
    mains comme une feuille que le moindre vent emporte. C'est là ce
    qu'on peut nommer, comme je l'ai dit, un amour entièrement
    désintéressé, puisqu'il ne prétend et ne désire que de voir cette âme
    devenir riche des biens du ciel.
    C'est là ce qui mérite de porter le nom d'amour, et non pas ces
    malheureux amours du monde, par lesquels je n'entends point ces
    amours criminels et impudiques dont le nom seul nous doit faire
    horreur. Car pourquoi me tourmenterais-je à déclamer contre une
    chose qui peut passer pour un enfer, et dont le moindre mal est si
    grand, qu'on ne saurait trop l'exagérer ? Nous ne devons jamais, mes
    sœurs, proférer seulement le nom de ce malheureux amour, ni penser
    qu'il y en ait dans le monde, ni en entendre parler, soit sérieusement
    ou en riant, ni souffrir que l'on s'entretienne de semblables folies en
    notre présence, cela ne pouvant jamais nous servir et nous pouvant
    beaucoup nuire ; mais j'entends parler de cet autre amour qui est
    permis, de l'amour que nous nous portons les unes aux autres, et de
    celui que nous avons pour nos parents et pour nos amis.
    Ce dernier amour nous met dans une appréhension continuelle
    de perdre la personne que nous aimons. Elle ne peut avoir seulement
    mal à la tête, que notre âme n'en soit touchée de douleur ; elle ne peut
    souffrir la moindre peine, sans que nous ne perdions presque
    patience ; et ainsi de tout le reste. Mais il n'en va pas de même de cet
    autre amour qui est tout de charité ; car encore que notre infirmité
    nous rende sensibles aux maux de la personne que nous aimons,
    notre raison vient aussitôt à notre secours, et nous fait considérer s'ils
    sont utiles à son salut, s'ils la fortifient dans la vertu, et de quelle
    manière elle les supporte. On prie Dieu ensuite de lui donner la
    patience dont elle a besoin, afin que ses souffrances lui acquièrent
    des mérites et lui profitent. Que si on voit qu'il la lui donne, la peine
    que l'on avait se change en consolation et en joie, quoique l'affection
    qu'on lui porte fasse que l'on aimerait mieux souffrir que de la voir
    souffrir, si on pouvait, en souffrant pour elle, lui acquérir le mérite
    qui se rencontre dans la souffrance ; mais cela se passe sans en
    ressentir ni trouble, ni inquiétude.
    Je redis encore qu'il semble que l'amour de ces saintes âmes
    imite celui que Jésus, le grand modèle du parfait amour, nous a porté,
    puisqu'elles voudraient pouvoir prendre pour elles toutes ces peines,
    et que ces personnes en profitassent sans les souffrir. Ce qui rend leur
    amitié si avantageuse, que ceux qui ont le bonheur d'y avoir part ont
    sujet d'y croire, ou qu elles cesseront de les aimer de la sorte, ou
    qu'elles obtiendront de Notre-Seigneur qu'il les suive dans le chemin
    qui les mené au ciel, ainsi que sainte Monique obtint de lui cette
    grâce pour saint Augustin, son fils.
    Ces âmes parfaites ne peuvent user d'aucun artifice avec les
    personnes qu'elles aiment, ni dissimuler leurs fautes, si elles jugent
    qu'il soit utile de les en reprendre : ainsi elles n'y manquent jamais,
    tant elles désirent de les voir devenir riches en vertus. Combien de
    tours et de retours font-elles pour ce sujet, quoique elles soient si peu
    occupées du soin de toutes les choses du monde ! Et elles ne
    sauraient faire autrement ; elles ne savent ni déguiser ni flatter ; il
    faut ou que ces personnes se corrigent, ou qu'elles se séparent de leur
    amitié, parce qu'elles ne peuvent ni ne doivent souffrir la
    continuation de leurs défauts.
    Ainsi, cette affection produit entre eux une guerre continuelle ;
    car bien que ces âmes vraiment charitables, et détachées de toutes les
    choses de la terre, ne prennent pas garde si les autres servent Dieu,
    mais veillent seulement sur elles-mêmes, elles ne peuvent vivre dans
    cette indifférence pour ces personnes à qui Dieu les a liées : elles
    voient en elles jusqu'aux moindres atomes ; elles ne laissent rien
    passer sans le leur dire, et portent ainsi pour l'amour d'elles une croix
    merveilleusement pesante. Qu'heureux sont ceux qui sont aimés de
    ces âmes saintes, et qu'ils ont sujet de bénir le jour que Dieu leur a
    donné leur connaissance !
    O mon Seigneur et mon Dieu, voudriez-vous bien me faire tant
    de faveur que plusieurs m'aimassent de la sorte ? Je préférerais ce
    bonheur à l'amitié de tous les rois et de tous les monarques de la
    terre ; et certes avec raison, puisque ces amis incomparables
    n'oublient aucun de tous les moyens qu'on se peut imaginer pour
    nous rendre les maîtres du monde, en nous assujettissant tout ce qui
    est dans le monde.
    Lorsque vous rencontrerez, mes sœurs, quelques-unes de ces
    âmes, il n'y a point de soin que la supérieure ne doive apporter pour
    faire qu'elles traitent avec vous ; et ne craignez pas de les trop aimer
    si elles sont telles que je dis ; mais il y en a peu de la sorte, et quand
    il s'en trouve quelques unes, la bonté de Dieu est si grande qu'il
    permet qu'on les connaisse.
    Je prévois que l'on vous dira que cela n'est point nécessaire, et
    que Dieu nous doit suffire : je vous assure, au contraire, que c'est un
    excellent moyen de posséder Dieu que de traiter avec ses amis. Je
    sais par expérience l'avantage que l'on en reçoit, et je dois, après
    Dieu, à de semblables personnes la grâce qu'il m'a faite de ne pas
    tomber dans l'enfer ; car je n'ai jamais été sans un extrême désir qu'ils
    me recommandassent à Notre-Seigneur, et je les en priais toujours
    avec instance
    COMPASSION QUE L'ON DOIT AVOIR DES FAIBLES.
    Mais il faut revenir à mon sujet. Cette, manière d'aimer est
    celle que je souhaite que nous pratiquions ; et quoique d'abord elle ne
    soit pas si parfaite, Notre-Seigneur fera qu'elle le deviendra de plus
    en plus. Commençons par ce qui est proportionné à nos forces, Bien
    qu'il s'y rencontre un peu de tendresse, elle ne saurait faire de
    mauvais effet, pourvu qu'elle ne soit qu'en général. Il est même
    quelquefois nécessaire d'en témoigner et d'en avoir, en compatissant
    aux peines et aux infirmités des sœurs, quoique petites, parce qu'il
    arrive assez souvent qu'une occasion fort légère donne autant de
    peine à une personne qu'une fort considérable en donne à une autre.
    Peu de chose est capable de tourmenter ceux qui sont faibles ; et si
    vous vous rencontrez être plus fortes, vous ne devez pas laisser
    d'avoir pitié de leurs peines, ni même vous en étonner, puisque le
    diable a peut-être fait de plus grands efforts contre elle que ceux dont
    il s'est servi pour vous faire souffrir des peines plus grandes. Que
    savez-vous aussi si Notre-Seigneur ne vous en réserve point de
    semblables en d'autres rencontres, et si celles qui vous semblent fort
    rudes, et qui le sont en effet, ne paraissent pas légères à d'autres ?
    Ainsi nous ne devons point juger des autres par l'état où nous
    nous trouvons, ni nous considérer selon le temps présent, auquel
    Dieu par sa grâce, et peut-être sans que nous y ayons travaillé, nous
    aura rendues plus fortes, mais selon le temps où nous avons été les
    plus lâches et les plus faibles. Cet avis est fort utile pour apprendre à
    compatir aux travaux de notre prochain, quelque petits qu'ils soient ;
    et il est encore plus nécessaire pour ces âmes fortes dont j'ai parlé,
    parce que les désirs qu'elles ont de souffrir leur fait estimer les
    souffrances peu considérables ; au lieu qu'elles doivent se souvenir
    du temps qu'elles étaient encore faibles, et reconnaître que leur force
    vient de Dieu seul, et non d'elles-mêmes, puisque autrement le
    démon pourrait refroidir en elles la charité envers le prochain, et leur
    faire prendre pour perfection ce qui en effet serait une faute.
    Vous voyez par là, mes filles, qu'il faut continuellement veiller
    et se tenir sur ses gardes, puisque cet ennemi de notre salut ne
