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Author Topic: Chemin de la Perfection  (Read 9601 times)

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Offline poche

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Re: Chemin de la Perfection
« Reply #15 on: April 05, 2017, 01:43:12 AM »
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  • CHAPITRE XV. 

    Du grand bien que c'est de ne se point excuser, encore que l'on soit repris sans sujet. Ayant dessein de vous exhorter maintenant à pratiquer une vertu d'un mérite tel qu'est celle de ne s'excuser jamais, j'avoue que c'est avec une grande confusion d'avoir si mal pratiqué moi-même ce que je me trouve obligée d'enseigner aux autres, parce qu'il est vrai que je m'imagine toujours avoir quelque raison de croire que je fais mieux de m'excuser. Ce n'est pas que cela ne soit permis en de certaines rencontres, et que ce ne fût même une faute d'y manquer ; mais je n'ai pas la discrétion, ou pour mieux dire l'humilité qui me serait nécessaire pour faire ce discernement. Car c'est sans doute une action de fort grande humilité, et imiter Notre-Seigneur, de se voir condamner sans avoir tort, et de se taire. Je vous prie donc de tout mon cœur de vous y appliquer avec soin, puisque vous pouvez en tirer un grand avantage ; et qu'au contraire je n'en vois point à vous excuser, si ce n'est, comme je l'ai dit, en certaines occasions qui pourraient causer de la peine si on ne disait pas la vérité. Celui qui aura plus de discrétion que je n'en ai, comprendra aisément ceci ; et je crois qu'il importe beaucoup de s'exercer à cette vertu, ou de tâcher d'obtenir de Notre-Seigneur une véritable humilité qui en est comme la source ; car celui qui est véritablement humble désire d'être mésestimé, persécuté et condamné, quoiqu'il n'en ait 
    point donné sujet. Que si vous voulez imiter Notre-Seigneur, en quoi le pouvez-vous mieux, puisqu'on n'a pour cela, ni de forces corporelles, ni de secours que de Dieu seul ? Je souhaiterais, mes sœurs, que nous nous efforçassions de mettre notre dévotion à pratiquer ces grandes vertus plutôt qu'à faire des pénitences excessives, dans lesquelles vous savez que je vous conseille d'être retenues, parce qu'elles peuvent nuire à la santé, si elles ne sont accompagnées de discrétion ; au lieu que, quelque grandes que soient les vertus intérieures, il n'y a rien du tout à craindre, puisqu'en fortifiant 1'âme elles ne diminuent point les forces nécessaires au corps pour pouvoir servir la communauté, et que, comme je vous l'ai dit autrefois, on peut, dans la pratique des petites choses, se rendre capable de remporter la victoire dans les grandes. Mais que cela est aisé à dire, et que je le pratique mal ! Il est vrai que Je n'ai jamais pu l'éprouver en des choses de conséquence, puisque je n'ai jamais entendu dire de mal de moi que je n'aie vu clairement qu'il y avait sujet d'en dire beaucoup plus, parce qu'encore que ce qu'on en disait ne fût pas tout-à-fait semblable, j'avais en plusieurs autres choses offensé Dieu, et qu'ainsi on m'épargnait en n'en parlant point, joint que je suis toujours plus aise que l'on me blâme de ce que je n'ai pas fait que non pas de ce que j'ai fait. Il sert beaucoup, pour acquérir cette vertu, de considérer qu'on ne peut rien perdre, et qu'on gagne en diverses manières en la pratiquant, et dont la principale est qu'elle nous fait imiter en quelque sorte Notre-Seigneur ; je dis en quelque sorte, parce que, tout bien considéré, on ne nous accuse jamais d'avoir failli que nous ne soyons tombés dans quelque faute, puisque nous y tombons sans cesse ; que les plus justes pèchent sept fois le jour, et que nous ne saurions, sans faire un mensonge, dire que nous sommes exempts de péchés. Ainsi, quoique nous n'ayons pas fait la faute dont on nous accuse, nous ne sommes jamais entièrement innocents comme l'était notre bon Jésus. « Mon Dieu, quand je considère en combien de manières vous
    avez souffert, sans l'avoir mérité en nulle manière, je ne sais que dire, ni où j'ai l'esprit lorsque je ne désire pas de souffrir, et je sais aussi peu ce que je me fais lorsque je m'excuse. Vous n'ignorez pas, ô mon tout et mon bien unique, que s'il y a quelque chose de bon en moi, je le tiens de votre pure libéralité. Eh ! qui vous empêche, Seigneur, de me donner aussitôt beaucoup que peu, puisque, si vous vous reteniez de me donner, parce que je ne le mérite pas, je mériterais aussi les faveurs que vous m'avez déjà faites ? Serait-il possible que je voulusse qu'on dit du bien d'une créature aussi mauvaise que je suis, sachant combien de mal on a dit de vous, qui êtes le bien suprême ? Ne le souffrez pas, ô mon Dieu, ne le souffrez pas. Je ne voudrais pour rien au monde que vous permissiez qu'il y eût la moindre chose dans votre servante qui fût désagréable à vos yeux. Considérez, Seigneur, que les miens sont pleins de ténèbres, et qu'ainsi le moindre objet les arrête, illuminez-les, et faites que je désire sincèrement que tout le monde m'ait en horreur, puisque j'ai cessé tant de fois de vous aimer, quoique vous m'aimiez si fidèlement. Quelle folie, mon Dieu, est la nôtre ! quel avantage prétendons-nous de satisfaire les créatures, et que nous importe qu'elles nous accusent de mille fautes pourvu que nous n'en commettions point en votre présence ? » O mes filles, qu'il est vrai que nous ne comprenons point cette vérité, et qu'ainsi nous n'arrivons jamais au comble de la perfection religieuse ! car, pour y arriver, il faut considérer et peser beaucoup ce qui est en effet et ce qui n'est qu'en apparence, c'est-à-dire, ce qui est défectueux au jugement du Créateur, et ce qui ne l'est qu'au jugement des créatures. Quand il n'y aurait en ceci d'autre avantage que la honte que recevra la personne qui vous aura accusée, de voir que vous vous laissez condamner injustement, ne serait-il pas trèsconsidérable ? Une de ces actions instruit et édifie quelquefois davantage une âme que dix prédications ne le pourraient faire ; et la défense de l'Apôtre, jointe à notre insuffisance, nous rendant incapables de prêcher par des paroles, nous devons toutes nous efforcer de prêcher par nos actions. Quelque renfermées que vous soyez, ne vous imaginez pas que le mal ou le bien que vous ferez puisse être caché, et, quoique vous ne vous excusiez point, croyezvous qu'il ne se trouve pas des personnes qui prennent votre défense et qui vous excusent ? Considérez de quelle sorte Notre-Seigneur répondit en faveur de la Madeleine, dans la maison du pharisien, et lorsque Marthe, sa sœur, l'accusait devant lui-même. Il n'usera pas envers vous de la rigueur qu'il a exercée envers soi-même, en permettant que le bon larron ne prît sa défense que lorsqu'il était déjà attaché à la croix ; mais il suscitera quelqu'un qui vous défendra, et si cela n'arrive pas ce sera pour votre avantage. Ce que je vous dis est très-véritable, et je l'ai moi-même vu arriver. Je ne désirerais pas néanmoins que ce fût ce motif qui vous touchât, et je serais bien aise que vous vous réjouissiez de n'être point justifiées. Que si vous pratiquez ce conseil le temps vous en fera connaître l'utilité ; car on commence par là d'acquérir la liberté de l'esprit, et l'on se soucie aussi peu que l'on dise de nous du mal que du bien, parce qu'on n'y prend non plus de part que s'il regardait un autre, de même que lorsque deux personnes s'entretiennent nous ne pensons point à leur répondre, parce que ce n'est pas à nous qu'elles parlent ; ainsi nous étant accoutumées, dans ces rencontres où l'on parle contre nous, à ne rien répondre pour notre défense, il nous semble qu'on ne parle point à nous. Comme nous sommes fort sensibles et fort peu mortifiées, ceci vous pourra paraître impossible, et j'avoue que d'abord il est difficile de le pratiquer ; mais je sais pourtant qu'avec l'assistance de Notre-Seigneur nous pouvons acquérir ce détachement de nous-mêmes. 

    http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/carmel/theresedavila/Oeuvres%20par%20titre/Fran%E7ais/7%20Le%20Chemin%20de%20la%20perfection.pdf


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    Re: Chemin de la Perfection
    « Reply #16 on: April 19, 2017, 12:00:23 AM »
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  • CHAPITRE XVI. De l'humilité. De la contemplation. Que Dieu en donne tout d'un coup à certaines âmes une connaissance passagère. De l'application continuelle que l'on doit à Dieu. Qu'il faut aspirer à ce qui est le plus parfait. 

    DE L'HUMILITÉ. 

    Ne vous imaginez pas, mes filles, que je sois déjà entrée fort avant dans ce discours, puisque je ne fais encore, comme l'on dit d'ordinaire, que de préparer le jeu. Vous m'avez priée de vous instruire du commencement de l'oraison, et j'avoue que je n'en sais point d'autre que la pratique de ces vertus, quoique Dieu ne m'ait pas conduite par celui-ci, puisque je n'ai pas même le commencement des dispositions saintes dont j'ai parlé : ainsi vous avez sujet de croire, pour continuer à me servir de la comparaison du jeu des échecs, que celle qui ne sait pas seulement arranger les pièces ne peut bien jouer ni gagner la partie. Que si vous trouvez étrange que je vous parle d'un jeu que l'on ignore et que l'on doit ignorer dans cette maison, jugez par là quelle personne Dieu vous a donnée pour mère, puisque j'ai même su autrefois une chose si vaine et si inutile : on dit néanmoins que ce jeu est permis en quelques occasions. Et combien nous serait-il non-seulement permis mais avantageux de l'imiter en quelque sorte en pratiquant les vertus avec tant d'ardeur, que ce divin roi pût être réduit en peu de temps à ne pouvoir ni à ne vouloir plus s'échapper de nos mains ? La dame est celle de toutes les pièces qui lui fait le plus la guerre, les autres ne faisant que la soutenir ; et, dans la guerre sainte dont je veux parler, l'humilité est cette dame qui le presse le plus de se rendre ; c'est elle qui l'a tiré du ciel pour le faire descendre dans le sein de la sainte Vierge, et c'est par elle que nous pouvons, avec un seul de nos cheveux, comme dit l'époux dans le cantique, le tirer à nous pour le faire venir dans nos âmes. Ainsi ne doutez point, mes filles, qu'à proportion de votre humilité vous ne possédiez plus ou moins cette majesté infinie ; car j'avoue ne pouvoir comprendre qu'il y ait de l'humilité sans amour, non plus que de l'amour sans humilité, ni que l'on arrive à la perfection de ces deux vertus sans entrer dans un grand détachement de toutes les choses créées. Que si vous me demandez pourquoi je vous parle des vertus, puisque vous avez tant de livres qui en traitent, et que vous ne désirez apprendre de moi que ce qui regarde la contemplation, je réponds que si vous eussiez voulu que je vous parlasse de la méditation, je l'aurais pu faire et vous conseiller à toutes de la pratiquer, quand même vous n'auriez pas les vertus, parce que c'est par là qu'il faut commencer afin de les acquérir, parce, que cela est important à la vie de l'âme, et parce qu'il n'y a point de chrétien, quelque grand pécheur qu'il puisse être, qui manque d'en user de la sorte lorsque Dieu lui ouvre les yeux pour le rendre capable d'un si grand bonheur. Je l'ai déjà écrit ailleurs après plusieurs autres qui savent aussi bien que moi ce qu'ils disent, comme il est certain que je l'ignore ; mais il suffit que Dieu le sache. DE LA CONTEMPLATION. La contemplation, mes filles, est une chose différente de ce que je viens de dire, et c'est en quoi l'on se trompe ; car, lorsqu'une personne donne quelque temps, chaque jour, à penser à ses péchés, ce que tout chrétien doit faire, à moins de ne l'être que de nom, on dit aussitôt que c'est un grand contemplatif, et l'on veut qu'il ait toutes les vertus que doivent avoir ceux qui le sont véritablement ; luimême, plus que nul autre, le prétend aussi ; mais c'est errer dans les principes, c'est ne savoir pas seulement arranger son jeu, et c'est croire qu'il suffit de connaître les pièces pour pouvoir donner échec et mat. Cela, mes filles, ne va pas ainsi, car ce roi de gloire ne se rend et ne se donne qu'à celui qui se donne tout entier à lui. Ainsi, si vous désirez que je vous montre le chemin qui mène à la contemplation, souffrez que je m'étende un peu sur ce sujet, quoique les choses que je vous dirai ne vous paraissent pas d'abord fort importantes, puisque à mon avis elles le sont. Que si vous ne les voulez pas entendre ni les pratiquer, demeurez donc durant toute votre vie avec votre oraison mentale ; car je vous assure, avec tous ceux qui aspirent à ce bonheur, que vous n'arriverez jamais à la véritable contemplation. Il se peut faire néanmoins que je me trompe, parce que je juge des autres par moi-même qui ai travaillé durant vingt ans pour l'acquérir. Comme quelques-unes de vous ne savent ce que c'est qu'oraison mentale, je veux maintenant vous en parler, et Dieu veuille que nous la pratiquions aussi bien qu'elle doit l'être ; mais je crains que nous n'ayons beaucoup de peine à en venir à bout, si nous ne travaillons pour acquérir les vertus, quoique non pas à un si haut degré qu'il est besoin de les avoir pour arriver jusqu'à la contemplation. Je dis donc que le roi de gloire ne viendra jamais dans nos âmes jusqu'à s'unir avec elles, si nous ne nous efforçons d'acquérir les grandes vertus ; sur quoi je m'explique, parce que si vous me surpreniez à vous dire quelque chose qui ne fût pas véritable, vous ne me croiriez plus en rien, et vous auriez raison si je le faisais à dessein ; mais Dieu me garde de tomber dans une si grande faute ; si cela m'arrive ce ne sera que manque d'intelligence. Ce que je veux dire est donc que Dieu fait quelquefois une grande faveur à des personnes qui sont en mauvais état en les élevant jusqu'à la contemplation, afin de les retirer par ce moyen d'entre ler, mains du démon. « O mon Sauveur, combien de fois vous engageons-nous d'en venir aux mains avec lui ! et ne vous suffit-il pas que, pour nous apprendre à le vaincre, vous ayez bien voulu souffrir qu'il vous ait pris entre ses bras, quand il vous porta sur le haut du temple ? » Quel spectacle ce fut alors, mes filles, de voir le soleil de justice enfermé par les ténèbres ; et quelle dut être la terreur de cet esprit malheureux, quoiqu'il ignorât quel était celui qu'il portait, parce que Dieu ne lui permit pas de le connaître ? Pouvons-nous trop admirer une si grande bonté et une si grande miséricorde ? et quelle honte ne doivent point avoir les chrétiens de l'engager tous les jours à lutter encore avec un monstre si horrible ? « Certes, mon Dieu, vous aviez besoin pour le vaincre d'une aussi grande force qu'est la vôtre. Mais comment n'avez-vous point été affaibli par tant de tourments que vous avez soufferts sur la croix ? Oh qu'il est bien vrai que l'amour répare tout ce qu'il fait souffrir ! et ainsi je crois, mon Sauveur, que si vous eussiez voulu survivre à vos tourments et à vos douleurs, le même amour qui vous les fit endurer aurait, sans nul autre remède, refermé vos plaies. O mon Dieu, si je pouvais avoir ce même amour dans toutes les choses qui causent de la peine et de la douleur, que je souhaiterais de bon cœur toutes les souffrances, étant assurée d'être guérie de mes maux par un remède si divin et si salutaire ! » Mais, pour revenir à ce que je disais, il y a certaines âmes que Dieu, connaissant qu'il peut ramener par ce moyen, quoiqu'elles soient entièrement abandonnées au péché, ne veut pas qu'il tienne à lui de leur faire cette grâce. Ainsi, bien qu'elles soient en mauvais état et dénuées de toute vertu, il leur fait sentir des douceurs, des consolations et des tendresses, qui commencent à émouvoir leurs désirs ; et quelquefois même, mais rarement, il les fait entrer dans une contemplation qui dure peu, afin d'éprouver, comme j'ai dit, si ces faveurs les disposeront à s'approcher souvent de lui ; que si elles ne les portent pas à le désirer, elles me pardonneront, ou pour mieux dire, vous me pardonnerez, s'il vous plaît, mon Dieu, si j'ose croire qu'il n'y a guère de plus grand malheur que lorsqu'après que vous avez fait l'honneur à une âme de vous approcher ainsi d'elle, elle vous quitte pour se rapprocher des choses de la terre et s'y attacher. Je crois qu'il y a plusieurs personnes que Dieu éprouve de cette manière, et que peu se disposent à jouir d'une si grande faveur ; mais pourvu qu'il ne tienne pas à nous que nous n'en tirions de l'avantage, je tiens pour certain qu'il ne cesse point de nous assister jusqu'à ce que nous arrivions à une plus grande perfection ; au lieu que, quand nous ne nous donnons pas à lui aussi pleinement qu'il se donne à nous, c'est beaucoup qu'il nous laisse dans l'oraison mentale et nous visite de temps en temps, ainsi que des serviteurs qui travaillent à sa vigne ; car, quant aux autres, ce sont ses enfants bien-aimés qu'il ne perd et ne veut jamais perdre de vue, non plus qu'eux s'éloigner de lui. Il les fait asseoir à sa table et les nourrit des mêmes viandes dont il se nourrit lui-même. Quel bonheur, mes filles, de n'avoir point d'autre soin que de se rendre dignes d'une si grande faveur ! O bienheureux abandonnement de toutes les choses basses et méprisables, qui nous élève si haut ! Quand tout le monde ensemble parlerait à notre désavantage, quel mal pourrait-il nous en arriver, étant en la protection et comme entre les bras de Dieu ? Puisqu'il est tout-puissant, il n'y a pas de maux dont il ne soit capable de nous délivrer. Une seule de ses paroles a créé le monde, et vouloir et faire ne sont en lui qu'une même chose. Ne craignez donc point, si vous l'aimez, qu'il permette que l'on parle contre vous, que pour votre plus grande utilité ; il aime trop ceux qui l'aiment pour en user d'une autre sorte ; et pourquoi donc ne lui témoignerions-nous pas tout l'amour qui sera en notre pouvoir ? Considérez, je vous prie, quel heureux échange c'est pour nous de lui donner notre cœur pour avoir le sien, lui qui peut tout et nous qui ne pouvons rien, sinon ce qu'il nous fait pouvoir. Qu'est-ce donc que nous faisons pour vous, ô mon Dieu, qui faites que nous sommes tout ce que nous sommes, puisque nous ne devons considérer que comme un néant cette faible résolution que nous avons prise de vous servir ? Que si toutefois, mes sœurs, sa souveraine majesté veut que nous achetions tout de lui, en lui donnant le rien que nous sommes, ne soyons pas si folles que de refuser une si grande faveur. Tout notre mal vient, mon Dieu, de n'avoir pas toujours les yeux arrêtés sur vous ; car nous arriverions bientôt où nous prétendons aller si nous ne détournions point nos yeux de dessus vous, qui êtes la voie et le chemin, comme vous nous l'avez dit. Mais parce que nous n'avons pas cette attention, nous bronchons, nous tombons, nous retombons et enfin nous nous égarons ; parce que, je le répète encore, nous n'avons pas soin d'arrêter sans cesse notre vue sur ce chemin véritable par lequel nous devons marcher. En vérité, c'est une chose déplorable que la manière dont cela se passe quelquefois, il semble que nous ne soyons pas chrétiens, et que nous n'ayons jamais lu la passion de Notre-Seigneur ; car, si l'on nous méprise en la moindre chose, on ne peut le souffrir, on le trouve insupportable, et on dit aussitôt : Nous ne sommes pas des saints. Dieu nous garde, mes filles, lorsque nous tombons dans quelque imperfection, de dire : Nous ne sommes pas des saintes ; nous ne sommes pas des anges. Considérez qu'encore qu'il soit vrai que nous ne soyons pas des saintes, il nous est utile de penser que nous pouvons le devenir, pourvu que nous fassions tous nos efforts et que Dieu veuille nous tendre les bras ; sur quoi nous ne devons point craindre qu'il tienne à lui, s'il voit qu'il ne tient pas à nous. Puis donc que nous ne sommes venues ici à autre dessein, mettons courageusement la main à l'oeuvre, et croyons qu'il n'y a rien de si parfait dans son service, que nous ne devions nous promettre d'accomplir par son assistance. Je voudrais de tout mon cœur que cette sorte de présomption se trouvât dans ce monastère, parce qu'elle fait croître l'humilité et donne une sainte hardiesse qui ne peut être que très-utile à cause que Dieu, qui ne fait acception de personne, assiste toujours ceux qui sont courageux dans son service. J'ai fait une grande digression, et il faut revenir où j'en étais. Il s'agit de savoir ce que c'est qu'oraison mentale, et ce que c'est que contemplation ; sur quoi j'avoue qu'il paraît impertinent que j'entreprenne d'en parler ; mais vous recevez si bien tout ce qui vient de moi, qu'il pourra arriver que vous le comprendrez mieux dans mon style simple et grossier, que dans des livres fort éloquents. Dieu me fasse, s'il lui plaît, la grâce de pouvoir m'en acquitter. Ainsi soitil. 