    s'endort jamais ; et celles qui aspirent à une plus grande perfection y
    sont encore plus obligées que les autres, parce que n'osant pas les
    tenter grossièrement, il emploie contre elles tant d'artifices que, à
    moins d'être dans un soin continuel de s'en garantir, elles ne
    découvrent le péril qu'après y être tombées. Je leur dis donc encore
    une fois qu'il faut toujours veiller et prier, puisque l'oraison est le
    meilleur de tous les moyens pour découvrir les embûches de cet
    esprit de ténèbres et le mettre en fuite.
    Lorsque dans le besoin de faire la récréation, les sœurs sont
    assemblées pour ce sujet, demeurez-y gaiement pendant tout le temps
    qu'elle doit durer, quoique vous n'y preniez pas grand plaisir, vous
    souvenant que, pourvu que vous vous conduisiez sagement et avec
    une bonne intention, tout deviendra un parfait amour. Je voulais
    traiter de celui qui ne l'est pas ; mais il n'est pas à propos que nous
    l'ayons dans cette maison, puisque, si c'est pour en faire un bon
    usage, il faut, comme je l'ai dit, le ramener à son principe, qui est
    l'amour parfait. Ainsi, quoique j'eusse dessein d'en beaucoup parler,
    il me semble, après y avoir bien pensé, que, vu la manière dont nous
    vivons, il doit être banni d'entre nous. Je n'en dirai donc pas
    davantage, et j'espère, avec la grâce de Nôtre-Seigneur, que nous ne
    nous porterons, dans ce monastère, à ne nous aimer qu'en cette
    manière, puisque c'est sans doute la plus pure, quoique nous ne le
    fassions pas peut-être avec toute la perfection que l'on pourrait
    désirer.
    J'approuve fort que vous ayez compassion des infirmités les
    unes des autres ; mais prenez garde que ce soit avec la discrétion
    nécessaire, et sans manquer à l'obéissance.
    DIVERS EXCELLENTS AVIS.
    Quoique ce que la supérieure vous commandera de faire vous
    semble rude, n'en témoignez rien, si ce n'est à elle-même, et avec
    humilité, parce que, si vous en usiez autrement, vous nuiriez
    beaucoup à toutes vos sœurs.
    Il importe de savoir quelles sont les choses que l'on doit sentir,
    et en quoi l'on doit avoir compassion de ses sœurs. Il faut toujours
    être fort touché des moindres fautes qu'on leur voit faire, si elles sont
    manifestes ; et l'on ne saurait mieux leur témoigner l'amour qu'on
    leur porte, qu'en les souffrant et ne s'en étonnant pas ; ce qui fera
    qu'elles supporteront aussi les vôtres, qui, bien que vous ne vous en
    aperceviez point, sont sans doute en plus grand nombre. Vous devez
    aussi fort recommander ces personnes à Dieu, et tâcher de pratiquer
    avec une grande perfection les vertus contraires aux défauts que vous
    remarquez en elles, parce que vous devez beaucoup plutôt vous
    efforcer de les instruire par vos actions que par vos paroles ; elles ne
    les comprendraient peut-être pas bien, ou elles ne leur profiteraient
    pas, non plus que d'autres châtiments dont on pourrait se servir pour
    les corriger ; au lieu que cette imitation des vertus que l'on voit briller
    dans les autres, fait une si forte impression dans l'esprit, qu'il est
    difficile qu'elle s'en efface : cet avis est si utile, que l'on ne saurait
    trop s'en souvenir.
    Oh ! que l'amitié d'une religieuse qui profite à toutes ses sœurs,
    en préférant leurs intérêts aux siens propres, en s'avançant sans cesse
    dans la vertu, et en observant la règle avec une grande perfection, est
    une amitié véritable et avantageuse ! Elle vaut mille fois mieux que
    celle que l'on témoigne par ces paroles de tendresse dont on use et
    dont on ne doit jamais user en cette maison : Ma vie, mon âme, mon
    bien, et autres semblables. Il faut les réserver pour votre divin époux.
    Vous avez tant de temps à passer seules avec lui seul, qu'elles vous
    seront nécessaires, et elles ne lui seront pas désagréables ; au lieu,
    que si vous vous en serviez entre vous, elles ne vous attendriraient
    pas tant le cœur quand vous vous en servirez avec lui, et qu'ainsi c'est
    le seul usage que vous devez en faire. Je sais que c'est un langage fort
    ordinaire entre les femmes, mais je ne puis souffrir que vous passiez
    pour des femmes en quoi que ce soit ; je vous souhaite aussi fortes
    que les hommes les plus forts ; et si vous faites ce qui est en vous, je
    vous assure que Notre-Seigneur vous rendra si fortes, que les
    hommes s'en étonneront ; car cela n'est-il pas facile à celui qui nous a
    tous tirés du néant ?
    C'est aussi une excellente marque d'une véritable amitié de
    s'efforcer de décharger les autres de leur travail dans les offices du
    monastère, en s'en chargeant au lieu d'elles, et de louer beaucoup
    Dieu de leur avancement dans la vertu.
    QUE LA DIVISION EST UNE PESTE DANS LES MONASTÈRES.
    Ces pratiques, outre le grand bien qu'elles produisent,
    contribuent beaucoup à la paix et à la conformité qui doit être entre
    les sœurs, ainsi que, par la miséricorde de Dieu, nous le connaissons
    par expérience. Je prie sa divine majesté que cela aille toujours
    croissant ; ce serait une chose bien terrible si le contraire arrivait ; car
    qu'y aurait-il de plus déplorable qu'étant en si petit nombre, nous ne
    fussions très-unies ? Ne le permettez pas, mon Dieu ! et comment un
    si grand malheur pourrait-il nous arriver sans anéantir tout le bien
    que vous avez fait dans cette maison ?
    S'il échappait quelque petite parole qui fût contraire à la
    charité, ou qu'on vît quelque parti se former, ou quelque désir de
    préférence, ou quelque pointillé d'honneur, il faut y remédier à
    l'heure même, et faire beaucoup de prières. J'avoue que je ne saurais
    écrire ceci sans que la pensée que cela pourrait arriver un jour me
    touche si sensiblement, que je sens, ce me semble, mon sang se
    glacer, parce que c'est l'un des plus grands maux qui puissent se
    glisser dans les monastères.
    Que si vous tombez jamais dans un tel malheur, tenez-vous,
    mes sœurs, pour perdues ; croyez que vous avez chassé votre divin
    époux de sa maison, et qu'ainsi vous le contraignez, en quelque sorte,
    d'en aller chercher une autre. Implorez son secours par vos cris et par
    vos gémissements ; travaillez de tout votre pouvoir pour trouver
    quelque remède à un si grand mal ; et si vos confessions et vos
    communions fréquentes n'y en peuvent apporter, craignez qu'il n'y ait
    parmi vous quelque Judas. Je conjure, au nom de Dieu, la prieure de
    prendre extrêmement garde à n'y point donner lieu, et de travailler
    avec grand soin à arrêter, dès le commencement, ce désordre ; car si
    l'on n'y remédie d'abord, il deviendra sans remède.
    Quant à celle qui sera cause du trouble, il faut la renvoyer en
    un autre monastère, et Dieu sans doute vous donnera le moyen de la
    doter. Il faut chasser bien loin cette peste ; il faut couper les rameaux
    de cette plante vénéneuse, et si cela ne suffit pas, il faut en arracher
    les racines. Que si tout ce que je viens de dire est inutile, il faut la
    renfermer dans une prison d'où elle ne sorte jamais, puisqu'il vaut
    beaucoup mieux la traiter avec cette juste sévérité, que de souffrir
    qu'elle empoisonne toutes les autres. Oh ! que ce mal est effroyable !
    Dieu nous garde, s'il lui plaît, d'être jamais dans un monastère où il
    ait pu se glisser. J'aimerais beaucoup mieux voir le feu réduire en
    cendres celui-ci, et nous y consumer toutes.
    Mais parce que je me propose de parler de cela plus au long
    ailleurs, je n'en dirai pas davantage maintenant, et je me contenterai
    d'ajouter qu'encore que cette amitié accompagnée de tendresse ne
    soit pas si parfaite que l'amour dont j'ai parlé, j'aime mieux que vous
    l'ayez, pourvu que ce ne soit qu'en commun, que d'y avoir entre vous
    la moindre division. Je prie Notre-Seigneur, par son extrême bonté,
    de ne le point permettre jamais ; et vous lui devez fortement
    demander, mes sœurs, qu'il nous délivre d'une telle peine, puisque lui
    seul nous peut faire cette grâce.

    http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/carmel/theresedavila/Oeuvres%20par%20titre/Fran%E7ais/7%20Le%20Chemin%20de%20la%20perfection.pdf


    Offline poche

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    Chemin de la Perfection
    « Reply #8 on: February 15, 2017, 03:43:54 AM »
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  • CHAPITRE VIII.
    Qu'il importe de se détacher de tout pour ne s'attacher qu'à
    Dieu. De t'extrême bonheur de la vocation religieuse. Humilité de ta
    Sainte à ce sujet. Qu'une religieuse ne doit point être attachée à ses
    parents.
    DU BESOIN DE NE S’ATTACHER QU'À DIEU.
    Je viens maintenant au détachement dans lequel nous devons
    être, et qui est de la dernière importance, s'il est parfait. Oui, je le
    redis encore, il importe de tout, s'il est parfait ; car, lorsque nous ne
    nous attachons qu'à notre seul Créateur, et ne considérons que
    comme un néant toutes les choses créées, sa souveraine majesté
    remplit notre âme de tant de vertus, que, pourvu qu'en travaillant de
    tout notre pouvoir, nous nous avancions peu à peu, nous n'aurons pas
    ensuite beaucoup à combattre, parce que Notre-Seigneur s'armera
    pour notre défense contre les démons et contre le monde.
    Croyez-vous, mes filles, que ce soit un bien peu considérable
    que de nous en procurer un aussi grand qu'est celui de nous donner
    entièrement à Dieu, sans division et sans partage, puisque tous les
    biens sont en lui comme dans leur source ? Rendons-lui mille grâces,
    mes sœurs, de ce qu'il lui a plu de nous rassembler et nous unir en un
    lieu où l'on ne s'entretient d'autre chose. Mais pourquoi vous dire
    ceci, puisqu'il n'y en a pas une de vous qui ne soit capable de
    m'instruire, et qu'étant si important d'être détachée de tout, je me vois
    si éloignée de l'être autant que je le souhaiterais, et que je comprends
    qu'on le doit être ? Je pourrais dire la même chose de toutes les
    vertus dont je parle dans ce discours, puisqu'il est plus difficile de les
    pratiquer que de les écrire, et que même je m'acquitte mal de cette
    dernière chose, parce qu'il n'y a quelquefois que l'expérience qui
    puisse en faire bien parler.
    Ainsi, s'il arrive que je ne rencontre pas mal en quelque chose,
    c'est que les contraires se connaissant par leurs contraires, j'ai appris
    à connaître ces vertus en tombant dans les vices qui leur sont
    contraires.
    DU BONHEUR DE LA VOCATION RELIGIEUSE.
    Quant à ce qui est de l'extérieur, on voit assez combien nous
    sommes séparées de toutes choses dans cette retraite ; et il semble
    que Notre-Seigneur, en nous y amenant, ait voulu nous séparer de
    tout en cette manière pour lever les obstacles qui pourraient nous
    empêcher de nous approcher de lui. « O mon Seigneur et mon
    maître ! comment ai-je pu, en mon particulier, et comment avonsnous
    pu toutes mériter une si grande faveur que celle que vous nous
    avez faite de daigner nous chercher et nous choisir parmi tant
    d'autres, pour vous communiquer si particulièrement à nous ? Plaise
    à votre divine bonté que nous ne nous rendions pas indignes, par
    notre faute, d'une telle grâce ! » Je vous conjure, mes filles, au nom
    du Dieu tout-puissant, de songer à l'extrême obligation que nous lui
    avons de nous avoir amenées en cette maison : que chacune de vous
    rentre en elle-même pour bien la considérer, et se mettre devant les
    yeux que les douze seulement qu'il a plu à sa haute majesté
    d'assembler ici, elle a le bonheur d'en être une. Hélas ! combien y en
    a-t-il de meilleures que moi, qui auraient reçu avec une incroyable
    joie la place qu'il lui a plu de m'y donner, quoique j'en fusse si
    indigne ! Soyez béni, mon Sauveur, et que les anges et toutes les
    créatures vous louent de cette faveur que je ne puis assez reconnaître,
    non plus que tant d'autres que vous m'avez faites, entre lesquelles
    celle de m'avoir appelée à la religion est si grande. Mais comme j'ai
    très-mal répondu à une vocation si sainte, vous n'avez pas voulu,
    Seigneur, me laisser plus longtemps, sur ma foi, dans un monastère
    où, entre ce grand nombre de religieuses qu'il y avait, il s'en trouvait
    tant de vertueuses, parmi lesquelles on n'aurait pu connaître le
    dérèglement de ma vie, que j'aurais caché moi-même, comme j'ai fait
    durant tant d'années. Ainsi, mon Dieu, vous m'avez amenée dans
    cette maison, où n'y ayant qu'un si petit nombre de personnes, il est
    comme impossible que mes défauts ne soient pas connus ; et pour
    m'engager à veiller davantage sur moi-même, vous m’ôtez toutes les
    occasions qui seraient capables de m'en empêcher. Je confesse donc,
    ô mon Créateur, qu'il ne me reste maintenant aucune excuse, et que
    j'ai plus besoin que jamais de votre miséricorde pour obtenir le
    pardon de mes offenses.
    DU DÉTACHEMENT DES PARENTS.
    Je conjure celles qui jugeront ne pouvoir observer ce qui se
    pratique parmi nous de le déclarer avant que de faire profession. Il y
    a d'autres monastères où Dieu est servi, et où elles peuvent aller, sans
    troubler ce petit nombre qu'il lui a plu de rassembler en cette maison.
    On permet ailleurs aux religieuses de se consoler avec leurs parents ;
    mais ici on ne parle pas à ses parents, si ce n'est pour les consoler
    eux-mêmes. Toute religieuse qui désire voir ces proches pour sa
    propre consolation, et qui la seconde fois qu'elle leur parle ne se lasse
    pas de les voir, à moins qu'ils soient dans la piété, doit se réputer
    imparfaite, et croire qu'elle n'est point détachée. Son âme est
    malade ; elle ne jouira point de la liberté de l'esprit ; elle n'aura point
    de paix véritable, et elle a besoin d'un médecin. Que si elle ne
    renonce à cette attache, et ne se guérit pas de cette imperfection, je
    lui déclare qu'elle n'est pas propre à demeurer dans ce monastère. Le
    meilleur remède de ce mal est, à mon avis, de ne point voir ses
    parents jusqu'à ce qu'elle se sente délivrée de l'affection de les voir,
    et qu'elle ait obtenu de Dieu cette grâce, après l'en avoir beaucoup
    prié. Que si ce lui est une peine et comme une croix que de les voir,
    qu'elle les voie quelquefois, j'y consens, afin de leur profiter en
    quelque chose, ainsi qu'elle leur profilera sans doute, sans se nuire à
    elle-même. Mais si elle les aime, si elle s'afflige beaucoup de leurs
    peines, et si elle écoute volontiers ce qui se passe à leur sujet dans le
    monde, elle doit croire qu'elle leur sera utile, et se fera beaucoup tort
    à elle-même.

    http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/carmel/theresedavila/Oeuvres%20par%20titre/Fran%E7ais/7%20Le%20Chemin%20de%20la%20perfection.pdf

    Offline poche

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    Chemin de la Perfection
    « Reply #9 on: February 21, 2017, 11:51:57 PM »
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  • CHAPITRE IX
    Combien il est utile de se détacher de la trop grande affection de
    ses proches, et que l'on reçoit plus d'assistance des amis que Dieu nous
    donne que l'on n'en reçoit de ses parents.
    DU DÉTACHEMENT DES PARENTS.
    Si nous, qui sommes religieuses, savions quel est le préjudice
    que nous recevons de converser beaucoup avec nos proches, de
    quelle sorte ne les fuirions-nous pas ! J'avoue que je ne comprends
    pas, laissant même à part ce qui est de Dieu, quel avantage nous
    pouvons recevoir d'eux pour notre consolation et notre repos,
    puisque, ne pouvant ni ne nous étant permis de prendre part à leurs
    plaisirs, nous ne saurions que sentir leurs déplaisirs, et répandre peut-
    être plus de larmes sur leurs peines qu'ils n'en répandent quelquefois
    eux-mêmes. Ainsi je puis dire hardiment à ces religieuses que, si
    elles en reçoivent quelque satisfaction dans leurs sens, cette
    satisfaction coûtera cher à leur esprit.
    Vous êtes, mes sœurs, bien délivrées de cette crainte dans ce
    monastère, puisque vous n'avez rien qu'en commun, et qu'ainsi, ne
    pouvant recevoir d'aumône qui ne soit pour toute la communauté,
    nulle de vous n'est obligée pour ce sujet d'avoir de la complaisance
    pour ses parents, et ne peut douter que Dieu ne nous assiste toutes en
    général, et ne pourvoie à tous vos besoins.
    Je ne saurais penser, sans étonnement, au dommage que l'on
    reçoit de converser avec ses proches. Il est tel, que je doute qu'on le
    puisse croire si on ne l'a éprouvé ; et je ne suis pas moins étonnée de
    ce que la perfection de notre état, qui nous oblige de nous en séparer,
    paraît aujourd'hui si effacée dans la plupart des maisons religieuses,
    qu'il n'y en reste presque plus aucune trace. Je ne sais pas ce que
    nous quittons en quittant le monde, nous qui disons que nous quittons
    tout pour Dieu, si nous ne quittons le principal, qui est nos parents.
    Cela est venu jusqu'à un tel point, que l'on prétend faire passer pour
    un défaut de vertu en des personnes religieuses de ne pas aimer
    beaucoup leurs proches ; et l'on veut même prouver, par des raisons,
    que c'est un défaut de ne pas converser souvent avec eux. Mais, mes
    filles, ce que nous devons faire, en cette maison, après nous être
    acquittées des devoirs dont je vous ai parlé, et qui regarde l'Église,
    c'est de recommander beaucoup nos parents à Dieu, et d'effacer
    ensuite le plus que nous pourrons de notre mémoire ce qui les
    regarde, parce que c'est une chose naturelle que d'y attacher notre
    affection, plutôt qu'aux autres personnes. Mes parents m'ont
    extrêmement aimée, à ce qu'ils disaient, et je les aimais d'une
    manière qui ne leur permettait de m’oublier. Mais j'ai éprouvé, en
    moi-même et en d'autres, qu’excepté les pères et les mères, que l'on
    voit rarement abandonner leur enfants, et dont, ainsi que de nos
    frères et de nos sœurs, il n'est pas juste de nous éloigner lorsqu'ils ont
    besoin de consolation, et que nous pouvons la leur donner en
    demeurant toujours dans un parfait détachement ; j'ai éprouvé, dis-je,
    lorsque je me suis vue dans de grands besoins, que tous mes autres
    proches ont été ceux dont j'ai reçu le moins d'assistance, et je n'ai eu
    du secours que des personnes qui faisaient profession d'être à Dieu.
    Croyez, mes sœurs, que si vous le servez fidèlement, vous ne
    trouverez point de meilleurs parents : je le sais par expérience ; et
    pourvu que vous demeuriez fermes dans cette résolution, dont vous
    ne pourriez vous départir sans manquer à votre céleste époux, qui est
    votre ami le plus véritable, vous vous trouverez bientôt délivrées de
    cette attache à vos parents.
    Assurez-vous aussi que vous pouvez beaucoup plus vous
    confier en ceux qui ne vous aimeront que pour l'amour de NotreSeigneur,
    que non pas en tous vos parents. Ils ne vous manqueront
    jamais, et lorsque vous y penserez le moins, vous trouverez en eux et
    des pères et des frères. Comme ils espèrent en recevoir de Dieu la
    récompense, ils nous assistent de tout leur pouvoir pour l'amour de
    lui : au lieu que ceux qui prétendent tirer de nous leur récompense,
    nous voyant incapables par notre pauvreté de la leur donner, et que
    nous leur sommes entièrement inutiles, se lassent bientôt de nous
    assister. Je sais que cela n'est pas général, mais qu'il arrive
    d'ordinaire, parce que le monde est toujours le monde.
    Si on vous dit le contraire et qu'on veuille le faire passer pour
    une vertu, ne le croyez pas. Il vous en arriverait tant de maux, qu'il
    faudrait m'engager dans un grand discours pour vous les représenter ;
    mais, puisque de plus habiles que moi en ont écrit, je me contenterai
    de ce que je vous ai dit. Que, si toute imparfaite que je suis, j'ai vu si
    clairement le préjudice que cela apporte, jugez ce que pourront faire
    ceux qui sont beaucoup plus intelligents et plus vertueux que moi.
    Les saints nous conseillent de fuir le monde ; eh ! qui doute
    que tout ce qu'ils nous disent sur ce sujet ne nous soit très-utile ?
    Croyez-moi, comme je vous l'ai déjà dit, rien ne nous y attache tant
    que nos parents, et rien n'est si difficile que de nous en détacher.
    J'estime pour cette raison que celles qui abandonnent leur pays
    font bien, pourvu que cet éloignement les détache de l'affection de
    leurs proches ; car le véritable détachement ne consiste pas à
    s'éloigner d'eux d'une présence corporelle, mais à s'unir de tout son
    corps et de toute son âme à Jésus-Christ, parce que trouvant tout en
    lui, on n'a pas peine à tout oublier pour l'amour de lui, quoique la
    séparation de nos proches soit toujours fort avantageuse, jusqu'à ce
    que nous connaissions cette vérité. Mais alors Notre-Seigneur, pour
    nous faire trouver de la peine à ce qui nous donnait auparavant du
    plaisir, permettra peut-être que nous serons obligées de converser
    avec nos parents.