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    « Reply #17 on: April 26, 2017, 01:54:11 AM »
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  • CHAPITRE XVII. 

    Que toutes les âmes ne sont pas propres pour la contemplation. Que quelques-unes y arrivent tard, et que d'autres ne peuvent prier que vocalement ; mais que celles qui sont véritablement humbles, doivent se contenter de marcher dans le chemin par lequel il plaît à Dieu de les conduire. DE LA CONTEMPLATION Il semble que j'entre déjà dans la matière de l'oraison, mais j'ai auparavant une chose importante à dire touchant l'humilité, si nécessaire en cette maison, puisqu'on doit s'y exercer particulièrement à la prière, et que l'humilité en est l'une des principales parties. Or, comment celui qui est véritablement humble pourra-t-il jamais s'imaginer d'être aussi bon que ceux qui arrivent jusqu'à être contemplatifs ?Néanmoins Dieu peut faire, par sa grâce, qu'il soit de ce nombre ; mais, s'il me croit, il se mettra toujours au plus bas lieu, comme Notre-Seigneur nous l'a ordonné et enseigné par son exemple. Que l'âme se dispose donc à marcher dans le chemin de la contemplation, si c'est la volonté de Dieu qu'elle y entre ; et si ce ne l'est pas, que l'humilité la porte à se tenir heureuse de servir les servantes du Seigneur, et à bénir sa majesté de ce qu'elle a daigné la faire entrer en leur sainte compagnie, elle qui méritait d'être la compagne et l'esclave des démons. Je ne dis pas cela sans grande raison, puisqu'il importe tant de savoir que Dieu ne conduit pas toutes les personnes d'une même sorte, et que celui qui paraît le plus rabaissé aux yeux des hommes est peut-être le plus élevé devant ses yeux. Ainsi, quoique les religieuses de ce monastère s'exercent toutes à l'oraison, il ne s'ensuit pas qu'elles soient toutes contemplatives. Cela est impossible ; et ce doit être une grande consolation pour celles qui n'ont pas reçu ce don, de savoir qu'il vient purement de Dieu. Comme c'est une chose qui n'est point nécessaire pour notre salut, et qu'il ne l'exige point de nous pour nous récompenser de sa gloire, elles ne doivent pas non plus se persuader qu'on l'exige d'elles en cette maison ; pourvu qu'elles fassent ce que j'ai dit, elles pourront, quoiqu'elles ne soient pas contemplatives, devenir très-parfaites et même surpasser les autres en mérite, parce qu'elles auront plus à souffrir, et que Dieu les traitant comme des âmes fortes et courageuses, il joindra aux félicités qu'il leur réserve en l'autre vie les consolations dont elles n'auront pas joui en celle-ci. Qu'elles ne perdent donc point courage ; qu'elles n'abandonnent point l'oraison, et qu'elles continuent de faire comme les autres ; car il arrive quelquefois qu'encore que Notre-Seigneur diffère à leur départir ses faveurs, il leur donne tout à la fois ce qu'il a donné aux autres en plusieurs années. J'ai passé plus de quatorze ans sans pouvoir du tout méditer, si ce n'était en lisant. Il y en a plusieurs de cette classe ; et il s'en trouve quelques-unes qui ne sauraient méditer même en lisant, ni prier que vocalement, parce que cela les arrête un peu davantage ; d'autres ont l'esprit si léger, qu'une seule chose n'est pas capable de les occuper, et elles sont si inquiètes, que lorsqu'elles veulent se contraindre pour arrêter leur pensée en Dieu, elles tombent dans mille rêveries, mille scrupules et mille doutes. QUE L'ON PEUT ÊTRE PARFAIT SANS ÊTRE CONTEMPLATIF. Je connais une personne fort âgée, fort vertueuse, fort pénitente, grande servante de Dieu, et enfin telle que je m'estimerais heureuse de lui ressembler, qui emploie les jours et les années en des oraisons vocales, sans pouvoir jamais faire l'oraison mentale ; le plus qu'elle puisse faire est de s'occuper dans ces oraisons vocales, en n'en prononçant que peu à la fois. Il s'en rencontre plusieurs autres qui sont de même ; mais, pourvu qu'elles soient humbles, je crois qu'à la fin elles trouveront aussi bien leur compte que celles qui ont de grands sentiments et de grandes consolations dans l'oraison, et peut- être même avec plus d'assurance, en quelque sorte, parce qu'il y a sujet de douter si ces consolations viennent de Dieu ou procèdent du démon, et que si elles ne sont pas de Dieu, elles sont fort périlleuses, à cause que le démon s'en sert pour nous donner de la vanité ; au lieu que si elles viennent de Dieu, il n'y a rien du tout à craindre, puisqu'elles seront toujours accompagnées d'humilité, ainsi que je l'ai écrit fort amplement dans un autre traité. Comme celles qui ne goûtent point ces consolations craignent que ce soit par leur faute, elles demeurent dans l'humilité, et prennent un soin continuel de s'avancer. Si elles voient jeter aux autres une seule larme sans pouvoir en répandre elles-mêmes, elles s'imaginent qu'elles ne peuvent les suivre que de fort loin dans le service de Dieu. Mais peut-être elles les précèdent, puisque les larmes, bien que bonnes, ne sont pas toutes parfaites, et qu'il se rencontre toujours plus de sûreté dans l'humilité, la mortification, le détachement et l'exercice des antres vertus. Pourvu donc que vous les pratiquiez, n'appréhendez point de ne pas arriver à la perfection aussi bien que les plus contemplatives. Marthe n'était-elle pas une sainte, quoique l'on ne dise point qu'elle fût contemplative ? Et que souhaitez-vous davantage que de pouvoir ressembler à cette bienheureuse fille qui mérita de recevoir tant de fois Notre-Seigneur Jésus-Christ dans sa maison, de lui donner à manger, de le servir, et de s'asseoir à sa table ? Que si elle eût toujours été, ainsi que sa sœur, dans des transports, et comme hors d'elle-même, qui aurait pris soin de ce divin hôte ? Considérez que cette maison est la maison de sainte Marthe, et qu'il doit y avoir quelque chose aussi bien de Marthe que de Magdeleine. Que celles que Dieu conduit par le chemin de la vie active se gardent donc bien de murmurer d'en voir d'autres toutes plongées dans la vie contemplative, puisqu'elles ne doivent point douter que NotreSeigneur ne prenne leur défense contre ceux qui les accusent. Mais quand même il ne parlerait point pour elles, elles devraient demeurer en paix, comme ayant reçu de lui la grâce de s'oublier elles-mêmes, et toutes les choses créées. Qu'elles se souviennent qu'il est besoin que quelqu'un ait soin de lui apprêter à manger, et s'estiment heureuses de le servir avec sainte Marthe. Qu'elles considèrent que la véritable humilité consiste principalement à se soumettre sans peine à tout ce que Notre-Seigneur ordonne de nous, et à nous estimer indignes de porter le nom de ses servantes. Ainsi, soit que l'on s'applique à la contemplation, soit que l'on fasse l'oraison mentale ou vocale, soit que l'on assiste les malades, ou soit que l'on s'emploie aux offices de la maison, et même dans les plus bas et les plus vils : puisque toutes ces choses sont agréables à ce divin hôte, qui vient loger, manger, et se reposer chez nous, que nous importe de nous acquitter de nos devoirs envers lui plutôt d'une manière que d'une autre ? Néanmoins je ne dis pas qu'il doive tenir à vous que vous n'arriviez à la contemplation ; je dis, au contraire que vous devez faire tous vos efforts pour y arriver ; mais en reconnaissant que cela dépend de la seule volonté de Dieu, et non pas de votre choix. Car, si après que vous aurez servi durant plusieurs années dans un même office, il veut que vous y demeuriez encore, ne serait-ce pas une plaisante humilité que de vouloir passer à un autre ? Laissez le maître de la maison ordonner tout comme il lui plaît ; il est tout sage, il est tout-puissant, il sait ce qui vous est le plus propre, et ce qui lui est le plus agréable. Assurez-vous que si vous faites tout ce qui est en votre pouvoir, et vous préparez à la contemplation d'une manière aussi parfaite que celle que je vous ai proposée, c'est-à-dire avec un entier détachement et une véritable humilité, ou Notre-Seigneur vous la donnera, comme je le crois, ou s'il ne vous la donne pas, c'est parce qu'il se réserve de vous la donner dans le ciel avec toutes les autres vertus, et qu'il vous traite comme des âmes fortes et généreuses, en vous faisant porter la croix ici-bas, ainsi que lui-même l'a toujours portée, lorsqu'il a été dans le monde. Cela étant, quelle plus grande marque peut-il vous donner de son amour, que de vouloir ainsi pour vous ce qu'il a voulu pour luimême, et ne se pourrait-il pas bien faire que la contemplation ne vous serait pas si avantageuse que de demeurer comme vous êtes ? Ce sont des jugements qu'il se réserve, et qu'il ne nous appartient pas de pénétrer. Il nous est même utile que cela ne dépende point de notre choix, puisque nous voudrions être aussitôt de grandes contemplatives, parce que nous nous imaginons qu'il s'y rencontre plus de douceur et plus de repos. Quel avantage pour nous de ne pas rechercher nos avantages, puisque nous ne saurions craindre de perdre ce que nous n'avons point désiré ! et Notre-Seigneur ne permet jamais que celui qui a véritablement mortifié son esprit pour l'assujettir au sien, ne perde que pour gagner davantage.