    http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/carmel/theresedavila/Oeuvres%20par%20titre/Fran%E7ais/7%20Le%20Chemin%20de%20la%20perfection.pdf

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    « Reply #10 on: March 03, 2017, 04:58:51 AM »
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  • CHAPITRE X.
    Qu'il ne s'agit pas de se détacher de ses proches, si on ne se
    détache de soi-même par la mortification. Que cette vertu est jointe à
    celle de l'humilité. Qu'il ne faut pas préférer les pénitences que l'on
    choisit à celles qui sont d'obligation, ni se flatter dans celles que l'on
    doit faire.
    Lorsque nous serons ainsi détachées du monde et de nos
    parents, et que nous vivrons renfermées dans un monastère en la
    manière que nous avons dite, il semblera peut-être que tout sera fait
    et qu'il ne nous restera plus d'ennemis à combattre. O mes sœurs !
    n'ayez pas cette opinion, et gardez-vous bien de vous endormir. Vous
    feriez comme celui qui va se coucher sans crainte, après avoir bien
    fermé sa porte de peur des voleurs, et qui les aurait dans sa maison. Il
    n'y en a point de plus dangereux que les domestiques, et comme nous
    sommes nous-mêmes ces voleurs intérieurs et secrets, et que nous
    demeurons toujours avec nous-mêmes, si nous ne prenons un soin
    tout particulier de combattre sans cesse notre volonté, plusieurs
    choses seront capables de nous faire perdre cette sainte liberté
    d'esprit, qui, nous dégageant du poids de toutes les choses terrestres,
    peut nous faire prendre notre vol vers notre céleste Créateur.
    Il sera fort utile pour ce sujet d'avoir toujours dans l'esprit que
    tout n'est que vanité et finit en un moment, afin de détacher notre
    affection de ces choses passagères, pour l'attacher à ce qui subsistera
    éternellement. Car bien que ce moyen semble faible, il ne laisse pas
    de fortifier beaucoup notre âme en faisant, dans les moindres choses,
    que lorsque nous nous apercevons que notre inclination nous y porte,
    nous prenions un extrême soin d'en retirer notre pensée pour la
    tourner toute vers Dieu, en quoi sa majesté nous assiste. Que nous lui
    sommes obligées, en cette maison, de ce qu'en renonçant à nos
    propres affections, nous avons fait le plus difficile, puisqu'il est
    certain que ce grand et intime amour que nous nous portons fait que
    rien ne nous paraît si rude que cette séparation de nous-mêmes, et
    cette guerre que nous nous faisons par une mortification continuelle.
    DE L'HUMILITÉ JOINTE À LA MORTIFICATION, ET AU DÉTACHEMENT DE SOIMÊME.
    C'est ici que la véritable humilité peut trouver sa place, car il
    me semble que cette vertu et celle du renoncement à nous-mêmes se
    tiennent toujours compagnie : ce sont deux sœurs que nous ne devons
    jamais séparer ; et au lieu que je vous conseille de vous éloigner de
    vos autres parents, je vous exhorte d'embrasser ceux-ci, de les aimer,
    et de ne jamais les perdre de vue.
    O souveraines vertus, reines du monde et chères amies de
    Notre-Seigneur, vous qui dominez sur toutes les choses créées, et
    nous délivrez de toutes embûches du démon, celui qui vous possède
    peut combattre hardiment contre tout l'enfer uni ensemble, contre le
    monde tout entier et tous ses attraits, sans avoir peur de quoi que ce
    soit, parce que le royaume du ciel lui appartient. Que pourrait-il
    craindre, puisqu'il compte pour rien de tout perdre, et ne compte pas
    même cette perte pour une perte ? Son unique appréhension est de
    déplaire à son Dieu, et il le prie sans cesse de le fortifier dans ces
    deux vertus, afin qu'il ne les perde point par sa faute. Elles ont cela
    de propre de se cacher de telle sorte à celui qu'elles enrichissent, qu'il
    ne les aperçoit point, ni ne peut croire de les avoir, quoi qu'on puisse
    lui dire pour le lui persuader ; et il les estime tant, qu'il ne se lasse
    jamais de travailler pour les acquérir et s'y perfectionner de plus en
    plus. Or, quoique ceux qui possèdent ces vertus ne veulent pas être
    estimés tels qu'ils sont en effet, ils se font connaître, contre leur
    intention, et l'on ne saurait traiter avec eux sans s'en apercevoir
    aussitôt.
    Mais quelle folie me fait entreprendre de louer l'humilité et la
    mortification, après qu'elles ont reçu de si hautes louanges de celui
    même qui est le roi de la gloire, et qu'il a fait voir par ses souffrances
    jusques à quel point il les estime ? C'est donc ici, mes filles, qu'il faut
    faire tous vos efforts pour sortir hors de l'Egypte, puisqu'en
    possédant ces deux vertus, elles seront comme une manne céleste qui
    vous fera trouver de la douceur et des délices dans les choses qui sont
    les plus âpres et les plus amères au goût du monde.
    Ce que nous devons premièrement faire pour ce sujet est de
    renoncer à l'amour de notre corps : en quoi il n'y a pas peu à
    travailler, parce que quelques-unes de nous aiment tant leurs aises et
    leur santé, qu'il n'est pas croyable combien ces deux choses font une
    rude guerre, aussi bien aux religieuses qu'aux personnes du monde. Il
    semble que quelques-unes n'aient embrassé la religion que pour
    travailler à ne point mourir, tant elles prennent soin de vivre. Je
    demeure d'accord qu'en cette maison cela ne se remarque guère dans
    les actions ; mais je voudrais que l'on n'en eût pas même le désir.
    Faites état, mes sœurs, que vous venez ici à dessein d'y mourir pour
    Jésus-Christ, et non pas d'y vivre à votre aise pour pouvoir servir
    Jésus-Christ, comme le diable s'efforce de le persuader, en insinuant
    que cela est nécessaire pour bien observer la règle. Ainsi, l'on a tant
    de soin de conserver sa santé pour garder la règle, qu'on ne la garde
    jamais en effet, et qu'on meurt sans l'avoir accomplie entièrement
    durant un seul mois, ni même peut-être durant un seul jour.
    J'avoue ne comprendre pas pourquoi nous sommes donc venues
    ici. Et en vérité, il n'y a pas sujet d'appréhender que la discrétion
    nous manque en ce point. Ce serait une grande merveille si cela
    arrivait ; car nos confesseurs craignent aussitôt que nous ne nous
    fassions mourir par des pénitences excessives, et nous avons par
    nous-mêmes une telle répugnance à ce manquement de discrétion,
    que plût à Dieu que nous fussions aussi exactes en tout le reste ! Je
    sais que celles qui pratiquent fidèlement ces pénitences austères n'en
    demeureront pas d'accord, et répondront peut-être que je juge des
    autres par moi-même. Je confesse qu'il est vrai ; mais il y en a plus, si
    je ne me trompe, qui me ressemblent dans ma faiblesse, qu'il n'y en
    aura qui se trouveront offensées de ce que je crois les autres aussi
    faibles que je le suis. C'est pour cette raison, à mon avis, que NotreSeigneur
    permet que nous soyons si malsaines, et je considère
    comme une grande miséricorde qu'il m'a faite, de l'être. Comme il
    voit que je prendrais tant de soin de me conserver, il a voulu qu'il y
    en eût au moins quelque sujet.
    DES PÉNITENCES INDISCRÈTES
    C'est une chose singulière de voir les tourments que quelquesuns
    se donnent sans que personne les y oblige. Il leur vient
    quelquefois un caprice de faire des pénitences déréglées et
    indiscrètes, qui durent environ deux jours, et le diable leur met
    ensuite dans l'esprit qu'elles font tort à leur santé, et qu'après avoir
    éprouvé combien elles leur sont préjudiciables, elles ne doivent
    jamais plus en faire, non pas même celles qui sont d'obligation dans
    notre ordre. Nous n'observons pas seulement les moindres choses de
    la règle, comme le silence, quoiqu'il ne puisse nuire à notre santé.
    Nous ne nous imaginons pas plus tôt d'avoir mal à la tête, que nous
    cessons d'aller au chœur, quoiqu'en y allant nous n'en fussions pas
    malades. Ainsi nous manquons un jour d'y aller parce que nous avons
    mal à la tête ; un autre jour, parce que nous y avons eu mal ; et deux
    ou trois autres jours, de crainte d'y avoir mal. Et nous voulons, après
    cela, inventer, selon notre fantaisie, des pénitences, qui ne servent le
    plus souvent qu'à nous rendre incapables de nous acquitter de celles
    qui sont d'obligation. Quelquefois même, l'incommodité qu'elles
    nous causent étant fort petite, nous croyons devoir être déchargées de
    tout, et satisfaire à notre devoir, pourvu que nous demandions
    permission.
    Vous me demanderez sans doute pourquoi la prieure vous
    donne donc cette permission. Je réponds que si elle pouvait voir le
    fond de votre cœur, elle ne vous la donnerait peut-être pas. Mais
    comme vous lui représentez qu'il y a de la nécessité, et ne manquez
    ni d'un médecin qui confirme ce que vous dites, ni d'une amie ou
    d'une parente qui vient pleurer auprès d'elle, quoique la pauvre mère
    juge qu'il y a de l'abus, que peut-elle faire ? La crainte de manquer à
    la charité la met en scrupule ; elle aime mieux que la faute tombe, sur
    vous que non pas sur elle ; et elle appréhende de faire un mauvais
    jugement de vous. O mon Dieu, pardonnez-moi si je dis que je crains
    fort que ces sortes de plaintes ne soient déjà passées en coutumes
    parmi les religieuses. Comme elles sont du nombre des choses qui
    peuvent arriver quelquefois, j'ai cru, mes filles, en devoir parler ici,
    afin que vous y preniez garde. Car si le démon commence à nous
    effrayer par l'appréhension de la ruine de notre santé, nous ne ferons
    jamais rien de bon. Dieu veuille nous donner, par sa grâce, la lumière
    dont nous avons besoin pour nous bien conduire en toutes choses.

    http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/carmel/theresedavila/Oeuvres%20par%20titre/Fran%E7ais/7%20Le%20Chemin%20de%20la%20perfection.pdf


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    « Reply #11 on: March 08, 2017, 12:07:28 AM »
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  • CHAPITRE XI.
    Ne pas se plaindre pour de légères indispositions. Souffrir de
    grands maux avec patience. Ne point appréhender la mort ; et quel
    bonheur c'est que d'assujétir le corps à l'esprit.
    Il me semble, mes sœurs, que c'est une très-grande
    imperfection que de se plaindre sans cesse pour de petits maux. Si
    vous les pouvez souffrir, souffrez-les. S'ils sont grands, ils se
    plaindront assez d'eux-mêmes par une autre manière de plainte, et ne
    pourront pas longtemps être cachés. Considérez qu'étant ici en petit
    nombre, si vous avez de la charité, et que l'une de vous prenne cette
    mauvaise coutume, elle donnera beaucoup de peine à toutes les
    autres. Quant à celles qui seront véritablement malades, elles doivent
    le dire et souffrir qu'on les assiste de ce qui leur sera nécessaire. Que
    si vous êtes une fois délivrées de l'amour-propre, vous ressentez de
    telle sorte jusqu'aux moindres des bons traitements qu'on vous fera,
    qu'il ne vous faudra pas craindre que vous en preniez aucun sans
    nécessité, ni que vous vous plaigniez sans sujet. Mais quand vous en
    aurez un légitime, il sera aussi à propos de le dire, qu'il serait mal de
    prendre du soulagement sans besoin. On aurait même grand tort si
    l'on manquait alors de soin à vous assister. et vous ne sauriez douter
    qu'on ne le fasse dans une maison d'oraison et de charité comme
    celle-ci, où le nombre des personnes qui y demeurent est si petit, qu'il
    est facile d'y remarquer les besoins les unes des autres.
    Désaccoutumez-vous donc de vous plaindre de certaines faiblesses et
    indispositions de femmes qui ne sont pas de longue durée, et dont le
    diable remplit quelquefois l'imagination. Contentez-vous d'en parler
    seulement à Dieu ; autrement vous courez risque de n'en être jamais
    délivrées.
    J'insiste beaucoup sur ce point, parce que je l'estime fort
    important, et je crois que c'est l'une des choses qui causent le plus de
    relâchement dans les monastères. Car plus on flatte le corps, plus il
    s'affaiblit et demande qu'on le caresse. C'est une chose étrange que
    les prétextes que cette inclination lui fait trouver pour se soulager
    dans ses maux ; quelque légers qu'ils puissent être, il trompe ainsi
    l'âme et l'empêche de s'avancer dans la vertu. Songez, je vous prie,
    combien il y a de pauvres malades qui n'ont pas seulement à qui se
    plaindre, puisque ces deux choses ne s'accordent point ensemble,
    d'être pauvre et d'être bien traité. Représentez-vous aussi combien il
    y a de femmes mariées (car je sais qu'il y en a beaucoup et de bonne
    condition), qui, bien qu'elles souffrent de grandes peines, n'osent s'en
    plaindre, de peur de fâcher leurs maris. Hélas ! pécheresses que nous
    sommes, sommes-nous donc venues en religion pour être plus à notre
    aise qu'elles n'y sont ? Puisque vous êtes exemptes des travaux que
    l'on souffre dans le monde, apprenez au moins à souffrir quelque
    chose pour l'amour de Dieu, sans que tout le monde le sache. Une
    femme mal mariée n'ouvre pas la bouche pour se plaindre, mais
    souffre son affliction sans s'en consoler avec personne, de crainte que
    son mari ne sache qu'elle se plaint : et nous ne souffririons pas entre
    Dieu et nous quelques-unes des peines que méritent nos péchés,
    principalement lorsque nos plaintes seraient inutiles pour les
    soulager ?
    Je ne prétends point en ceci parler des grands maux, tels que
    sont une fièvre violente, quoique je désire qu'on les supporte toujours
    avec modération et patience ; mais j'entends parler de ces légères
    indispositions que l'on peut souffrir sans se mettre au lit, et sans
    donner de la peine à tout le monde. Que si ce que j'écris était vu hors
    de cette maison, que diraient de moi toutes les religieuses ? Mais que
    de bon cœur je le souffrirais, si cela pouvait servir à quelqu'une. Car,
    lorsqu'il s'en trouve une seulement dans un monastère qui se plaint
    ainsi sans sujet des moindres maux, il arrive que le plus souvent on
    ne veut plus croire les autres, quelque grands que soient les maux
    dont elles se plaignent.
    SOUFFRIR PATIEMMENT LES GRANDS MAUX.
    Remettons-nous devant les yeux les saints ermites des siècles
    passés que nous considérons comme pères, et dont nous prétendons
    imiter la vie. Combien de travaux et de douleurs souffraient-ils dans
    leur solitude par l'extrême rigueur du froid, par l'excessive ardeur du
    soleil, par la faim et par tant d'autres incommodités, sans avoir à qui
    s'en plaindre, sinon à Dieu seul ! Croyez-vous donc qu'ils fussent de
    fer, et non pas de chair et d'os comme nous ? Tenez pour certain, mes
    filles, que lorsque nous commençons à vaincre et à nous assujettir
    nos corps, ils ne nous tourmentent plus tant. Assez d'autres prendront
    soin de ce qui vous est nécessaire ; et ne craignez point de vous
    oublier vous-même, à moins qu'une évidente nécessité ne vous oblige
    de vous en souvenir.
    Si nous ne sommes résolues de fouler aux pieds l'appréhension
    de la mort et la perte de notre santé, nous ne ferons jamais rien de
    bon. Efforcez-vous donc, pour en venir là, de vous abandonner
    entièrement à Dieu, quoi qu'il puisse vous en arriver. Car que nous
    importe de mourir ? Ce misérable corps s'étant tant de fois moqué de
    nous, n'aurons-nous pas le courage de nous moquer au moins une
    fois de lui ? Croyez-moi, mes sœurs, cette résolution est d'une plus
    grande conséquence que nous ne saurions nous l'imaginer, puisque si
    nous nous accoutumons à traiter notre corps avec cette fermeté, nous
    nous l'assujettirons peu à peu, et en deviendrons enfin les maîtresses.
    Or c'est un grand point pour demeurer victorieux dans les combats de
    cette vie, que d'avoir vaincu un tel ennemi. Je prie Dieu, qui seul en a
    le pouvoir, de nous en faire la grâce. Je crois qu'il n'y a que ceux qui
    jouissent déjà du plaisir de cette victoire qui soient capables de
    comprendre l'avantage qu'elle nous apporte. Il est si grand, que je me
    persuade que si quelqu'un le pouvait connaître avant que de le
    posséder, il souffrirait tout sans peine pour jouir de ce repos et de cet
    empire sur soi-même.

    http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/carmel/theresedavila/Oeuvres%20par%20titre/Fran%E7ais/7%20Le%20Chemin%20de%20la%20perfection.pdf