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    « Reply #18 on: May 03, 2017, 04:46:02 AM »
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  • CHAPITRE XVIII. Des souffrances des contemplatifs. Qu'il faut toujours se tenir prête à exécuter les ordres de Dieu, et du mérite de l'obéissance. 

    DES SOUFFRANCES DES CONTEMPLATIFS. 

    Je dirai donc, mes filles, à celles de vous que Dieu ne conduit pas par le chemin de la contemplation, que selon que je l'ai vu et appris de ceux qui marchent dans cette voie, ils ne portent pas des croix moins pesantes que les vôtres ; et vous seriez épouvantées si vous voyiez la manière dont Dieu les traite. Je puis parler de ces deux états, et je sais très-assurément que les travaux dont Dieu exerce les contemplatifs sont si rudes, qu'il leur serait impossible de les supporter, sans les consolations qu'il y mêle. Car, étant visible que Dieu conduit par le chemin des travaux ceux qu'il aime, et qu'il les fait d'autant plus souffrir qu'il les aime davantage, je sais très-certainement que, comme il loue de sa propre bouche les contemplatifs, et qu'il les tient pour ses amis, il les fait aussi plus souffrir que les autres. Ce serait une folie de s'imaginer qu'il honorât d'une amitié particulière des personnes qui vivraient dans le relâchement, sans souffrir aucune peine. Ainsi, comme il mène les contemplatifs par un chemin si âpre et si rude, qu'ils croient quelquefois d'être égarés et obligés de recommencer, ils ont besoin de recevoir de sa bonté quelque rafraîchissement pour les soutenir. Or ce rafraîchissement ne doit pas être seulement de l'eau, mais un vin fort et puissant, afin qu'en étant divinement enivrés, ils souffrent courageusement, et sans penser même à ce qu'ils souffrent. Ainsi, je vois peu de véritables contemplatifs qui ne soient fort courageux et fort résolus à souffrir, parce que la première chose que Notre-Seigneur fait en eux, lorsqu'il les voit faibles, est de leur donner du courage, et de leur ôter l'appréhension des travaux. Je m'imagine que pour peu que ceux qui sont dans la vie active les voient favorisés de Dieu, ils se persuadent qu'il n'y a dans cet état de contemplation que toute sorte de douceur et de délices ; et moi je vous assure, au contraire, que peut-être ne pourraient-ils souffrir durant un seul jour quelques-unes des peines qu'ils endurent. Mais comme Dieu voit le fond des cœurs, il donne à chacun ce qu'il sait être le plus capable de les faire avancer dans son service, dans le chemin de son salut et dans la charité du prochain. Ainsi, pourvu que vous ne manquiez point de votre côté à vous y disposer, vous n'avez nul sujet de craindre que votre travail soit inutile. QU'IL FAUT TOUJOURS ÊTRE PRÊT D'OBÉIR À DIEU. Pesez bien, mes sœurs, ce que je dis que nous devons toutes travailler à nous y disposer, puisque nous ne sommes assemblées ici que pour ce sujet ; et non-seulement y travailler durant un an ou durant dix ans, mais durant toute notre vie, pour faire voir à NotreSeigneur que nous ne sommes pas si lâches que de l'abandonner, et que nous imitons ces braves soldats qui, bien qu'ayant longtemps servi, sont néanmoins toujours prêts d'exécuter les commandements de leur capitaine, sachant qu'il ne les laissera pas sans récompense. Or, mes filles, qu'est-ce que la solde que donnent les rois de la terre, en comparaison de celle que nous devons attendre de ce roi du ciel, que nous avons le bonheur d'avoir pour maître ?C'est un capitaine incomparable, qui étant lui-même témoin des actions généreuses de ses soldats, connaît le mérite de chacun d'eux, et leur donne des charges et des emplois, selon qu'il les en juge dignes. Ainsi, mes sœurs, il faut que celles d'entre vous qui ne peuvent faire l'oraison mentale, fassent la vocale, ou quelque lecture, ou s'entretiennent avec Dieu en la manière que je le dirai ; mais sans manquer aux heures de l'oraison, puisque vous ne savez pas quand votre divin époux vous emploiera, et qu'autrement vous mériteriez d'être traitées comme ces vierges folles dont il est parlé dans l'Évangile. Que savez-vous aussi s'il ne voudra point vous engager dans un grand travail pour son service, en vous le faisant trouver doux par les consolations qu'il y mêlera ? Que s'il ne le fait, vous devez croire qu'il ne vous y appelle pas, et qu'un autre vous est plus propre. En se conduisant de la sorte, on acquiert du mérite par le moyen de l'humilité, et l'on croit sincèrement n'être pas même propre à ce que l'on fait, sans que cela empêche, comme je l'ai dit, d'obéir avec joie à ce que l'on nous commande. Que si cette humilité est véritable, oh ! que de telles servantes de la vie active seront heureuses, puisqu'elles ne trouveront à redire à rien qu'à ce qu'elles font. Qu'elles laissent donc les autres dans la guerre où elles se trouveront engagées, qui ne saurait être que très-rude. Car encore que dans les batailles les enseignes ne combattent point, ils ne laissent pas que d'être en très-grand péril, et plus grand même que tous les autres, à cause que portant toujours leur drapeau, et devant plutôt souffrir d'être mis en pièces que de l'abandonner jamais, ils ne sauraient se défendre. Or, les contemplatifs doivent de même porter tous les jours l'étendard de l'humilité, et demeurer exposés à tous les coups qu'on leur donne, sans en rendre aucun, parce, que leur devoir est de souffrir, à l'imitation de Jésus-Christ, et de tenir toujours la croix élevée, sans que les dangers où ils se trouvent, quelque grands qu'ils puissent être, la leur fassent abandonner, témoignant ainsi par leur courage qu'ils sont dignes d'un emploi aussi honorable qu'est celui où Dieu les appelle. Qu'ils prennent donc bien garde à ce qu'ils feront, puisque, comme il ne s'agit rien moins que de la perte d'une bataille lorsque les enseignes abandonnent leurs drapeaux, à cause que cela fait perdre cœur aux soldats, je crois de même que les personnes qui ne sont pas encore fort avancées dans la vertu se découragent, quand elles voient que ceux qu'elles considéraient comme étant les amis de Dieu, et comme leur devant ouvrir le chemin à la victoire, ne font pas des actions conformes au rang qu'ils tiennent. Les simples soldats s'échappent le mieux qu'ils peuvent et lâchent quelquefois le pied par l'appréhension de la grandeur du péril, sans que personne y prenne garde, ni qu'ils en soient déshonorés. Mais quant aux officiers, chacun ayant les yeux arrêtés sur eux, ils ne sauraient faire un pas en arrière qu'on ne le remarque. Plus leurs charges sont considérables, plus l'honneur qu'ils y peuvent acquérir est grand, et plus ils sont obligés au roi de la faveur qu'il leur a faite de les leur donner, et leur obligation est d'autant plus grande de s'en acquitter dignement. Puis donc, mes sœurs, que notre ignorance est telle, que nous ne savons si ce que nous demandons nous est utile, laissons faire Dieu, qui nous connaît beaucoup mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes. L'humilité consiste à se contenter de ce qu'il nous donne, et c'est une assez plaisante manière de la pratiquer que de lui demander des faveurs, ainsi que font certaines personnes, comme s'il était obligé par justice de ne pas leur refuser. Mais parce qu'il pénètre le fond des cœurs, il leur accorde rarement ces grâces, à cause qu'il ne les voit point disposées à vouloir boire son calice. C'est pourquoi, mes filles, la marque de votre avancement dans la vertu sera si chacune de vous se croit tellement la plus mauvaise de toutes, que ces actions fassent connaître aux autres, pour leur bien et pour leur édification, qu'elle a vraiment ce sentiment dans le cœur, et non pas si elle a plus de douceur dans l'oraison, plus de ravissements, plus de visions et autres faveurs de cette nature que Dieu fait aux âmes quand il lui plaît. Car nous ne connaîtrons la valeur de ces biens qu'en l'autre monde ; mais l'humilité est une monnaie qui a toujours cours, un revenu assuré et une rente non rachetable, au lieu que le reste est comme de l'argent que l'on nous prête pour quelque temps et que l'on peut nous redemander. Est-ce une humilité solide, une véritable mortification et une grande obéissance que de manquer en quoi que ce soit à ce que votre supérieur vous ordonne, puisque vous savez certainement que, tenant comme il fait à votre égard la place de Dieu, c'est Dieu même qui vous commande ce qu'il vous commande ? DU MÉRITE DE L'OBÉISSANCE. C'est de cette vertu de l'obéissance que j'aurais le plus à vous entretenir. Mais parce qu'il me semble que ne l'avoir pas, c'est n'être pas religieuse, et que je parle à des religieuses qui, à mon avis, sont bonnes ou désirent de l'être, je me contenterai de vous dire un mot d'une vertu si connue et si importante, afin de la graver encore davantage dans votre mémoire. Je dis donc que celle qui se trouve soumise par un vœu à l'obéissance, et qui y manque faute d'apporter tout le soin qui dépend d'elle pour l'accomplir le plus parfaitement qu'elle peut, demeure en vain dans cette maison. Je l'assure hardiment que tant qu'elle y manquera, elle n'arrivera jamais ni à être contemplative, ni même à se bien acquitter.des devoirs de la vie active. Cela me parait indubitable ; et quand même ce serait une personne qui n'aurait point fait de vœu, si elle prétend d'arriver à la contemplation, elle doit se résoudre fortement à soumettre sa volonté à la conduite d'un confesseur, qui soit lui-même contemplatif, puisqu'il est certain que l'on avance plus de cette sorte en un an que l'on ne ferait autrement en plusieurs années. Mais comme c'est un avis qui ne vous regarde point, il serait inutile de vous en parler davantage. Ce sont donc là, mes filles, les vertus que je vous souhaite et que vous devez tâcher d'acquérir, et pour lesquelles vous devez concevoir une sainte envie. Quant à ces autres dévotions, si vous ne les avez pas, ne vous en mettez point en peine, puisqu'elles sont incertaines, et qu'il pourrait arriver que venant de Dieu en d'autres personnes, il permettrait qu'elles ne seraient en vous que des illusions du démon, qui vous tromperait.ainsi qu'il en a trompé beaucoup d'autres. Pourquoi vous mettre tant en peine de servir Dieu dans une chose douteuse, puisque vous le pouvez servir en tant d'autres qui sont assurées ? Et qui vous oblige à vous engager dans ce péril ? Je me suis beaucoup étendue sur ce sujet, et je l'ai jugé nécessaire parce que je connais la faiblesse de notre nature ; mais Dieu la fortifie lorsqu'il lui plaît d'élever une âme à la contemplation. Quant à ceux à qui il ne veut pas faire cette grâce, j'ai cru leur devoir donner ces avis, dans lesquels même les contemplatifs pourront trouver sujet de s'humilier. Je prie Notre-Seigneur de nous accorder, par son infinie bonté, la lumière qui nous est nécessaire pour accomplir en tout ses volontés ; et ainsi nous aurons sujet de ne rien craindre. 

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    Re: Chemin de la Perfection
    « Reply #19 on: May 09, 2017, 12:07:03 AM »
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  • CHAPITRE XIX. 

    De l'oraison qui se fait en méditant. De ceux dont l'esprit s'égare dans l'oraison. La contemplation est comme une source d'eau vive. Trois propriétés de l'eau comparées aux effets de l'union de l’âme avec Dieu dans la contemplation. Que cette union est quelquefois telle qu'elle cause la mort du corps. Ce qu'il faut tâcher de faire en ces rencontres, 