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    « Reply #12 on: March 13, 2017, 12:25:29 AM »
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  • CHAPITRE XII.
    De la nécessité de la mortification intérieure. Qu'il faut mépriser
    la vie et assujettir notre volonté. Quelle imperfection c'est que
    J'affecter les prééminences ; etremède pour ne pas y tomber.
    Il faut passer à d'autres choses, qui, bien qu'elles semblent peu
    importantes, le sont beaucoup. Tout parait pénible dans la vie que
    nous menons, et avec raison, vu que c'est une guerre continuelle que
    nous nous faisons à nous-mêmes. Mais lorsque nous commençons à
    combattre, Dieu agit dans nos âmes, et nous favorise de tant de
    grâces, que tout ce que nous pouvons faire et souffrir, nous paraît
    léger. Or, puisqu'en nous rendant religieuses nous avons fait le plus
    difficile, qui est d'engager pour l'amour de Dieu notre liberté en
    l'assujettissant au pouvoir d'autrui, et de nous obliger à jeûner, à
    garder le silence, à demeurer en clôture, à assister au chœur et à
    l'office, et à tant d'autres travaux, sans que, quelque désir que nous
    eussions de nous soulager, nous ne le puissions que très-rarement,
    ayant peut-être été la seule à qui cela soit arrivé dans tant de
    monastères où j'ai été ; pourquoi ne travaillerions-nous pas à
    mortifier aussi notre intérieur, puisqu'étant bien réglé, l'extérieur le
    sera aussi, et qu'il n'y aura rien que nous ne fassions non seulement
    avec plus de perfection et de mérite, mais avec beaucoup de douceur
    et de repos ?
    Cela s'acquiert peu à peu, comme je l'ai dit, en résistant même
    dans les moindres choses à notre propre volonté, jusqu'à ce que notre
    corps soit entièrement assujéti à notre esprit. Je le redis encore. Tout,
    ou presque tout consiste à renoncer au soin de nous-mêmes et à ce
    qui regarde notre satisfaction. Et le moins que puisse faire celui qui
    commence à servir Dieu véritablement, c'est de lui offrir sa vie après
    lui avoir donné sa volonté. Que peut-on craindre en la lui offrant,
    puisque toutes les personnes véritablement religieuses ou unies à
    Dieu par la prière, et qui prétendent recevoir de lui des faveurs, ne
    sauraient ne vouloir point mourir pour lui, et porter leur croix pour le
    suivre sans tourner jamais la tête en arrière ? Ne savez-vous pas, mes
    sœurs, que la vie d'un bon religieux et de celui qui aspire à être du
    nombre des plus chers amis de Dieu, est un long martyre ? Je dis
    long en comparaison de ceux à qui l'on tranche la tête, quoiqu'on le
    puisse nommer court eu égard à la brièveté de cette vie, qui ne
    pouvant jamais être longue, se trouve quelquefois être très-courte. Et
    que savons-nous si la nôtre ne finira point une heure, ou même un
    moment après que nous aurons pris la résolution de servir Dieu ? Car
    cela ne pourrait-il pas arriver, puisqu'on ne saurait faire de fondement
    certain sur une chose qui doit finir, et moins encore sur cette vie qui
    n'a pas seulement un jour d'assuré ? Ainsi en pensant qu'il n'y a point
    d'heure qui ne puisse être notre dernière, qui sera celui qui ne voudra
    pas bien l'employer ?
    Croyez-moi, mes sœurs, le plus sûr est d'avoir toujours ces
    pensées devant les yeux. Apprenons donc à contredire en toutes
    choses notre volonté ; car, encore que vous n'en veniez pas sitôt à
    bout, néanmoins si vous y travaillez avec soin, et par le moyen de
    l'oraison, vous arriverez insensiblement et sans y penser, au comble
    de cette vertu. Il est vrai qu'il parait bien rude de dire que nous ne
    devons faire notre volonté en rien ; mais c'est lorsqu'on ne dit pas en
    même temps combien de plaisirs et de consolations accompagnent
    cette mortification, et les avantages qu'on en tire même durant cette
    vie. Ainsi, comme vous la pratiquez toutes, n'ai-je pas raison de dire
    que le plus difficile est déjà fait ? Vous vous entr'excitez, vous vous
    entr'aidez, et chacune de vous s'efforce en cela de surpasser sa
    compagne.
    CONTRE LES DÉSIRS DES PRÉÉMINENCES ET DE LA VANITÉ.
    Il faut apporter un extrême soin à réprimer nos mouvements
    intérieurs, principalement en ce qui concerne la préférence. Dieu
    nous garde, par sa sainte passion, d'avoir jamais volontairement ces
    pensées dans notre esprit, ou ces paroles dans notre bouche : il y a
    plus longtemps que je suis dans l'ordre que non pas cette autre, je
    suis plus âgée que celle-ci, j'ai plus travaillé que celle-là, on traite
    une telle mieux que moi. Il faut rejeter ces pensées à l'instant qu'elles
    se présentent ; car si vous vous y arrêtiez ou vous en entreteniez avec
    d'autres, elles deviendraient comme un poison et comme une peste
    qui produiraient de grands maux dans le monastère. Que s'il arrive
    que votre supérieure y consente et le souffre pour peu que ce soit,
    croyez que Dieu a permis pour vos péchés qu'elle ait été établie dans
    cette charge, afin d'être le commencement de votre perte. Implorez
    de tout votre cœur le secours du ciel, et que toutes vos oraisons
    tendent à obtenir le remède qui vous est nécessaire dans un tel
    besoin, puisque vous êtes sans doute en péril.
    Il y en aura peut-être qui demanderont pourquoi j'insiste tant
    sur ce point, et croiront que ce que je dis est trop sévère, puisque
    Dieu ne laisse pas de répandre ses faveurs sur ceux qui ne sont pas
    dans un si parfait détachement. Je crois que lorsque cela arrive, c'est
    parce qu'il connaît par sa sagesse infinie que ces âmes en ont besoin
    pour pouvoir se résoudre d'abandonner toutes choses pour l'amour de
    lui. Mais je n'appelle pas abandonner toutes choses d'entrer en
    religion, puisqu'on peut trouver encore des attaches et des liens dans
    la religion même, et que, au contraire, il n'y a point de lieu où une
    âme parfaite ne puisse être dans le détachement et l'humilité. Il est
    vrai néanmoins qu'il faut plus travailler pour cela en certains lieux
    que non pas en d'autres, et que l'on trouve de grands secours dans la
    retraite. Mais, croyez-moi, pour peu qu'il reste d'affection pour
    l'honneur ou pour le bien, ce qui peu arriver comme ailleurs dans les
    monastères, encore qu'il y en ait moins d'occasion et que la faute
    serait bien plus considérable, celles-là même qui auraient passé
    beaucoup d'années dans l'exercice de l'oraison, ou pour mieux dire de
    la spéculation, car la parfaite oraison corrige enfin ces mauvaises
    inclinations, ne s'avanceront jamais guère, et ne goûteront point le
    véritable fruit de l'oraison.
    Quoique ces choses semblent n'être que des bagatelles,
    considérez, mes sœurs, combien il vous importe de vous y bien
    conduire, puisque vous n'êtes venues ici que pour ce sujet. Que si
    vous en usez autrement, vous ne serez pas plus honorées pour avoir
    recherché un faux honneur, et vous perdrez au lieu de gagner, ou
    pour mieux dire, la honte sera jointe à votre perte. Que chacune de
    vous considère combien elle avance dans l'humilité, et elle connaîtra
    combien elle aura avancé dans la piété.
    Il me semble que pour ce qui regarde les prééminences, le
    démon n'oserait tenter, non pas même d'un premier mouvement, une
    personne qui est véritablement humble, parce qu'il est trop
    clairvoyant pour ne pas craindre que l'affront lui en demeure. Il sait
    que s'il attaque par cet endroit une âme qui a de l'humilité, il est
    impossible qu'elle ne se fortifie encore davantage dans cette vertu en
    faisant une réflexion sérieuse sur toute sa vie, car alors elle verra le
    peu de service qu'elle a rendu à Dieu, les extrêmes obligations dont
    elle lui est redevable, ce merveilleux abaissement qui l'a fait
    descendre jusqu'à elle pour lui donner un exemple d'humilité, la
    multitude de ses péchés, et le lieu où ils lui avaient fait mériter d'être
    précipitée : ce qui lui donnera une confusion qui lui sera si
    avantageuse, que cet ennemi de notre salut n'aura pas, comme je l'ai
    dit, la hardiesse de recommencer à la tenter, sachant bien que tous
    ses efforts seraient également honteux et inutiles.
    J'ai sur cela un avis à vous donner, que je vous prie de graver
    pour jamais dans votre mémoire ; c'est que si vous désirez de vous
    venger du démon, et d'être bientôt délivrées de ces sortes de
    tentations, il ne faut pas seulement en tirer de l'avantage dans votre
    intérieur, puisque ce serait une grande imperfection d'y manquer,
    mais tâcher de faire que les sœurs en profitent aussi par la manière
    dont vous vous conduirez en l'extérieur. Ainsi découvrez aussitôt à la
    prieure cette tentation que vous avez eue ; suppliez-la instamment de
    vous ordonner de faire quelque chose de vil et de bas, ou bien faitesle
    vous-même le mieux que vous pourrez. Travaillez à surmonter
    votre volonté dans les choses où elle aura de la répugnance, que
    Notre-Seigneur ne manquera pas de vous découvrir, et pratiquez les
    mortifications publiques qui sont en usage dans cette maison ; par ce
    moyen votre tentation ne durera guère, et il n'y a rien que vous ne
    soyez obligées de faire pour empêcher qu'elle ne dure longtemps.
    Dieu nous garde de ces personnes qui veulent allier l'honneur
    ou la crainte du déshonneur avec son service. Jugez, je vous prie,
    combien serait malheureux l'avantage que vous pourriez en espérer,
    puisque, comme je l'ai déjà dit, l'honneur se perd en le cherchant,
    principalement en ce qui regarde la préférence dans les charges, n'y
    ayant point de poison qui tue si promptement le corps que cette
    dangereuse inclination tue, si l'on peut parler ainsi, la perfection dans
    une âme.
    Vous direz peut-être que comme ce sont de petites choses et
    naturelles à tout le monde, on ne doit pas s'en mettre beaucoup en
    peine : ne vous y trompez pas, je vous prie, et gardez-vous bien de
    les négliger, puisqu'elles s'augmentent peu à peu dans les monastères,
    comme on voit peu à peu s'élever l'écuмe. Il n'y a rien de petit quand
    le péril est aussi grand qu'il l'est dans ces points d'honneur, où l'on
    s'arrête à faire des réflexions sur le tort que l'on peut nous avoir fait.
    Voulez-vous en savoir une raison entre plusieurs autres ? c'est que le
    diable ayant commencé à vous tenter par une chose très-peu
    considérable, il la fera paraître si importante à l'une de vos sœurs,
    qu'elle croira faire une action de charité en vous disant qu'elle ne
    comprend pas comment vous pouvez endurer un tel affront, qu'elle
    prie Dieu de vous donner de la patience, que vous lui devez offrir
    cette injure, et qu'un saint ne pourrait pas souffrir davantage.
    Enfin cet esprit infernal envenime de telle sorte la langue de
    cette religieuse, qu'encore que vous soyez résolue de souffrir ce
    déplaisir, il vous reste une tentation de complaisance et de vaine
    gloire de l'avoir souffert, quoique ce n'ait été avec la perfection que
    vous voudriez ; car notre nature est si faible, que lors même que nous
    retranchons les sujets de vanité, en disant que cela ne mérite pas de
    passer pour une souffrance, nous ne laissons pas de croire que nous
    avons fait quelque action de vertu, et de le sentir ; à combien plus
    forte raison donc le sentirons-nous quand nous verrons que les autres
    en sont touchés pour l'amour de nous ? Ainsi notre peine
    s'augmente ; nous nous imaginons d'avoir raison ; nous perdons les
    occasions de mériter ; notre âme demeure faible et abattue, et nous
    ouvrons la porte au démon pour revenir encore plus dangereusement
    nous attaquer. Il pourra même arriver que lorsque vous serez dans la
    résolution de souffrir avec patience, quelques-unes vous viendront
    demander si vous êtes donc une stupide et une bête, et s'il n'est pas
    juste d'avoir quelque sentiment des injures que l'on nous fait. Au nom
    de Dieu, mes chères filles, que nulle de vous ne se laisse aller à cette
    indiscrète charité de témoigner de la compassion en ce qui regarde
    ces injures et ces torts imaginaires, puisque ce serait imiter les amis
    et la femme du bienheureux Job.

    http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/carmel/theresedavila/Oeuvres%20par%20titre/Fran%E7ais/7%20Le%20Chemin%20de%20la%20perfection.pdf

    Offline poche

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    Chemin de la Perfection
    « Reply #13 on: March 14, 2017, 11:47:46 PM »
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  • CHAPITRE XIII.
    Suite du discours de la mortification. Combien il importe de
    déraciner promptement une mauvaise coutume, et fuir le désir d'être
    estimé. Qu'il ne faut pas se bâter de recevoir les religieuses à faire
    profession.
    Je ne me contente pas de vous l'avoir souvent dit, mes sœurs, je
    veux encore vous le laisser par écrit, afin que vous ne l'oubliiez
    jamais. Non-seulement toutes celles qui seront en cette maison, mais
    toutes les personnes qui désirent d'être parfaites doivent fuir de mille
    lieues de tels et semblables discours : J'avais raison, on m'a fait tort,
    il n'y avait nulle apparence de me traiter de la sorte Dieu nous garde,
    s'il lui plaît, de ces mauvaises raisons. Y avait-il donc à votre avis
    quelque raison pour faire souffrir tant d'injures à Jésus-Christ notre
    Sauveur qui était la bonté même, et pour le traiter avec des injustices
    et des cruautés si opposées à toute sorte de raison ? J'avoue que je ne
    conçois pas ce que peut faire une religieuse dans un monastère
    lorsqu'elle ne veut point porter d'autres croix que celles qui sont
    fondées en raison. Elle ferait beaucoup mieux de retourner dans le
    monde où toutes ces belles raisons ne l'empêcheraient pas de souffrir
    mille déplaisirs. Pouvez-vous donc endurer des choses si rudes que
    vous ne méritiez pas de souffrir encore davantage ? Et quelle raison
    pouvez-vous avoir de vous plaindre ? Pour moi, je confesse que je ne
    saurais le comprendre.
    Lorsqu'on nous rend de l'honneur, que l'on nous caresse et que
    l'on nous traite favorablement, c'est alors que nous devrions nous
    servir de ces raisons, puisque c'est sans doute contre toute sorte de
    raison que nous sommes bien traitées durant cette vie. Mais quand on
    nous fait quelque tort (car c'est le nom que l'on donne à des choses
    qui ne le méritent pas) sans en effet nous faire tort, je ne vois pas
    quel sujet nous pouvons avoir de nous en plaindre. Nous sommes les
    épouses d'un roi éternel ou nous ne le sommes pas. Si nous le
    sommes, y a-t-il quelque honnête femme qui, soit qu'elle le veuille ou
    qu'elle ne le veuille pas, ne participe point aux outrages que l'on fait à
    son mari, vu que tous les biens et les maux leur sont communs ? et
    puisqu'en qualité d'épouses nous prétendons de régner avec notre
    époux dans le comble de son bonheur et de sa gloire, n'y aurait-il pas
    de la folie à ne vouloir point participer à ses injures et à ses travaux ?
    Dieu nous préserve, s'il lui plaît, d'un désir si extravagant ; mais au
    contraire que celle d'entre nous qui passera pour la moins considérée
    se croie la plus heureuse, ainsi que véritablement elle le sera,
    puisque, supportant ce mépris comme elle le doit, elle ne saurait
    manquer d'être honorée dans cette vie et dans l'autre.
    Croyez-moi donc en cela, mes filles. Mais quelle folie à moi de
    dire que l'on me croie en une chose que la sagesse incréée, dit ellemême
    ! Tachons d'imiter en quelque sorte l'extrême humilité de la
    sainte Vierge dont nous avons l'honneur de porter l'habit. Étant ses
    religieuses, ce seul nom nous doit remplir de confusion, puisque
    quelque grande que nous paraisse notre humilité, elle est si éloignée
    de celle que nous devrions avoir pour être les véritables filles d'une
    telle mère, et les dignes épouses d'un tel époux.
    CONTRE LES MAUVAISES COUTUMES ET LA VANITÉ.
    Que si l'on ne travaille promptement à déraciner ces
    imperfections dont j'ai parlé, ce qui parait aujourd'hui n'être rien
    deviendra peut-être demain un péché véniel, et si dangereux que, si
    on le néglige, il sera suivi de beaucoup d'autres. Ainsi vous voyez
    combien cela est à craindre dans une congrégation, et combien celles
    qui sont sujettes à ces défauts sont obligées d'y prendre garde, afin de
    ne pas nuire aux autres qui travaillent pour notre bien par le bon
    exemple qu'elles nous donnent.
    Si nous savions quel malheur c'est de laisser introduire une
    mauvaise coutume, nous aimerions mieux mourir que d'en être
    cause ; car la mort du corps est peu considérable, au lieu que les
    maux qui peuvent tirer après eux la perte des âmes sont si grands
    qu'ils me paraissent sans fin, à cause que de nouvelles religieuses
    remplissant la place des anciennes à mesure qu'elles meurent, il
    arrivera peut-être qu'elles imiteront plutôt un seul mauvais exemple
    qu'elles auront remarqué, que plusieurs vertus qu'elles auront vues,
    parce que le démon nous renouvelle continuellement le souvenir de
    l'un et que notre infirmité nous fait oublier les autres, si nous n'y
    prenons extrêmement garde, et n'implorons sans cesse le secours de
    Dieu.
    NE PAS SE HÂTER DE FAIRE DES PROFESSES.
    Oh ! qu'une religieuse qui se sent incapable d'observer les
    règles établies dans cette maison, ferait une grande charité et rendrait
    un service agréable à Dieu si elle se retirait avant que de faire
    profession, et laissait ainsi les autres en paix ! Pour moi, si j'en étais
    crue, il n'y a point de monastère où, avant que de recevoir une telle
    personne à faire profession, on n'éprouvât durant plusieurs années si
    elle ne se corrigerait point. Je ne parle pas maintenant des fautes qui
    regardent la pénitence et les jeûnes, parce que, encore que ce soient
    des fautes, elles ne sont pas si dangereuses que les autres ; mais
    j'entends parler de ces imperfections qui consistent à prendre plaisir
    d'être estimées, à remarquer les fautes d’autrui sans remarquer jamais
    les siennes, et autres semblables qui procèdent sans doute d'un défaut
    d'humilité. Car s'il y en a quelqu'une en qui ces défauts se
    rencontrent, et à qui Dieu ne donne pas, après plusieurs années, la
    lumière nécessaire pour les connaître et s'en corriger, gardez-vous
    bien de la retenir davantage parmi vous, puisqu'elle n'y aurait jamais
    de repos, ni ne vous permettrait jamais d'en avoir.
    Je ne puis penser sans douleur qu'il arrive souvent que des
    monastères, pour ne pas rendre l'argent que des filles y ont apporté,
    ou par crainte de faire quelque déshonneur à leurs parents, enferment
    dans leur maison le larron qui leur vole leur trésor. Mais n'avonsnous
    pas en celle-ci renoncé à l'honneur du monde, puisque des
    pauvres tels que nous sommes ne peuvent prétendre d'être honorés ?
    Et quelle serait donc notre folie de vouloir que les autres le fussent à
    nos dépens ? Notre honneur consiste, mes sœurs, à bien servir Dieu,
    et ainsi celle qui se sentira capable de vous détourner d'un si grand
    bien doit se retirer et demeurer chez elle avec cet honneur qui lui est
    si cher. C'est pour ce sujet que nos saint pères ont ordonné une année
    de noviciat, et je souhaiterais qu'on ne reçût ici les religieuses à
    profession qu'au bout de dix ans ; car, si elles sont humbles, ce
    retardement ne leur fera point de peine, sachant que, pourvu qu'elles
    soient bonnes, on ne les renverra pas ; et si elles ne sont pas humbles,
    pourquoi veulent-elles nuire à cette assemblée de saintes âmes qui se
    sont consacrées à Jésus-Christ ?
    Quand je parle de celles qui ne sont pas bonnes, je n'entends
    pas dire par là qu'elles soient vaines, puisque j'espère, avec la grâce
    de Dieu, qu'il n'y en aura point de telles dans cette maison ; mais
    j'appelle n'être pas bonnes de n'être pas mortifiées, et d'avoir au
    contraire de l'attachement au monde et à elles-mêmes dans les choses
    que j'ai dites. Que celle qui sait en sa conscience qu'elle n'est pas fort
    mortifiée me croie donc et ne fasse point profession, si elle ne veut
    dès ce monde trouver un enfer. Dieu veuille qu'elle ne le trouve pas
    aussi en l'autre, puisqu'elle a beaucoup de choses qui l'y conduisent,
    que ni elle-même ni les autres ne comprennent peut-être pas si bien
    que moi. Que si elle n'ajoute foi à ces paroles, le temps lui fera
    connaître que je dis vrai. Car nous ne prétendons pas seulement ici de
    vivre comme des religieuses, mais de vivre comme des ermites, à
    l'imitation de nos saints pères des siècles passés, et par conséquent à
    nous détacher de l'affection de toutes les choses créées. Aussi
    voyons-nous que Notre-Seigneur fait cette faveur à celles qu'il a
    particulièrement choisies pour le servir dans ce monastère, et
    qu'encore que ce ne soit pas avec toute la perfection qui serait à
    souhaiter, il parait visiblement qu'elles y tendent par la joie qu'elles
    ont de considérer qu'elles n'auront jamais plus de commerce avec les
    choses qui regardent cette misérable vie, et par le plaisir qu'elles
    prennent à tous les exercices de la sainte religion.
    Je le dis encore, que celle qui sent avoir quelque inclination
    pour les choses de la terre, et ne s'avance pas dans la vertu, n'est
    point propre pour ce monastère, mais elle peut aller dans un autre si
    elle veut être religieuse ; que si elle ne le fait pas, elle verra ce qui lui
    en arrivera ; au moins elle n'aura pas sujet de se plaindre de moi qui
    ai commencé d'établir cette maison, ni de m'accuser comme si je ne
    l'avais pas avertie de la manière dont on doit y vivre. S'il peut y avoir
    un ciel sur la terre, celui-ci en est un sans doute pour les âmes qui,
    n'ayant d'autre désir que de plaire à Dieu, méprisent leur satisfaction
    particulière, et la vie qui s'y pratique est très-sainte. Que si
    quelqu'une de vous désire autre chose que de contenter Dieu, elle ne
    saurait y être contente parce qu'elle ne l'y trouvera pas. Une âme
    mécontente est comme une personne dégoûtée à qui les meilleures
    viandes, que les personnes saines mangeraient avec le plus d'appétit,
    font mal au cœur. Ainsi elle fera mieux son salut en quelque autre
    lieu, et il pourra arriver que peu à peu elle y acquerra la perfection
    qu'elle ne pouvait souffrir ici à cause qu'on l'y embrasse tout d'un
    coup ; car bien qu'en ce qui regarde l'intérieur, on y donne du temps
    pour se détacher entièrement de l'affection de toutes choses et pour
    pratiquer la mortification, il est vrai que, pour ce qui regarde
    l'extérieur, on en donne fort peu, à cause du dommage qu'en
    pourraient recevoir les autres sœurs. Que si, marchant en si bonne
    compagnie et voyant que toutes les autres pratiquent ce que j'ai dit,
    l'on ne s'avance pas en un an, je crois que l'on ne s'avancera pas en
    plusieurs années. Ce n'est pas que je prétende que cette personne s'en
    acquitte aussi parfaitement que les autres, mais au moins doit-elle
    faire connaître que la santé de son âme se fortifie peu à peu, et
    qu'ainsi sa maladie n'est pas mortelle.