    DE L'ORAISON- MENTALE. Il s'est passé tant de jours depuis ce que j'ai dit ci-dessus, sans que j'aie pu trouver le temps de continuer, qu'à moins que de le relire, je ne saurais dire où j'en étais ; mais pour ne perdre point de temps à cela, il ira comme il pourra, sans ordre et sans suite. Il y a tant de bons livres, faits par des personnes savantes et propres pour des esprits non distraits ni dissipés, et pour des âmes exercées dans la méditation et qui peuvent se recueillir au dedans d'elles-mêmes, que vous n'avez pas sujet de faire cas de ce que je pourrai vous dire touchant l'oraison. Vous trouverez excellemment écrit dans ces livres de quelle sorte il faut méditer durant chaque jour de la semaine sur quelque mystère de la vie et de la passion de notre Sauveur, sur le jugement dernier, sur l'enfer, sur notre néant, sur les obligations infinies dont nous sommes redevables à Dieu, et sur la manière dont on doit agir dans le commencement et dans la fin de l'oraison. Ceux qui sont accoutumés à cette sorte d'oraison n'ont rien à désirer davantage, puisque Notre-Seigneur ne manquera pas de les conduire par ce chemin à sa divine lumière, et que la fin répondra sans doute à un si bon commencement ils n'ont donc qu'à y marcher sans crainte, lorsqu'ils verront que leur entendement est attaché à des méditations si utiles. Mais mon dessein est de donner quelque remède aux âmes qui ne sont pas dans cette disposition, si Dieu me fait la grâce d'y réussir, ou au moins de vous faire voir qu'il y a plusieurs personnes en cette peine, afin que vous ne vous affligiez point si vous vous trouvez être de ce nombre. Il y a certains esprits si déréglés, qu'ils sont comme ces chevaux qui ont la bouche égarée ; ils vont tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, et toujours avec inquiétude, sans qu'on puisse les arrêter, soit que cela procède de leur naturel ou que Dieu le permette de la sorte. J'avoue qu'ils me font grande pitié. Ils ressemblent, à mon avis, à une personne qui, ayant une extrême soif et voulant aller boire à une fontaine qu'elle voit de loin, trouve des gens qui lui en disputent le passage à l'entrée, au milieu et à la fin du chemin. Car après avoir, 
    avec beaucoup de peine, surmonté les premiers de ces ennemis, ils se laissent surmonter par les seconds, aimant mieux mourir de soif que de combattre plus longtemps pour boire d'une eau qui leur doit coûter si cher. La force leur manque, ils perdent courage, et ceux même qui en ont assez pour vaincre les seconds de ces ennemis, se laissent vaincre par les troisièmes, quoiqu'ils ne fussent peut-être alors qu'à deux pas de cette source d'eau vive dont Notre-Seigneur dit à la Samaritaine, que ceux qui seront assez heureux que d'en boire n'auront plus jamais soif. DE LA CONTEMPLATION OU ORAISON D'UNION. Oh ! qu'il est bien vrai, comme l'a dit celui qui est la vérité même, que ceux qui boivent de l'eau de cette divine fontaine ne sont plus altérés des choses de cette vie, mais seulement de celles de l'autre, dont leur soif est incomparablement plus grande que notre soif naturelle ne saurait nous le faire imaginer ! car rien n'approche de la soif qu'ils ont d'avoir cette soif, parce qu'ils en connaissent le prix, et que, quelque grande que soit la peine qu'elle cause, elle porte avec elle le remède qui la fait cesser. Tellement, que c'est une soif qui, en étouffant le désir des choses de la terre, rassasie l'âme an regard de celle du ciel. Ainsi, quand Dieu lui fait cette grâce, l'une des plus grandes faveurs dont il puisse l'accompagner est de la laisser toujours dans le même besoin, et encore plus grand, de recommencer à boire de cette eau merveilleuse et incomparable. Entre les propriétés de l'eau, je me souviens qu'elle en a trois qui reviennent à mon sujet. La première est de rafraîchir, car il n'y a point de si grande chaleur qu'elle n'amortisse, et elle éteint même les plus grands feux, si ce ne sont des feux d'artifice, qu'elle ne fait au contraire qu'accroître. Oh ! quelle merveille, mon Dicu, de voir qu'un feu, qui n'est point assujéti aux lois ordinaires de la nature, ait une force si prodigieuse, que son contraire voulant l'éteindre, ne fait que l'augmenter davantage ! J'aurais ici grand besoin de savoir la philosophie pour pouvoir mieux m'expliquer par la connaissance qu'elle me donnerait de la propriété des choses, et j'y prendrais un grand plaisir ; mais je ne sais comment le dire, et je ne sais peut-être pas même ce que je veux dire. Celles d'entre vous, mes sœurs, qui buvez dès à présent de cette eau, et celles à qui Dieu fera aussi la grâce d'en boire, entreront sans peine dans ces sentiments, et comprendront comme le véritable amour de Dieu, lorsqu'il est en sa force et dans une sainte liberté qui l'élève au-dessus de toutes les choses de la terre, devient le maître des éléments. Ainsi, ne craignez point que l'eau qui ne tire son origine que d'ici-bas puisse éteindre ce feu de l'amour de Dieu. Car, bien qu'ils soient opposés, cette eau n'a pas le pouvoir d'éteindre ce feu. Il demeure toujours absolu et indépendant, sans lui être assujéti ; et, par conséquent, vous ne devez pas vous étonner que j'aie un si grand désir de vous porter à acquérir cette sainte et heureuse liberté. N'est-ce pas une chose admirable qu'une pauvre religieuse du monastère de Saint-Joseph puisse arriver jusqu'à dominer les éléments et tout ce qui est dans le monde ? Et quel sujet y a-t-il donc de s'étonner que les saints, avec l'assistance de Dieu, leur aient imposé telles lois qu'il leur a plu ? C'est ainsi que l'eau et le feu obéissaient à saint Martin, les poissons et les oiseaux à saint François, et de même d'autres créatures à d’autres saints que l'on a vu manifestement s'être rendus maîtres de toutes les choses de la terre en les méprisant et en se soumettant entièrement à celui de qui toutes les créatures tiennent leur être. Ainsi, comme je l'ai dit, l'eau d'ici-bas ne peut rien contre ce feu. Ses flammes sont si élevées, qu'elles ne sauraient y atteindre, et comme il est tout céleste, il n'a garde de tirer sa naissance de la terre. Il y a d’autres feux qui, n'ayant pour principe qu'un assez faible amour de Dieu, sont étouffés par les moindres obstacles qu'ils rencontrent. Mais, quand mille tentations viendraient en foule, ainsi qu'une grande mer, pour éteindre celui dont je parle, non-seulement il ne diminuerait rien de sa chaleur, mais il les dissiperait toutes et en demeurerait pleinement victorieux. Que si c'est une eau qui tombe du ciel, au lieu de lui nuire, elle ne fait que redoubler encore son ardeur. Car, tant s'en faut que cette eau céleste et ce feu divin soient opposés, ils n'ont qu'une même origine. C'est pourquoi n'appréhendez pas que ces deux éléments surnaturels se combattent. Ils se donneront plutôt l'un à l'autre de nouvelles forces. L'eau des véritables larmes qui sont celles que la véritable oraison produit, est un don du roi du ciel, qui augmente la chaleur et la durée de ce feu céleste, ainsi que ce même feu augmente la fraîcheur de ces précieuses larmes. O mon Seigneur et mon Dieu, n'est-ce pas une chose agréable et merveilleuse tout ensemble de voir un feu qui ne refroidit pas seulement, mais qui glace toutes les affections du monde lorsqu'il est joint avec cette eau vive qui vient du ciel, qui est la source de ces larmes qui lui sont données, et qu'il n'est pas en notre puissance d'acquérir ? Car il est certain que cette eau céleste ne laisse en nous nulle chaleur pour nous attacher d'affection à aucune chose de la terre. Son naturel est d'allumer toujours de plus en plus ce feu divin, et de le répandre, s'il était possible, dans le monde. La seconde propriété de l'eau est de nettoyer ce qui est impur ; et si l'on manquait d'eau pour cet usage, en quel état serait le monde ? Or savez-vous bien que cette eau vive, cette eau céleste, cette eau claire dont je parle, nettoie de telle sorte les âmes lorsque, sans être troublée ni mêlée de quelque fange, elle tombe toute pure du ciel, que je tiens pour certain qu'une âme n'en saurait boire une seule fois sans être purifiée de toutes ses taches ; car, comme je l'ai dit ailleurs, cette eau qui n'est autre chose que notre union avec Dieu, étant toute surnaturelle et ne dépendant point de nous, il ne permet à quelques âmes d'en boire que pour les purifier des souillures de leurs péchés, et les affranchir des misères qui en étaient une suite malheureuse. Quant à ces autres douceurs que l'on reçoit par l'entremise de l'entendement, quelque grandes qu'elles soient, elles sont comme une eau qui n'étant pas puisée dans la source, mais courant sur la terre, trouve toujours quelque limon qui l'arrête et qui l'empêche d'être si claire et si pure. C'est pourquoi je ne donne point le nom d'eau vive à cette oraison à laquelle l'entendement a tant de part, parce que j'estime qu'en passant par l'esprit, qui est impur par lui-même, et par l'infection naturelle de ce corps vil et terrestre, elle contracte toujours quelque impureté, sans qu'il nous soit possible de l'éviter ; ou, pour m'expliquer plus clairement, je dis que lorsque, pour mépriser le monde nous considérons ce que c'est, et comme tout y finit, nous arrêtons, sans nous en apercevoir, notre pensée sur des choses qui nous y plaisent ; et encore que nous désirions de les fuir, nous ne laissons pas de tomber dans quelques distractions en songeant ce que ce monde a été, ce qu'il sera, ce qui s'y est fait, ce qui s'y fera. Quelquefois même, en voulant pensera ce que nous devons faire pour sortir de ces embarras, nous nous y engageons encore davantage. Ce n'est pas que je veuille que pour cela on quitte le sujet de son oraison ; mais il y a lieu de craindre de s'égarer, et il faut toujours être sur ses gardes. Au contraire, dans l'oraison d'union Dieu nous délivre de cette peine ;.il ne veut pas se fier à nous, mais prendre lui-même le soin de nous-mêmes. Il aime tellement notre âme, qu'il ne veut pas lui permettre de s'engager en des choses qui lui peuvent nuire dans le temps où il a dessein de la favoriser davantage. Ainsi il approche d'elle tout d'un coup, il la tient unie à lui, et lui fait voir en un instant plus de vérités, et lui donne une connaissance plus claire de toutes les choses du monde, qu'elle n'aurait pu en acquérir en plusieurs années par cette autre oraison qui est moins parfaite ; car, au lieu que dans le chemin que nous tenons d'ordinaire, la poussière nous aveugle et nous empêche d'avancer, ici Notre-Seigneur nous fait arriver sans retard à la fin où nous tendons, et sans que nous puissions comprendre comme cela s'est fait. La troisième propriété de l'eau est d'éteindre notre soif ; or, la soif, à mon avis, n'est que le désir dune chose dont nous avons un si grand besoin, que nous ne saurions sans mourir en être privés entièrement ; et certes il est étrange que l'eau soit d'une telle nature que son manquement nous donne la mort, et sa trop grande abondance nous ôte la vie, comme on le voit par ceux qui se noient.O mon Sauveur, qui serait si heureux que de se voir submergé dans cette eau vive jusqu'à y perdre la vie ? Cela n'est pas impossible, parce que notre amour pour Dieu et le désir de le posséder peuvent croître jusqu'à un tel point que notre corps ne pourra le supporter ; et ainsi il y a eu des personnes qui sont mortes de cette manière. J'en connais une à qui Notre-Seigneur donnait une si grande abondance de cette eau, que s'il ne l'eût bientôt secourue, les ravissements où elle entrait l'auraient presque fait sortir d'elle-même ; je dis qu'elle serait presque sortie d'elle-même, parce que l'extrême peine qu'elle avait de souffrir le monde la faisant presque mourir, il semblait qu'en même temps elle ressuscitait en Dieu dans un admirable repos, et que sa divine majesté, en la ravissant en lui, la rendait capable d'un bonheur dont elle n'aurait pu jouir sans perdre la vie si elle fût demeurée en elle-même. On peut connaître, par ce que je viens de dire, que comme il ne saurait rien y avoir en Dieu, qui est notre souverain bien, qui ne soit parfait, il ne nous donne jamais rien aussi qui ne nous soit avantageux. Ainsi, quelque abondante que soit cette eau, elle ne peut être excessive, parce qu'il ne saurait y avoir d'excès en ce qui procède de lui. C'est pourquoi lorsqu'il donne de cette eau à une âme en fort grande quantité, il la rend capable d'en beaucoup boire, de même que celui qui fait un vase le rend capable de recevoir ce qu'il veut y mettre. Lorsque le désir de jouir de ces faveurs vient de nous, il ne faut pas trouver étrange qu'il soit toujours accompagné de quelques défauts ; et s'il s'y rencontre quelque chose de bon, nous le devons à l'assistance de Notre-Seigneur ; car nos affections sont si déréglées, qu'à cause que cette peine est fort agréable, nous croyons ne nous en pouvoir rassasier : ce qui fait qu'au lieu de modérer notre désir, nous nous y laissons emporter de telle sorte, que quelquefois il nous tue. Oh ! qu'une telle mort est heureuse, quoique peut-être ceux qui la souffrent eussent pu, en continuant de vivre, aider les autres à désirer de mourir ainsi ! 
    Pour moi, je crois que c'est le démon qui, voyant combien la vie de ces personnes peut lui apporter de dommage, les tente de ruiner ainsi entièrement leur santé par des pénitences indiscrètes. C'est pourquoi j'estime qu'une âme qui est arrivée jusqu'à se sentir embrasée d'une soif si violente, doit fort se tenir sur ses gardes, parce qu'elle a sujet de croire qu'elle tombera dans cette tentation, et que, quand bien même cette soif ne la tuerait pas, elle ruinerait entièrement sa santé, dont la défaillance paraîtrait, malgré elle, dans son extérieur, ce qu'il n'y a rien qu'on ne doive faire pour éviter. Il arrivera même quelquefois que tous nos soins n’empêcheront pas que l'on ne s'en aperçoive ; et nous sommes obligées, au moins lorsque nous sentons l'impétuosité de ce désir s'accroître avec tant de violence, de ne pas l'augmenter encore par une application indiscrète. Au contraire, nous devons tâcher de l'arrêter doucement en nous attachant à méditer quelque autre sujet, parce qu'il peut arriver que notre naturel y contribue autant que notre amour pour Dieu ; car il y a des personnes qui désirent avec ardeur tout ce qu'elles désirent, quand même il serait mauvais, et celles-là, à mon avis, ne sont pas des plus mortifiées, puisque la mortification, qui sert à tout, les devrait modérer dans ce désir. Il paraîtra peut-être qu'il y a de la rêverie à dire qu'il faut se détacher d'une chose qui est si bonne, mais je vous assure qu'il n'y en a point ; car je ne prétends pas conseiller d'effacer ce désir de son esprit, mais seulement de le modérer par un autre qui pourra être encore meilleur : il faut que je m'explique plus clairement. Il nous vient un grand désir de nous voir détachés de la prison de ce corps pour être avec Dieu, qui est le désir dont saint Paul était si fortement possédé, et comme ce désir nous donne une peine qui, étant née d'une telle cause, est très-agréable, il n'est pas besoin d'une petite mortification pour l'arrêter, et on ne le peut pas même entièrement. Elle passe quelquefois dans un tel excès, qu'elle va presque jusqu'à troubler le jugement, ainsi je l'ai vu arriver il n'y a pas encore longtemps, à une personne qui, bien que violente de son naturel, est si accoutumée à renoncer à sa volonté, comme elle le témoigne en d'autres occasions, qu'il semble qu'elle n'en ait plus. On aurait cru que, durant ce moment, elle l'aurait perdu, tant la peine qu'elle souffrait était excessive, et tant l'effort qu'elle se faisait pour la dissimuler était grand. Sur quoi j'estime que, dans ces rencontres si extraordinaires, quoique cela procède de l'esprit de Dieu, c'est une humilité fort louable que de craindre, parce que nous ne devons pas nous persuader d'avoir un si grand amour pour lui, qui soit capable de nous réduire à un tel état. Je dis donc encore que j'estimerais utile, si cette personne le peut (car peut-être ne le pourra-t-elle pas toujours), qu'elle renonçât à ce désir qu'elle a de mourir, en considérant le peu de service qu'elle a jusqu'alors rendu à Dieu ; qu'elle pourra lui plaire davantage en conservant sa vie qu'en la perdant, et qu'il veut peut- être se servir d'elle pour ouvrir les yeux de quelque âme qui allait se perdre. Car, se rendant ainsi plus agréable à sa divine majesté, elle aura sujet d'espérer de la posséder un jour plus pleinement qu'elle ne l'aurait fait si elle était morte à l'heure même. Ce remède me semble bon pour adoucir une peine si pressante, et on en tirera sans doute un grand avantage, puisque, pour servir Dieu fidèlement, il faut ici-bas porter sa croix. C'est comme si, pour consoler une personne fort affligée, on lui disait : Prenez patience, abandonnez-vous à la conduite de Dieu, priez-le d'accomplir en vous sa volonté, et croyez que le plus sûr est d'en user ainsi en toutes choses. Il peut se faire aussi que le démon contribue fort à augmenter la violence de ce désir de mourir, ainsi qu'il me semble que Cassien en rapporte l'exemple d'un ermite dont la vie était très-austère, à qui cet esprit malheureux persuada de se jeter dans un puits, disant qu'il en verrait plus tôt Dieu. Sur quoi j'estime que la vie de ce solitaire n'avait pas été sainte, ni son humilité véritable, puisque autrement Notre-Seigneur étant aussi bon et aussi fidèle dans ses promesses qu'il l'est, il n'aurait jamais permis qu'il se fût aveuglé de telle sorte dans une chose si claire ; car il est évident qu'il n'aurait pas commis un tel crime, si ce désir fût venu de Dieu, qui ne nous inspire aucun mouvement qui ne soit accompagné de lumière, de discrétion et de sagesse. Mais il n'y a point d'artifice dont cet ennemi de notre salut ne se serve pour nous nuire, et comme il veille toujours pour nous attaquer, tenons-nous aussi toujours sur nos gardes pour nous défendre. Cet avis est utile en plusieurs rencontres, et particulièrement pour abréger le temps de l'oraison, quelque consolation que l'on y reçoive, lorsque l'on sent les forces du corps commencer à défaillir, ou que l'on a mal à la tête ; car la discrétion est nécessaire en toutes choses. Or, pourquoi pensez-vous, mes filles, que j'aie voulu vous faire voir avant le combat quel en est le prix et la récompense, en vous parlant des avantages qui se trouvent à boire de l'eau si vive et si pure de cette fontaine céleste ? C'est afin que vous ne vous découragiez point par les travaux et les contradictions qui se rencontrent dans le chemin qui vous y conduit ; mais que vous marchiez avec courage et sans craindre la lassitude, parce qu'il pourrait arriver, comme je l'ai dit, qu'étant venues jusqu’au bord de la fontaine, et ne restant plus qu'à vous baisser pour y boire, vous vous priveriez d'un si grand bien, et abandonneriez votre entreprise, en vous imaginant de n'avoir pas assez de force pour l'exécuter. Considérez que Notre-Seigneur nous y convie tous ; et puisqu'il est la vérité même, pouvons-nous douter de la vérité de ses paroles ? Si ce banquet n'était pas général, il ne nous y appellerait pas tous ; et quand même il nous y appellerait, il ne dirait pas : Je vous donnerai à boire. Il pouvait se contenter de dire : Venez tous, vous ne perdrez rien à me servir, et je donnerai à boire de cette eau à ceux, à qui il me plaira d'en donner. Mais comme il a usé du mot tous, sans y mettre cette condition, je tiens pour certain que cette eau vive sera pour tous ceux qui ne se lasseront pas de marcher dans ce chemin. Je prie Notre-Seigneur de vouloir bien, par son extrême bouté, donner aux personnes à qui il la promet, la grâce de la chercher, et la manière qu'elle doit l'être. 