    http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/carmel/theresedavila/Oeuvres%20par%20titre/Fran%E7ais/7%20Le%20Chemin%20de%20la%20perfection.pdf

    Offline poche

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    Re: Chemin de la Perfection
    « Reply #14 on: March 28, 2017, 04:02:47 AM »
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  • CHAPITRE XIV. Bien examiner la vocation des filles qui se présentent pour être religieuses. Se rendre plus facile à recevoir celles qui ont de l'esprit, et renvoyer celles qui ne sont pas propres à la religion, sans s'arrêter à ce que le monde peut dire. BIEN EXAMINER LA VOCATION DES RELIGIEUSES. Je ne doute point que Dieu ne favorise beaucoup celles qui se présentent avec bonne intention pour être reçues ; c'est pourquoi il faut bien examiner quel est leur dessein, et si elles ne sont pas seulement poussées par l'espérance d'y être plus commodément que dans le monde, ainsi qu'on le voit aujourd'hui arriver à plusieurs. Ce n'est pas que, quand elles auraient même cette pensée, NotreSeigneur ne puisse la corriger, pourvu que ce soient des personnes de bon sens, car si elles en manquent, il ne faut point les recevoir, parce qu'elles ne seraient pas capables de comprendre les bons avis qu'on leur donnerait pour leur découvrir ce qu'il y aurait eu de défectueux dans leur entrée, et leur montrer ce qu'elles devraient faire pour le réparer, à cause que la plupart de celles qui ont peu d'esprit croient toujours savoir mieux que les plus sages ce qui leur est propre, et ce mal me semble incurable parce qu'il arrive très-rarement qu'il ne soit point accompagné de malice. Or, quoiqu'on le pût tolérer dans une
    maison où il y aurait quantité de religieuses, on ne le saurait souffrir dans le petit nombre que nous sommes. Mais lorsqu'une personne de bon sens commence à s'affectionner au bien, elle s'y attache fortement, parce qu'elle connaît que c'est le meilleur et le plus sûr ; et encore qu'elle n'avance pas beaucoup dans la vertu, elle pourra servir aux autres en plusieurs choses, particulièrement par ses bons conseils, sans donner de la peine à personne ; au lieu que quand l'esprit manque, je ne vois pas en quoi elle pourrait être utile à une communauté, mais je vois bien qu'elle lui pourrait être fort nuisible. Ce défaut d'esprit ne peut pas sitôt se reconnaître, parce qu'il y en a plusieurs qui parlent bien, et qui comprennent mal ce qu'on leur a dit, et d'autres qui, encore qu'elles parlent peu et assez mal, raisonnent bien en plusieurs choses. Il y en a d'autres qui, étant dans une sainte simplicité, sont très-ignorantes en ce qui regarde les affaires et la manière d'agir du monde, et fort savantes en ce qui doit se traiter avec Dieu. C'est pourquoi il faut beaucoup les observer avant que de les recevoir, et extrêmement les éprouver avant que de les faire professes. Que le monde sache donc, une fois pour toutes, que vous avez la liberté de les renvoyer, parce que dans un monastère où il y a autant d'austérités qu'en celui-ci, vous pouvez avoir plusieurs raisons qui vous y obligent ; et lorsqu'on saura que nous en usons ordinairement de la sorte, on ne nous en fera plus une injure. Je dis ceci, parce que le siècle où nous vivons est si malheureux et notre faiblesse si grande, qu'encore que nos saints prédécesseurs nous aient expressément recommandé de n'avoir point d'égard à ce que le monde considère comme un déshonneur, néanmoins la crainte de fâcher des parents, et afin d'éviter quelques discours peu importants qui se tiendraient dans le monde, nous manquons à pratiquer cette ancienne et si louable coutume. Dieu veuille que celles qui les recevront ainsi n'en soient pas châtiées en l'autre vie, quoiqu'elles ne manquent jamais de prétextes pour faire croire que cela se peut légitimement. Ceci vous est à toutes si important, que chacune doit le considérer en particulier, le fort recommander à Notre-Seigneur, et encourager la supérieure d'y prendre soigneusement garde. Je prie Dieu, de tout mon cœur, qu'il vous donne la lumière qui vous est nécessaire pour ce sujet. Je suis persuadée que lorsque la supérieure examine sans intérêt et sans passion ce qui est le plus utile pour le bien du monastère, Dieu ne permet jamais qu'elle se trompe ; et qu'au contraire elle ne peut sans faillir se laisser aller à ces fausses compassions et ces impertinentes maximes d'une prudence toute séculière et toute humaine. 

    http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/carmel/theresedavila/Oeuvres%20par%20titre/Fran%E7ais/7%20Le%20Chemin%20de%20la%20perfection.pdf