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    « Reply #20 on: May 10, 2017, 11:48:10 PM »
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  • CHAPITRE XX. 
    Qu'il y a divers chemins pour arriver à cette divine source de l'oraison et qu'il ne faut jamais se décourager d'y marcher. Du zèle que l'on doit avoir pour le salut des âmes. En quel cas une religieuse peut témoigner de la tendresse dans l’amitié, et quels doivent être ses entretiens. 

    DE DIVERS CHEMINS POUR ARRIVER À L'ORAISON. 

    Il semble que dans ce dernier chapitre, j'ai avancé quelque chose de contraire à ce que j'avais dit auparavant, lorsque, pour consoler celles qui n'arrivent que jusqu'à cette sorte d'oraison, j'ai ajouté qu'ainsi qu'il y a diverses demeures dans la maison de Dieu, il y a aussi divers chemins pour aller à lui ; mais je ne crains point d'assurer encore que, connaissant comme il faut notre faiblesse, il nous assiste par sa bonté. Il n'a pas néanmoins dit aux uns d'aller par un chemin, et aux autres d'aller par un autre ; au contraire sa miséricorde, qui doit être louée éternellement, est si grande qu'il n'empêche personne d'aller boire dans cette fontaine de la vie. Autrement, avec combien de raison m'en aurait-il empêchée ? et, puisqu'il a bien voulu me permettre de puiser jusqu'au fond de cette divine source, on peut assurer qu'il n'empêche personne d'y arriver ; mais que plutôt il nous appelle à haute voix pour y aller, quoique sa bonté soit si grande, qu'il ne nous y force point. Il se contente de donner à boire de cette eau en diverses manières à ceux qui lui en demandent, afin que nul ne perde l'espérance et ne se trouve en état de mourir de soif. Cette source est si abondante qu'il en sort divers ruisseaux, les uns grands, les autres moindres, et d'autres si petits, qu'il n'y a qu'un filet d'eau pour désaltérer ceux qui étant comme des enfants, n'en ont pas besoin davantage, et s'effraieraient d'en avoir en trop grande quantité. Ne craignez donc point, mes sœurs, de mourir de soif ; l'eau des consolations ne manque jamais de telle sorte dans ce chemin, que l'on soit réduit à l'extrémité. Ainsi marchez toujours, combattez avec courage, et mourez plutôt que d'abandonner votre entreprise, puisque vous n'avez embrassé une profession si sainte que pour avoir continuellement les armes à la main, et pour combattre. Que si vous demeurez fermes dans cette résolution, quoique Notre-Seigneur permette que vous souffriez de soif durant cette vie, assurez-vous qu'il vous rassasiera pleinement en l'autre de cette eau divine, sans pouvoir appréhender qu'elle vous manque jamais. Je le prie de tout mon cœur que ce ne soit pas plutôt nous qui lui manquions. Pour commencer donc à marcher de telle sorte dans ce chemin que l'on ne s'égare pas dès l'entrée, je veux parler de la manière dont nous devons commencer notre voyage, parce que cela est si important, qu'il y va de tout. Je ne dis pas que celui qui n'aura point la résolution dont je vais parler doive abandonner le dessein de s'y engager, parce que Notre-Seigneur le fortifiera ; et quand il ne s'avancerait que d'un pas, ce pas est d'une telle conséquence, qu'il peut s'assurer d'en être fort bien récompensé. C'est comme un homme qui aurait un chapelet sur lequel on aurait appliqué des indulgences : s'il le dit une fois, il en profite ; s'il le dit plusieurs fois, il en profite encore davantage ; mais s'il ne le dit jamais, et se contente de le tenir dans une boîte, il vaudrait mieux pour lui qu'il ne l'eût point. Ainsi, quoique cette personne ne continue pas de marcher dans ce chemin, le peu qu'elle y aura marché lui donnera lumière pour se mieux conduire dans les autres, et de même à proportion, si elle y marche davantage. Ainsi, elle se peut assurer qu'elle ne se trouvera jamais mal d'avoir commencé d'y entrer, encore qu'elle le quitte, parce que jamais le bien ne produit le mal. DU ZÈLE POUR LE SALUT DES ÂMES. Tâchez donc, mes filles, d'ôter la crainte de. s'engager dans une si sainte entreprise à toutes les personnes avec qui vous communiquerez, si elles y ont de la disposition et quelque confiance en vous. Je vous demande, au nom Dieu, que votre conversation soit telle, qu'elle ait toujours pour but le bien spirituel de ceux à qui vous parlez ; car, puisque l'objet de votre oraison doit être l'avancement des âmes dans la vertu, et que vous le devez sans cesse demander à Dieu, pourquoi donc ne tâcherions-nous pas de le procurer en toutes manières ? Si vous voulez passer pour bonnes parentes, c'est là le moyen de témoigner combien votre affection est véritable. Si vous voulez passer pour bonnes amis, vous ne sauriez aussi le faire connaître que par là, et si vous avez la vérité dans le cœur, ainsi que votre méditation l'y doit mettre, vous n'aurez pas peine à connaître comme nous sommes obligés d'avoir de la charité pour notre prochain. LANGAGE QUE DOIVENT TENIR LES RELIGIEUSES. Ce n'est plus le temps, mes sœurs, de s'amuser à des jeux d'enfants, tels que sont, ce me semble, ces amitiés que l'on voit d'ordinaire dans le monde, quoiqu'en elles-mêmes elles soient bonnes. Ainsi vous ne devez jamais employer ces paroles : M'aimezvous donc bien ? ne m'aimez-vous point ? ni avec vos parents, ni avec nul autre, si ce n'est pour quelque fin importante, ou pour le bien spirituel de quelque personne ; car il pourra se faire que, pour disposer quelqu'un de vos frères ou de vos proches, ou quelque autre personne semblable, à écouter une vérité et à en faire son profil, il sera besoin d'user de ces témoignages d'amitié si agréables aux sens ; et même qu'une de ces paroles obligeantes (car c'est ainsi qu'on les nomme dans le monde) fera un plus grand effet sur leur esprit que plusieurs autres qui seraient purement selon le langage de Dieu, et qu'ensuite de cette disposition, elles les toucheront beaucoup plus qu'elles n'auraient fait sans cela. Ainsi, pourvu que l'on n'en use que dans cette vue et dans ce dessein, je ne les désapprouve pas ; mais autrement elles n'apporteraient aucun profit, et pourraient nuire sans que vous y prissiez garde. Les gens du monde ne savent-ils pas qu'étant religieuses, votre occupation est l'oraison ? Sur quoi gardez-vous bien de dire : Je ne veux pas passer pour bonne dans leur esprit, puisque faisant, comme vous faites, partie de la communauté, tout le bien ou tout le mal qu'ils remarqueront en vous retombera aussi sur elle. C'est sans doute un grand mal que des personnes qui, étant religieuses, sont si particulièrement obligées à ne parler que de Dieu, s'imaginent de pouvoir avec raison dissimuler en de semblables occasions, à moins que ce ne fût pour quelque grand bien : ce qui n'arrive que trèsrarement. Ce doit être là votre manière d'agir, ce doit être votre langage. Que ceux qui voudront traiter avec vous l'apprennent donc, si bon leur semble ; et s'ils ne le font, gardez-vous bien d'apprendre le leur, qui serait pour vous le chemin de l'enfer. Que s'ils vous regardent comme grossières et inciviles, que vous importe qu'ils aient cette croyance ? et moins encore s'ils vous prennent pour des hypocrites. Vous y gagnerez de n'être visitées que de ceux qui seront accoutumés à votre langage : car comment celui qui n'entendrait point l'arabe pourrait-il prendre plaisir de parler beaucoup à un homme qui ne saurait nulle autre langue ? Ainsi ils ne vous importuneront plus, ni ne vous causeront aucun préjudice ; au lieu que vous en éprouveriez un fort grand de commencer à parler un autre langage ; tout votre temps se consumerait à cela, et vous ne sauriez croire, comme moi qui l'ai éprouvé, quel est le mal qu'en reçoit une âme En voulant apprendre cette langue, on oublie l'autre, et on tombe dans une inquiétude continuelle, qu'il faut fuir sur toutes choses, parce que rien n'est plus nécessaire que la paix et la tranquillité de l'esprit pour entrer et marcher dans ce chemin dont je commence à vous parler. Si ceux qui communiqueront avec vous veulent apprendre votre langue, comme ce n’est pas à vous à les en instruire, vous vous contenterez de leur représenter les grands avantages qu'ils pourront en recevoir, et vous ne vous lasserez point de les leur dire, mais avec piété, avec charité, et en y joignant vos oraisons, afin qu'ils en fassent profit, et que connaissant combien cela peut leur être utile, ils cherchent des maîtres capables de les en instruire. Ce ne serait pas sans doute, mes filles, une petite faveur que vous recevriez de Dieu, si vous pouviez faire ouvrir les yeux de l'âme à quelqu'un, pour le porter à désirer un si grand bien ; mais lorsque l'on veut commencer à parler de ce chemin, que de choses se présentent à l'esprit, particulièrement quand c'est une personne qui a, comme moi, si mal fait son devoir d'y marcher. Dieu veuille, mes sœurs, me faire la grâce que mes paroles ne ressemblent pas à mes actions !

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    « Reply #21 on: May 16, 2017, 12:04:10 AM »
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  • CHAPITRE XXI. 

    Que dans le chemin de l'oraison rien ne doit empêcher de marcher toujours. Mépriser tontes les craintes qu'on vent donner des difficultés et des périls qui s'y rencontrent. Que quelquefois une ou deux personnes suscitées de Dieu pour faire connaître la vérité, prévalent par-dessus plusieurs autres, unies ensemble pour l'obscurcir et pour la combattre. 

    QU'IL FAUT MARCHER SANS CRAINTE DANS LE CHEMIN DE L'ORAISON. 

    Que la quantité des choses auxquelles il faut penser pour entreprendre ce divin voyage, et entrer dans ce chemin royal qui conduit au ciel, ne vous étonne point, mes filles. Est-il étrange que, s'agissant d'acquérir un si grand trésor, il semble d'abord nous devoir coûter bien cher ? Un temps viendra que nous connaîtrons que tout le monde ensemble ne suffirait pas pour le payer. Pour revenir donc à la manière dont doivent commencer ceux qui veulent entrer dans ce chemin, et marcher jusqu'à ce qu'ils arrivent à la source de cette eau de vie, pour en boire et pour s'en rassasier, je dis qu'il importe essentiellement d'avoir une ferme résolution de ne point s'arrêter qu'on ne soit à la fontaine, quelque difficulté qui arrive, quelque obstacle que l'on rencontre, quelque murmure que l'on entende, quelque peine que l'on souffre, quelque fortune que l'on coure, quelque apparence qu'il y ait de ne pouvoir résister à tant de travaux, et enfin, quand on croirait devoir en mourir, et que tout le monde devrait s'abîmer. Car ce sont-là les discours que l'on nous tient d'ordinaire : Cette voie est toute pleine de périls : une telle s'est perdue dans ce voyage ; celle-ci se trouva trompée, et cette autre, qui priait tant, n'a pas laissé de tomber ; c'est rendre la vertu méprisable ; ce n'est pas une entreprise de femmes sujettes à des illusions ; il faut qu'elles se contentent de filer, sans s'amuser à chercher tant de délicatesses dans leur oraison, et le Pater noster et l'Ave, Maria, leur doivent suffire. Je demeure d'accord, mes sœurs, qu'ils doivent leur suffire ; et pourquoi ne leur suffiraient-ils pas, puisqu'on ne saurait faillir en établissant son oraison sur celle qui est sortie de la bouche de Jésus-Christ même ? Ils ont sans doute raison ; et si notre faiblesse n'était pas si grande et notre dévotion si froide, nous n'aurions besoin ni d'autres oraisons, ni d'aucun livre pour nous instruire dans la prière. C'est pourquoi, puisque je parle à des personnes qui ne peuvent se recueillir en s'appliquant à méditer d'autres mystères qui leur semblent trop subtils et trop raffinés, et qu'il y a des esprits si délicats que rien n'est capable de les contenter, j'estime à propos d'établir ici certains principes, certains moyens, et certaines intentions d'oraison, sans m'arrêter à des choses trop élevées. Ainsi on ne pourra pas vous ôter vos livres, puisque, pourvu que vous vous affectionniez à cela, et que vous soyez humbles, vous n'aurez besoin de rien de plus. Je m'y suis toujours fort attachée ; et les paroles de l'Évangile me font entrer dans un plus grand recueillement que les ouvrages les plus savants et les mieux écrits, principalement lorsque les auteurs ne sont pas fort approuvés ; car alors il ne me prend jamais envie de les lire. Il faut donc que je m'approche de ce maître de la sagesse, et il m'enseignera peut-être quelques considérations dont vous aurez sujet d'être satisfaites. Ce n'est pas que je prétende vous donner l'explication de ces oraisons divines, assez d'autres l'ont fait ; et quand cela ne serait point, je ne serais pas si hardie que de l'entreprendre, sachant bien qu'il y aurait de la folie ; mais je vous proposerai seulement quelques considérations sur les paroles du Pater noster ; la quantité de livres ne servant, ce me semble, qu'à faire perdre la dévotion dont nous avons besoin dans cette divine prière. Car, ainsi qu'un maître qui affectionne son disciple tâche de faire que ce qu'il lui montre lui plaise, afin qu'il l'apprenne plus facilement, qui doute que ce divin maître n'agisse de même envers nous ? Moquez-vous donc de toutes ces craintes que l'on tâchera de vous donner, et de tous ces périls dont on voudra vous faire peur ; car le chemin qui conduit à la possession d'un si grand trésor étant tout plein de voleurs, quelle apparence de prétendre pouvoir le passer sans péril ? Les gens du monde souffriraient-ils, sans s'y opposer, qu'on leur enlevât leurs trésors, eux qui, pour un intérêt de néant, passent sans dormir les nuits entières, et se tuent le corps et l'âme ? Si donc, lorsque vous allez pour acquérir, ou pour mieux dire, pour enlever ce trésor de force, suivant cette parole de NotreSeigneur, que les violents le ravissent ; si, lorsque vous y allez par ce chemin, qui est un chemin royal puisqu'il nous a été tracé par notre roi, et un chemin très-assuré puisque c'est celui qu'ont tenu tous les élus et tous les saints, on vous dit qu'il y a tant de périls à courir, et l'on vous donne tant de craintes, quels doivent être les périls de ceux qui prétendent gagner ce trésor sans savoir le chemin qu'il faut tenir pour y arriver ? O mes filles ! qu'il est vrai qu'ils sont incomparablement plus grands que les autres ! mais ils ne les connaîtront que lorsque, y étant tombés, ils ne trouveront personne qui leur donne la main pour se relever, et perdront ainsi toute espérance, non-seulement de désaltérer leur soif dans cette source d'eau vive, mais de pouvoir en boire la moindre goutte, ou dans quelque ruisseau qui en sorte, ou dans quelque fossé ou quelque mare. Comment pourraient-ils donc continuer à marcher dans ce chemin, où il se rencontre tant d'ennemis à combattre, sans avoir bu une seule goutte de cette eau divine ? et n'est-il pas certain qu'ils ne sauraient éviter de mourir de soif ? Ainsi, mes filles, puisque, soit que nous le voulions ou ne le voulions pas, nous marchons toutes vers cette fontaine, quoiqu'on différentes manières ; croyez-moi, ne vous laissez point tromper par ceux qui voudraient vous enseigner un autre chemin pour y aller que celui de l'oraison. Il ne s'agit pas maintenant de savoir si cette oraison doit être mentale pour les uns, et vocale pour les autres ; je dis seulement que vous avez besoin de toutes les deux. C'est là l'exercice des personnes religieuses ; et quiconque vous dira qu'il y a du péril, considérez-le comme étant lui-même, par ce mauvais conseil qu'il vous donne, un si périlleux écueil pour vous, que, si vous ne l'évitez en le fuyant, il vous fera faire naufrage. Gravez, je vous prie, cet avis dans votre mémoire, puisque vous pourrez en avoir besoin. Le péril serait de manquer d'humilité, et de ne pas avoir les autres vertus ; mais à Dieu ne plaise que l'on puisse jamais dire qu'il y ait du péril dans le chemin de l'oraison ! Il y a grand sujet de croire que ces frayeurs sont une invention du diable, qui se sert de cet artifice pour faire tomber quelques âmes qui s'adonnent à l'oraison. Admirez, je vous prie, l'aveuglement des gens du monde : ils ne considèrent point cette foule incroyable de personnes qui, ne faisant jamais d'oraison et ne sachant pas même ce que c'est que de prier, sont tombées dans l'hérésie et dans tant d'autres horribles péchés ; et si le démon, par ses tromperies et par un malheur déplorable, mais qui est très-rare, fait tomber quelqu'un de ceux qui s'emploient à un si saint exercice, ils en prennent sujet de remplir de crainte l'esprit des autres, touchant la pratique de la vertu. En vérité, c'est une belle imagination à ceux qui se laissent ainsi abuser, de croire que pour se garantir du mal, il faut éviter de faire le bien, et je ne crois pas que jamais le diable se soit avisé d'un meilleur moyen pour nuire aux hommes. « O mon Dieu ! vous voyez comme on explique vos paroles à contre-sens. Défendez votre propre cause, et ne souffrez pas de telles faiblesses en des personnes consacrées à votre service. » Vous aurez toujours au moins cet avantage, mes sœurs, que votre divin époux ne permettra jamais que vous manquiez de quelqu'un qui vous assiste dans une entreprise si sainte ; et lorsqu'on le sert fidèlement, et qu'il donne la lumière qui peut conduire dans le véritable chemin, nonseulement on n'est point arrêté par ces craintes que le démon tâche d'inspirer, mais on sent de plus en plus croître le désir de continuer à marcher avec courage ; on voit venir le coup que cet esprit infernal veut nous porter, et on lui en porte un à lui-même, qui lui fait sentir plus de douleur que la perte de ceux qu'il surmonte ne lui donne de plaisir et de joie. Lorsque dans un temps de trouble, cet ennemi de notre salut ayant semé la zizanie, semble entraîner tout le monde après lui, comme autant d'aveugles éblouis par l'apparence d'un bon zèle, s'il arrive que Dieu suscite quelqu'un qui leur fasse ouvrir les yeux et leur montre les ténèbres infernales qui, offusquant leur esprit, les empêchent d'apercevoir le chemin, n'est-ce pas une chose digne de son infinie bonté de faire que quelquefois un homme qui enseigne la vérité prévaut sur plusieurs qui ne la connaissent pas ? Ce fidèle serviteur commence peu à peu à leur découvrir le chemin de la vérité, et Dieu leur donne du courage pour le suivre. S'ils s'imaginent qu'il y a du péril dans l'oraison, il tâche de leur faire connaître, sinon par ses paroles, au moins par ses œuvres, combien l'oraison est avantageuse ; s'ils disent qu'il n'est pas bon de communier souvent, il communie lui-même plus souvent qu'il n'avait accoutumé, pour leur faire voir le contraire. Ainsi, pourvu qu'il ait un ou deux qui suivent sans crainte le bon chemin, Notre-Seigneur recouvrera peu à peu, par leur moyen, les âmes qui étaient dans l'égarement. Renoncez donc, mes sœurs, à toutes ces craintes ; méprisez ces opinions vulgaires ; considérez que nous ne sommes pas dans un temps où il faille ajouter foi à toutes sortes de personnes, mais seulement à celles qui conforment leur vie à la vie de Jésus-Christ ; tâchez de conserver toujours votre conscience pure ; fortifiez-vous dans l'humilité ; foulez aux pieds toutes les choses de la terre ; demeurez inébranlables dans la foi de la sainte Église, et ne doutez point après cela que vous ne soyez dans le bon chemin. Je le répète encore, renoncez à toutes ces craintes dans les choses où il n'y a nul sujet de craindre ; et si quelques-uns tâchent de vous en donner, faites-leur connaître avec humilité quel est le chemin que vous tenez ; dites-leur, comme il est vrai, que votre règle vous ordonne de prier sans cesse, que vous êtes obligées de la garder. Que s'ils vous répondent que cela s'entend de prier vocalement, demandez-leur s'il faut que l'esprit et le cœur soient attentifs aussi bien dans les prières vocales que dans les autres ; et s'ils repartent que oui, comme ils ne sauraient ne point le faire, vous connaîtrez qu'ils sont contraints d'avouer qu'en faisant bien l'oraison vocale, vous ne sauriez ne pas faire la mentale, et que vous pourrez passer même jusqu'à la contemplation, s'il plaît à Dieu de vous la donner. Qu'il soit béni éternellement ! 

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    « Reply #22 on: May 22, 2017, 02:29:18 AM »
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  • CHAPITRE XXII. 

    De l'oraison mentale. Qu'elle doit toujours être jointe à la vocale. Des perfections infinies de Dieu. Comparaison du mariage avec l'union de l'âme avec Dieu. 

    DE L'ORAISON MENTALE. 

    Sachez, mes filles, que la différence de l'oraison ne doit pas se prendre de notre voix et de nos paroles, en sorte que lorsque nous parlons elle soit vocale, et lorsque nous nous taisons elle soit mentale ; car si, en priant vocalement, je m’occupe toute à considérer que je parle à Dieu, si je me tiens en sa présence, et si je suis plus attentive à cette considération qu'aux paroles mêmes que je prononce, c'est alors que l'oraison mentale et la vocale se trouvent jointes, si ce n'est qu'on voulût nous faire croire que l'on parle à Dieu quand, en prononçant le Pater, on pense au monde, auquel cas je n'ai rien à dire ; mais, si en parlant à un si grand Seigneur, vous voulez lui parler avec le respect qui lui est dû, ne devez-vous pas considérer ce qu'il est et ce que vous êtes ? Car, comment pourrez-vous parler à un roi et lui donner le titre de Majesté, ou comment pourrez-vous garder les cérémonies qui s'observent en parlant aux grands, si vous ignorez combien leur qualité est élevée au-dessus de la vôtre, puisque ces cérémonies dépendent ou de la différence des qualités, ou de la coutume et de l'usage ? Il est donc nécessaire que vous en sachiez quelque chose, autrement vous serez renvoyées comme des personnes grossières, et ne pourrez traiter avec eux d'aucune affaire. « Quelle ridicule ignorance serait-ce, ô mon Seigneur, que celle-là ! Quelle sotte simplicité serait-ce, ô mon souverain monarque ! et comment pourrait-elle se souffrir ? Vous êtes roi, ô mon Dieu, mais un roi tout-puissant et éternel, parce que vous ne tenez de personne le royaume que vous possédez ; et je n'entends presque jamais dire, dans le Credo, que votre royaume n'aura point de fin, sans en ressentir une joie particulière. Je vous loue, mon Dieu, et je vous bénis toujours, parce que votre royaume durera toujours. Mais ne permettez pas, mon Sauveur, que ceux-là puissent passer pour bons qui, lorsqu'ils parlent à vous, vous parlent seulement avec les lèvres. » Que pensez-vous dire, chrétiens, quand vous dites qu'il n'est pas besoin de faire l'oraison mentale ? Vous entendez-vous bien vous-mêmes ? Certes, je pense que non : et ainsi il semble que vous vouliez nous faire tous entrer dans vos rêveries, puisque vous ne savez ce que c'est que contemplation, ni qu'oraison mentale, ni comment on doit faire la vocale ; car si vous le saviez, vous ne condamneriez pas en ceci ce que vous approuveriez ailleurs. C'est pourquoi, mes filles, je joindrai toujours, autant que je m'en souviendrai, l'oraison mentale avec la vocale, afin que ces personnes ne vous épouvantent pas par leurs vains discours. Je sais où peuvent vous mener ces pensées, et, comme j'en ai moi-même été assez inquiétée, je souhaiterais que personne ne vous en inquiétât, parce qu'il est très-dangereux de marcher dans ce chemin avec une défiance pleine de crainte. Il vous importe extrêmement, au contraire, d'être assurées que celui que vous tenez est fort bon, puisque autrement il vous arriverait comme au voyageur à qui l'on dit qu'il s'est égaré ; il tourne de tous côtés pour retrouver son chemin, et ne gagne à ce travail que de se lasser, de perdre du temps, et d'arriver beaucoup plus tard. Quelqu'un oserait-il soutenir que ce fût mal fait, avant que de commencer à dire ses heures, ou à réciter le rosaire, de penser à celui à qui nous allons parler, et de nous remettre devant les yeux ce qu'il est et ce que nous sommes, afin de considérer de quelle sorte nous devons traiter avec lui ? Cependant, mes sœurs, il est vrai que si l'on s'acquitte bien de ces deux choses, il se trouvera qu'avant de commencer l'oraison vocale, vous aurez employé quelque temps à la mentale. N'est-il pas certain, que quand nous abordons un prince pour lui parler, ce doit être avec plus de préparation que pour parler à un paysan, ou à quelque pauvre tel que nous sommes, puisque pour ceux-là il n'importe de quelle sorte nous leur parlions ? Je sais que l'humilité de ce roi est telle, que, quoique je sois si rustique et que j'ignore comment il faut lui parler, il ne laisse pas de m'écouter et de me permettre d'approcher de lui. Je sais que les anges, qui sont comme ses gardes, ne me repoussent point pour m'en empêcher, parce que, connaissant la bonté de leur souverain, ils n'ignorent pas qu'il aime mieux la simplicité d'un petit berger, lorsqu'elle est accompagnée d'humilité, et connaît que, s'il en savait davantage, il en dirait davantage, que non pas la sublimité et l'élégance du raisonnement des plus habiles, lorsque cette vertu leur manque. Mais faut-il, parce qu'il est si bon, que nous soyons inciviles ? Et quand il ne nous ferait point d'autre faveur que de souffrir que nous nous approchions de lui, quoiqu'étant si imparfaites, pourrions-nous trop tâcher de connaître quelle est sa grandeur et son adorable pureté ! Il est vrai qu'il suffit de l'approcher pour savoir combien il est grand, comme il suffît de savoir la naissance, le bien et les dignités des princes du monde pour apprendre quel est l'honneur qui leur est dû, parce que ce sont ces conditions qui le règlent, et non pas le mérite de leurs personnes. O misérable et malheureux monde ! vous ne sauriez, mes filles, trop louer Dieu de la grâce qu'il vous a faite de l'abandonner. Car quelle plus grande marque peut-il y avoir de son extrême corruption, que ce qu'au lieu de considérer les personnes par leur mérite, ou, ne les y considère que par les seuls avantages de la fortune, qui ne cessent pas plus tôt que tous ces honneurs s'évanouissent. Cela me semble si ridicule que, lorsque vous vous assemblerez pour prendre quelque récréation, ce vous en pourra être un sujet assez utile que de considérer de quelle sorte les gens du monde, ainsi que de pauvres aveugles, passent leur vie. DES PERFECTIONS INFINIES DE DIEU. O mon souverain monarque, puissance infinie, immense bonté, suprême sagesse, principe sans principe, abîme de merveilles, beauté source de beauté, force qui est la force même ! « Grand Dieu, dont les perfections sont également indéterminées et incompréhensibles, quand toute l'éloquence humaine et toute la connaissance d'ici-bas, qui ne sont en effet qu'ignorance, seraient jointes ensemble, comment pourraient-elles nous faire comprendre la moindre de tant de perfections qu'il faudrait connaître pour savoir, en quelque sorte, quel est ce roi par excellence qui fait seul tout notre bonheur et toute notre félicité, et qui n'est autre chose que vous-même ? » Lorsque vous vous approchez, mes filles, de cette éternelle majesté, si vous considérez attentivement à qui vous allez parler, et à qui vous parlez, le temps de mille vies telle qu'est la nôtre ne suffirait pas pour vous faire concevoir de quelle sorte il mérite d'être traité, lui devant qui les anges tremblent, lui qui commande partout, qui peut tout, et en qui le vouloir et l'effet ne sont qu'une même chose. N'est-il donc pas raisonnable, mes filles, que nous nous réjouissions des grandeurs de notre époux, et que, considérant combien nous sommes heureuses d'être ses épouses, nous menions une vie, conforme à une condition si relevée ? MARIAGE DE L’ÂME AVEC DIEU. Hélas ! mon Dieu, puisque dans le monde, lorsque quelqu'un recherche une fille, on commence par s'informer de sa qualité et de son bien, pourquoi nous, qui vous sommes déjà fiancées, ne nous informerions-nous pas de la condition de notre époux avant que le mariage s'accomplisse, et que nous quittions tout pour le suivre ? Si on le permet aux filles qui doivent épouser un homme mortel, nous refusera-t-on la liberté de nous informer qui est cet homme immortel que nous prétendons d'avoir pour époux, quel est son père, quel est le pays où il veut nous emmener avec lui, quelle est sa qualité, quels sont les avantages qu'il nous promet, et surtout quelle est son humeur, afin d'y conformer la nôtre et de nous efforcer de lui plaire en faisant tout ce que nous saurons lui être le plus agréable ? On ne dit autre chose à une fille, sinon que, pour être heureuse dans son mariage, il faut qu'elle s'accommode à l'humeur de son mari, quand même il serait d'une condition beaucoup inférieure à la sienne. Et l'on veut, ô mon divin époux, que nous fassions moins pour vous contenter, et vous traitions avec un moindre respect que l'on ne traite les hommes ! Mais quel droit ont-ils de se mêler de ce qui regarde vos épouses ? Ce n'est pas à eux, c'est à vous seul qu'elles doivent se rendre agréables, puisque c'est avec vous seul qu'elles doivent passer leur vie. Quand un mari vit si bien avec sa femme et a tant d'affection, qu'il désire qu'elle lui tienne toujours compagnie, n'aurait-elle pas bonne grâce de ne pas daigner, pour lui plaire, entrer dans un sentiment si obligeant, elle qui doit mettre toute sa satisfaction dans l'amitié qu'il lui porte, et à laquelle elle doit répondre ? C'est faire oraison mentale, mes filles, de comprendre bien ces vérités. Que si vous voulez y ajouter aussi l'oraison vocale, à la bonne heure, vous le pouvez faire. Mais lorsque vous parlez à Dieu, ne pensez point à d'autres choses, car en user ainsi, ce n'est pas savoir ce que c'est qu'oraison mentale. Je crois vous l'avoir assez expliqué, et je prie Notre-Seigneur qu'il nous fasse la grâce de le bien mettre en pratique. 

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    « Reply #23 on: May 27, 2017, 04:50:18 AM »
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  • CHAPITRE XXIII. 

    Trois raisons pour montrer que quand on commence à s'adonner à l'oraison, il faut avoir un ferme dessein de continuer. Des assistances que Dieu donne à ceux qui sont dans ce dessein. 

    DE LA PERSÉVÉRANCE NÉCESSAIRE DANS L'ORAISON. 

    Quand nous commençons à faire oraison, il importe tellement d'avoir un ferme dessein de continuer, que, pour ne pas trop m'étendre sur ce sujet, je me contenterai d'en rapporter deux ou trois raisons. La première est que Dieu nous étant si libéral et nous comblant sans cesse de ses faveurs, quelle apparence y aurait-il que lorsque nous lui donnons ce petit soin de le prier, qui nous est si avantageux, nous ne le lui donnions pas avec une pleine et entière volonté, mais seulement comme une chose que l'on prête avec intention de la retirer ? Cela ne pourrait, ce me semble, se nommer un don. Car si un ami redemande à son ami une chose qu'il lui a prêtée, ne l'attristera-t-il pas, principalement s'il en a besoin, et s'il la considérait déjà comme sienne ? Que s'il se rencontre que celui qui a reçu ce prêt ait lui-même fort obligé auparavant son ami, et d'une manière très-désintéressée, n'aura-t-il pas sujet de croire qu'il n'a ni générosité ni affection pour lui, puisqu'il ne veut pas lui laisser ce qu'il lui avait prêté pour lui servir comme d'un gage de son amitié ? Quelle est l'épouse qui, en recevant de son époux quantité de pierreries de très-grand prix, ne lui veuille pas au moins donner une bague, non pour sa valeur, puisqu'elle n'a rien qui ne soit à lui, mais comme une marque qu'elle-même, jusqu'à la mort, sera toute à lui ? Dieu mérite-t-il moins qu'un homme d'être respecté, pour oser ainsi nous moquer de lui, en lui donnant et en retirant à l'heure même ce peu qu'on lui a donné ? Si nous consumons tant de temps avec d'autres qui ne nous en savent point de gré, donnons au moins de bon cœur, à notre immortel époux, ce peu de temps que nous nous résolvons de lui donner ; donnons-le-lui avec un esprit libre et dégagé de toutes autres pensées, et redonnons-le-lui avec une ferme résolution de ne vouloir jamais le reprendre, quelques contradictions, quelques peines et quelques sécheresses qui nous arrivent. Considérons ce temps-là comme une chose qui n'est plus à nous, et qu'on nous pourrait redemander avec justice, si nous ne voulions pas le donner tout entier à Dieu. Je dis tout entier, parce que discontinuer durant un jour, ou même durant quelques jours pour des occupations nécessaires, ou pour quelque indisposition particulière, n'est pas vouloir reprendre ce que nous avons donné. Il suffit que notre intention demeure ferme ; Notre-Seigneur n'est pas pointilleux, il ne s'arrête point aux petites choses, et ainsi il ne manquera pas de reconnaître votre bonne volonté, puisque vous lui donnez, en la lui donnant, tout ce qui est en votre pouvoir. L'autre manière d'agir, quoique moins parfaite, est bonne pour ceux qui ne sont pas naturellement libéraux. Car c'est beaucoup que, n'ayant pas l'âme assez noble pour donner, ils se résolvent au moins de prêter. Enfin, il faut faire quelque chose. Dieu est si bon qu'il prend tout en paiement ; il s'accommode.à notre faiblesse ; il ne nous traite point avec rigueur dans le compte que nous avons à lui rendre. Quelque grande que soit notre dette, il se résout sans peine à nous la remettre pour nous gagner à lui, et il remarque si exactement nos moindres services, que quand vous ne feriez que lever les yeux au ciel en vous souvenant de lui, vous ne devez point appréhender qu'il laisse cette action sans récompense. La seconde raison est que, quand le diable nous trouve dans cette ferme résolution, il lui est beaucoup plus difficile de nous tenter. Car il ne craint rien tant que les âmes fortes et résolues, sachant par expérience le dommage qu'elles lui causent, et que ce qu'il fait pour leur nuire tournant à leur profit et à l'avantage de beaucoup d'autres, il ne sort qu'avec perte de ce combat. Nous ne devons pas néanmoins nous y confier de telle sorte que nous tombions dans la négligence. Nous avons affaire à des ennemis trèsartificieux et fort traîtres ; et comme, d'un coté, leur lâcheté les empêche d'attaquer ceux qui se tiennent sur leurs gardes, leur malice leur donne, de l'autre, un très-grand avantage sur les négligents. Ainsi, quand ils remarquent de l'inconstance dans une âme et voient qu'elle n'a pas une volonté déterminée de persévérer dans le bien, ils ne la laissent jamais en repos ; ils l'agitent de mille craintes et lui représentent des difficultés sans nombre. J'en puis parler avec trop de certitude, parce que je ne l'ai que trop éprouvé, et j'ajoute qu'à peine sait-on de quelle importance est cet avis. La troisième raison qui rend cette ferme résolution trèsavantageuse, c'est que l'on combat avec beaucoup plus de courage lorsque l'on s'est mis dans l'esprit que, quoi qu'il puisse arriver, on ne doit jamais tourner-le dos. C'est comme un homme qui, dans une bataille, serait assuré qu'étant vaincu, il ne pourrait espérer aucune grâce du victorieux, et qu'ainsi, ou durant ou après le combat, il se faudrait résoudre à mourir ; il combattrait sans doute avec beaucoup plus d'opiniâtreté et vendrait chèrement sa vie, parce qu'il se représenterait toujours qu'il ne la peut conserver que par la victoire. Il est de même nécessaire que nous entrions dans ce combat avec cette ferme créance, qu'à moins de nous laisser vaincre, notre entreprise nous réussira heureusement, et que, pour peu que nous gagnions en cette occasion, nous en sortirons très-riches. Ne craignez donc point que Notre-Seigneur vous laisse mourir de soif en vous refusant de l'eau de cette sacrée fontaine de l'oraison ; au contraire, il vous invite à en boire. Je l'ai déjà dit, et je ne puis me lasser de le dire, parce que rien ne décourage tant les âmes que de ne pas connaître pleinement, par leur propre expérience, quelle est la bonté de Dieu, comme elles le connaissent par la foi. Car c'est une chose merveilleuse que d'éprouver quelles sont les faveurs qu'il a faites à ceux qui marchent par ce chemin, et de quelle sorte lui seul pourvoit presqu'à tout ce qui leur est nécessaire. Mais je ne m'étonne pas de voir que les personnes qui ne l'ont point éprouvé veulent avoir quelque assurance que Dieu leur rendra avec usure ce qu'elles lui donnent. Vous savez bien néanmoins que Jésus-Christ promet le centuple dès cette vie, et qu'il dit : Demandez et vous recevrez. Que si vous n'ajoutez pas foi à ce qu'il dit lui-même dans son Évangile, à quoi peut me servir, mes sœurs, de me rompre la tête à vous le dire ? Je ne laisse pas d'avertir celles qui en doutent, qu'il ne leur coûtera guère de l'éprouver, puisqu'il y a cet avantage dans ce voyage, qu'on nous y donne plus que nous ne saurions demander ni désirer. Je sais qu'il n'y a rien de plus véritable, et je puis produire pour témoins qui l'assureront aussi bien que moi, celles d'entre vous à qui Dieu a fait la grâce de le connaître par expérience. 

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    « Reply #24 on: May 31, 2017, 11:20:52 PM »
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  • CHAPITRE XXIV. 

    De quelle sorte il faut faire l'oraison vocale pour la faire parfaitement. Et comment la mentale s'y rencontre jointe ; sur quoi la Sainte commence à parler du Pater noster. 

    DE L'ORAISON VOCALE, ET DU Pater noster. 

    Je commencerai ici d'adresser mon discours à ces âmes qui ne peuvent se recueillir, ni attacher leur esprit à une oraison mentale pour s'appliquera la méditation, ni se servir pour cela de certaines considérations, et je ne veux pas nommer seulement en ce lieu les noms d'oraison mentale et de contemplation, parce que je sais certainement qu'il y a plusieurs personnes que ces seuls noms épouvantent, et qu'il se pourrait faire qu'il en vieillirait quelqu'une en cette maison, à cause, comme je l'ai déjà dit, que toutes ne marchent pas par un même chemin. Ce que je veux donc maintenant vous conseiller, et je puis même dire vous enseigner, puisque cela m'est permis, mes filles, comme vous tenant lieu de mère par ma charge de prieure, c'est la manière dont vous devez prier vocalement ; car il est juste que vous entendiez ce que vous dites. Et parce qu'il peut arriver que celles qui ne sauraient appliquer leur esprit à Dieu, se lassent aussi des oraisons qui sont longues, je ne parlerai point de celles-là, mais seulement de celles auxquelles, en qualité de chrétiennes, nous sommes nécessairement obligées, qui sont le Pater noster, et l’Ave, Maria, afin que l'on ne puisse pas dire que nous parlons sans savoir ce que nous disons, si ce n'est que l'on croie qu'il suffit de prier ainsi par coutume, et qu'on se doit contenter de prononcer des paroles sans les entendre. Je laisse cela à décider aux savants sans me mêler d'en juger ; et je désire seulement, mes sœurs, que nous ne nous en contentions pas. Car il me semble que lorsque je dis le Credo, il est juste que je sache ce que je crois, et que quand je dis Notre Père, je sache qui est ce père, et qui est aussi ce maître qui nous enseigne à faire cette oraison. Si vous dites le bien savoir, et qu'ainsi il n'est pas besoin de vous en faire souvenir, cette réponse n'est pas bonne, puisqu'il y a grande différence entre maître et maître. Que si ce serait une extrême ingratitude, que de bons disciples ne peuvent avoir, de ne pas se souvenir de ceux qui nous instruisent ici-bas, principalement si ce sont des personnes de sainte vie, et que ce qu'ils nous enseignent regarde notre salut, je prie Dieu de tout mon cœur de ne pas permettre que, récitant une prière si sainte, nous manquions à nous souvenir du divin maître qui nous l'a enseignée avec tant d'amour et tant de désir qu'elle nous soit profitable. Premièrement, vous savez que Notre-Seigneur nous apprend, que pour bien prier, on doit se retirer en particulier, ainsi qu'il l'a toujours pratiqué lui-même, non qu'il eût besoin de cette retraite, mais pour notre instruction, et pour nous en donner l'exemple. Or, comme je vous l'ai déjà dit, on ne peut parler en même temps à Dieu et au monde, ainsi que font ceux qui, en priant d'un côté, écoutent de l'autre ceux qui parlent, ou s'arrêtent à tout ce qui leur vient dans l'esprit, sans tâcher d'en retirer leur pensée. Il faut en excepter certaines indispositions et certains temps, principalement quand ce sont des personnes mélancoliques ou sujettes à des maux de tête, puisque, quelques efforts qu'elles fassent, elles ne peuvent s'en empêcher, ou bien lorsque Dieu permet, pour l'avantage de ceux qui le servent, que ces nuages se forment dans leur esprit, et que quelques peines qu'ils leur donnent et quelque soin qu'ils prennent de les dissiper, ils ne sauraient ni avoir attention à ce qu'ils disent, ni arrêter leur pensée à quoi que ce soit, mais l'ont si errante et si vagabonde, que si l'on voyait ce qui se passe en eux, on les prendrait pour des frénétiques. Lors, dis-je, que Dieu permet que cela arrive, le déplaisir qu'ils en auront leur fera connaître qu'il n'y a point de leur faute ; et il ne faut pas qu'ils se tourmentent et se lassent en s'efforçant de ranger leur entendement à la raison, dans un temps où il n'en est pas capable, parce que ce serait encore pis ; mais ils doivent prier comme ils pourront, et même ne point prier dans ce temps où leur âme est comme un malade à qui il faut donner un peu de repos, et il faut qu'ils se contentent de s'employer à d'autres actions de vertu. C'est la manière dont en doivent user ceux qui ont soin de leur salut, et qui savent qu'il ne faut pas parler tout ensemble à Dieu et au monde. Ce qui dépend de nous est de tâcher à demeurer seules avec Dieu, et je le prie que cela suffise pour nous faire comprendre avec qui nous sommes alors, et ce qu'il daigne répondre à nos demandes ; car croyez-vous qu'il se taise, encore que nous ne l'entendions pas ? Non, certes ; mais il parle à notre cœur toutes les fois que nous lui parlons de cœur ; et il est bon que chacune de nous considère que c'est à elle en particulier que le Seigneur apprend à faire cette divine prière. Or, comme le maître se tient proche de son disciple, et ne s'éloigne jamais tant qu'il ait besoin de crier à haute voix pour se faire entendre ; je désire de même que vous sachiez que, pour bien dire le Pater noster, il ne faut pas que vous vous éloigniez de ce divin maître, qui vous a appris à le dire. Vous me répondrez peut-être qu'en user ainsi, c'est méditer, et que vous ne pouvez ni ne désirez faire autre chose que de prier vocalement ; car il y a des personnes si impatientes et qui aiment tant leur repos, que, n'étant pas accoutumées à se recueillir dans le commencement de la prière, et ne voulant pas se donner la moindre peine, elles disent qu'elles ne savent ni ne peuvent faire davantage que de prier vocalement. Je demeure d'accord que ce que je viens de proposer peut s'appeler oraison mentale ; mais j'avoue ne comprendre pas comment on la peut séparer de la vocale, si on a dessein de la bien faire et de considérer à qui l'on parle ; car ne devons-nous pas tâcher d'avoir de l'attention en priant ? Dieu veuille qu'avec tous ces soins nous puissions bien dire le Pater, sans que notre esprit se laisse aller à quelque pensée extravagante. Le meilleur remède que j'y trouve, après l'avoir éprouvé diverses fois, est de tâcher d'arrêter notre esprit sur celui qui nous a prescrit cette prière. Ne vous laissez donc point aller à l'impatience, mais essayez de vous accoutumer à une chose qui vous est nécessaire.

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    « Reply #25 on: June 05, 2017, 12:18:37 AM »
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  • CHAPITRE XXV. 

    Qu'on peut passer en un instant de l'oraison vocale à la contemplation parfaite. Différence entre la contemplation et l'oraison qui n'est que mentale ; et en quoi consiste cette dernière. Dieu seul dans la contemplation opère en nous. 

    QUE L'ON PEUT PASSER DE L'ORAISON VOCALE À LA CONTEMPLATION PARFAITE. 

    Or, afin que vous n'imaginiez pas, mes filles, que l'on tire, plus de profit de la prière vocale faite avec la perfection que j'ai dite, je vous assure qu'il pourra se faire qu'en récitant le Pater, ou quelque autre oraison vocale, Dieu nous fera passer tout d'un coup dans une contemplation parfaite. C'est ainsi qu'il nous fait connaître qu'il écoute celui qui lui parle, et abaisse sa grandeur jusqu'à daigner lui parler aussi, en tenant son esprit comme en suspens, en arrêtant ses pensées, et en lui liant la langue de telle sorte que, quand il le voudrait, il ne pourrait proférer une seule parole qu'avec une peine extrême. Nous connaissons alors certainement que ce divin maître nous instruit sans nous faire entendre le son de sa voix, mais en tenant les puissances de notre âme comme suspendues, parce qu'au lieu de nous aider en agissant, elles ne pourraient agir sans nous nuire. DE LA CONTEMPLATION PARFAITE. Les personnes que Notre-Seigneur favorise d'une telle grâce se trouvent dans la jouissance de ce bonheur sans savoir comment elles en jouissent. Elles se trouvent embrasées d'amour sans savoir comment elles aiment ; elles trouvent qu'elles possèdent ce qu'elles aiment, sans savoir comment elles le possèdent : tout ce qu'elles peuvent faire est de connaître que l'entendement ne saurait aller jusqu'à s'imaginer, ni le désir jusqu'à souhaiter un aussi grand bien qu'est celui dont elles jouissent. Leur volonté l'embrasse sans savoir de quelle manière elle l'embrasse ; et selon le peu que ces âmes sont capables de comprendre, elles voient que ce bien est d'un tel prix, que tous les travaux de la terre joints ensemble ne pourraient jamais le mériter. C'est un don de celui qui a créé le ciel et la terre, et qu'il tire des trésors de sa sagesse et de sa toute-puissance, pour en gratifier qui il lui plait. Voilà, mes filles, ce que c'est que la contemplation parfaite, et vous pouvez connaître maintenant en quoi elle diffère de l'oraison mentale, qui ne consiste, comme je l'ai dit, qu'à penser et à entendre ce que nous disons, à qui nous le disons, et qui nous sommes, nous qui avons la hardiesse d'entretenir un si grand seigneur. Avoir ces pensées et autres semblables, telles que sont celles du peu de service que nous avons rendu à un tel maître, et de la grandeur de notre obligation à le servir, c'est proprement l'oraison mentale. Ne vous imaginez pas qu'il y ait autre différence, et que le nom ne vous fasse point de peur, comme s'il renfermait quelque mystère incompréhensible. Dire le Pater noster et l'Ave, Maria, ou quelque autre prière, c'est une oraison vocale, mais si elle n'est accompagnée de la mentale, jugez, je vous prie, quel beau concert ce serait, puisque quelquefois les paroles ne se suivraient seulement pas. Nous pouvons quelque chose de nous-mêmes, avec l'assistance de Dieu, dans ces deux sortes d'oraison, la mentale et la vocale ; mais quant à la contemplation dont je viens de parler, nous n'y pouvons rien du tout ;Notre-Seigneur opère seul, c'est son ouvrage ; et comme cet ouvrage est au-dessus de la nature, la nature n'y a nulle part. Or, d'autant que j'en ai parlé fort au long et le plus clairement que j'ai pu dans la relation que j'ai écrite de ma vie, par l'ordre de mes supérieurs, je ne le répéterai pas ici, et me contenterai seulement d'en dire un mot en passant. Que si celles qui seront si heureuses que d'arriver à cet état de contemplation, peuvent avoir l'écrit dont je parle, elles y trouveront quelques points et quelques avis dans lesquels Notre-Seigneur a voulu que je réussisse assez bien. Ces avis pourront beaucoup les consoler et leur être utiles, selon mon opinion et celle de quelques personnes qui les ont vus, et qui les gardent par l'estime qu'elles en font : ce que je ne vous dirais pas sans cela, parce que j'aurais honte de vous portera faire quelque cas d'une chose qui vient de moi, et queNotre-Seigneur sait combien est grande la confusion avec laquelle j'écris la plupart de ce que j'écris. Mais qu'il soit, béni à jamais de me souffrir tout imparfaite que je suis ! Que celles donc, connue je l'ai dit, que Dieu favorisera de cette oraison surnaturelle, tâchent, après ma mort, d'avoir cet écrit, où j'en parle si particulièrement ; et quant aux autres, qu'elles se contentent de s'efforcer de pratiquer ce que je dis dans celui-ci, afin que NotreSeigneur la leur donne, en faisant pour cela de leur côté, tant par leurs actions que parleurs prières, tous les efforts qui seront en leur pouvoir, et qu'après elles le laissent faire ; car lui seul la peut donner ; et il ne vous la refusera pas, pourvu que vous ne demeuriez point à moitié chemin, mais que vous marchiez toujours courageusement pour arriver à la fin de cette carrière sainte.

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    « Reply #26 on: June 10, 2017, 01:22:53 AM »
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  • CHAPITRE XXVI. 

    Des moyens de recueillir ses pensées, pour tâcher de joindre l'oraison mentale à la vocale.

    DE LA MANIÈRE DE JOINDRE L'ORAISON MENTALE À LA VOCALE. 

    Il faut revenir maintenant à notre oraison vocale, afin d'apprendre à prier de telle sorte en cette manière, qu'encore que nous ne nous en apercevions pas, Dieu y joigne aussi l'oraison mentale. Vous savez qu'il faut la commencer par l'examen de conscience, puis dire le Confiteor, et faire le signe de la croix. Mais étant seules lorsque vous vous employez à une si sainte occupation, tâchez, mes filles, d'avoir compagnie ; et quelle meilleure compagnie pourrezvous avoir que celui-là même qui vous a enseigné l'oraison que vous allez dire ? Imaginez-vous donc, mes sœurs, que vous êtes avec Notre-Seigneur Jésus-Christ ; considérez avec combien d'amour et d'humilité il vous a appris à faire cette prière ; et, croyez-moi, ne vous éloignez jamais, si vous pouvez, d'un ami si parfait et si véritable. Que si vous vous accoutumez à demeurer avec lui, et qu'il connaisse que vous désirez de tout votre cœur non-seulement de ne le point perdre de vue, mais de faire tout ce qui sera en votre pouvoir pour essayer de lui plaire, vous ne pourrez, comme l'on dit d'ordinaire, le chasser d'auprès de vous : jamais il ne vous abandonnera ; il vous assistera dans tous vos besoins ; et quelque part que vous alliez, il vous tiendra toujours compagnie. Or, croyez-vous que ce soit un bonheur et un secours peu considérable que d'avoir sans cesse à ses cotés un tel ami ? O mes sœurs, vous qui ne sauriez beaucoup discourir avec l'entendement, ni porter vos pensées à méditer, sans vous trouver aussitôt distraites, accoutumez-vous, je vous en prie, à ce que je viens de dire. Je sais par ma propre expérience que vous le pouvez ; car j'ai passé plusieurs années dans cette peine de ne pouvoir arrêter mon esprit durant l'oraison, et j'avoue qu'elle est très-grande. Mais si nous demandons à Dieu avec humilité qu'il nous en soulage, il est si bon qu'assurément il ne nous laissera pas ainsi seules, et nous viendra tenir compagnie. Que si nous ne pouvons acquérir ce bonheur en un an, acquérons-le en plusieurs années : car doit-on plaindre le temps à une occupation où il est si utilement employé ? Et qui nous empêche de l'y employer ? Je vous dis encore que l'on peut s'y accoutumer en travaillant à s'approcher toujours d'un si bon maître. Je ne vous demande pas néanmoins de penser continuellement à lui, de former plusieurs raisonnements, et d'appliquer votre esprit à faire de grandes et de subtiles considérations ; mais je vous demande seulement de le regarder ; car, si vous ne pouvez faire davantage, qui vous empêche de tenir au moins durant un peu de temps les yeux de votre âme attachés sur cet adorable époux de vos âmes ? Quoi ! vous pouvez bien regarder des choses difformes, et vous ne pourriez pas regarder le plus beau de tous les objets imaginables ? Que si après l'avoir considéré, vous ne le trouvez pas beau, je vous permets de ne plus le regarder, quoique cet époux céleste ne cesse de tenir ses yeux arrêtés sur vous. Hélas ! encore qu'il ait souffert de vous mille indignités, il ne laisse pas de vous regarder ; et vous croiriez faire un grand effort si vous détourniez vos regards des choses extérieures, pour les jeter quelquefois sur lui ! Considérez, comme le dit l'épouse dans le Cantique, qu'il ne désire autre chose, sinon que nous le regardions. Ainsi, pourvu que vous le cherchiez, vous le trouverez tel que vous le désirerez ; car il prend tant de plaisir à voir que nous attachons notre vue sur lui, qu'il n'y a rien qu'il ne fasse pour nous y porter. On dit que les femmes, pour bien vivre avec leurs maris, doivent suivre tous leurs sentiments, témoigner de la tristesse lorsqu'ils sont tristes, et de la joie quand ils sont gais, quoiqu'elles n'en aient point dans le cœur ; ce qui, en passant, vous doit faire remarquer, mes sœurs, de quelle sujétion il a plu à Dieu de nous délivrer. C'est là véritablement et sans rien exagérer, de quelle manière Notre-Seigneur traite avec nous ; car il veut que nous soyons maîtresses ; il assujettit à nos désirs, et se conforme à nos sentiments. Ainsi, si vous êtes dans la joie, considérez-le ressuscité ; et alors quel contentement sera le vôtre, de le voir sortir du tombeau tout éclatant de perfection, tout brillant de majesté, tout resplendissant de lumière et tout comblé du plaisir que donne à un vainqueur le gain d'une sanglante bataille, qui le rend maître d'un si grand royaume qu'il a conquis seulement pour vous le donner ! Pourrez-vous, après cela, croire que c'est beaucoup faire de jeter quelquefois les yeux sur celui qui veut ainsi vous mettre le sceptre à la main et la couronne sur la tête ? Que si vous êtes tristes ou dans la souffrance, considérez-le allant au jardin, et jugez quelles doivent être les peines dont son âme était accablée, puisque encore qu'il fût non-seulement patient, mais la patience même, il ne laissa pas de faire connaître sa tristesse, et de s'en plaindre. Considérez-le attaché à la colonne par l'excès de l'amour qu'il a pour nous, accablé de douleurs, déchiré à coups de fouets, persécuté des uns, outragé des autres, transi de froid, renoncé et abandonné par ses amis, et dans une si grande solitude, qu'il vous sera facile de vous consoler avec lui seule à seul. Ou bien considérezle chargé de sa croix, sans que même, en cet état, il lui soit donné le temps de respirer ; car, pourvu que vous tâchiez de vous consoler avec ce divin Sauveur, et que vous tourniez la tête de son côté pour le regarder, il oubliera ses douleurs pour faire cesser les vôtres ; et quoique ses yeux soient tout trempés de ses larmes, sa compassion les lui fera arrêter sur vous avec une douceur inconcevable. Si vous sentez, mes filles, que votre cœur soit attendri en voyant votre époux en cet état ; si, ne vous contentant pas de le regarder, vous prenez plaisir à vous entretenir avec lui, non par des discours étudiés, mais avec des paroles simples, qui lui témoignent combien ce qu'il souffre vous est sensible, ce sera alors que vous pourrez lui dire : « O Seigneur du monde et vrai époux de mon âme, est-il possible que vous vous trouviez réduit à une telle extrémité ! O mon Sauveur et mon Dieu, est-il possible que vous ne dédaigniez pas la compagnie d'une aussi vile créature que je suis ! car il me semble que je remarque, à votre visage, que vous tirez quelque consolation de moi. Comment se peut-il faire que les anges vous laissent seul, et que votre Père vous abandonne sans vous consoler ? Puis donc que cela est ainsi, et que vous voulez bien tant souffrir pour l'amour de moi, qu'est-ce que ce peu que je souffre pour l'amour de vous, et de quoi puis-je me plaindre ? Je suis tellement confuse de vous avoir vu en ce déplorable état, que je suis résolue de souffrir tous les maux qui pourront m'arriver, et de les considérer comme des biens, afin de vous imiter en quelque chose. Marchons donc ensemble, mon Sauveur ; je suis résolue de vous suivre en quelque part que vous alliez, et je passerai partout où vous passerez. » Embrassez ainsi, mes filles, la croix de votre divin Rédempteur, et, pourvu que vous le soulagiez en lui aidant à la porter, souffrez sans peine que les Juifs vous foulent aux pieds ; méprisez tout ce qu'ils vous diront, fermez l'oreille à leurs insolences ; et quoique vous trébuchiez, et que vous tombiez avec votre saint époux, n'abandonnez point cette croix. Considérez l'excès inconcevable de ses souffrances, et quelque grandes que vous vous imaginiez que soient les vôtres, et quelque sensibles qu'elles vous soient, elles vous sembleront si légères en comparaison des siennes, que vous vous trouverez toutes consolées. Vous me demanderez peut-être, mes sœurs, comment cela se peut pratiquer, et vous me direz que si vous aviez pu voir des yeux du corps notre Sauveur, lorsqu'il était dans le monde, vous auriez avec joie suivi ce conseil, sans les détourner jamais de dessus lui ; n'ayez point, je vous prie, cette croyance. Quiconque ne veut pas maintenant faire un peu d'efforts pour se recueillir et le regarder audedans de soi, ce qu'on peut faire sans aucun péril, et en y apportant seulement un peu de soin, aurait beaucoup moins pu se résoudre à demeurer avec la Magdeleine au pied de la croix, lorsqu'il aurait eu devant ses yeux l'objet de la mort. Car quelles ont été, à votre avis, les souffrances de la glorieuse Vierge et de cette bienheureuse sainte ? Que de menaces ! que de paroles injurieuses ! que de rebuts et que de mauvais traitements ces ministres du démon ne leur firentils point éprouver ! Ce qu'elles endurèrent devait sans doute être bien terrible ; mais comme elles étaient plus touchées de ces souffrances du Fils de Dieu que des leurs propres, une plus grande douleur en étouffait une moindre. Ainsi, mes sœurs, vous ne devez pas vous persuader que vous auriez pu supporter de si grands maux, puisque vous ne sauriez maintenant en souffrir de si petits. Mais en vous y exerçant, vous pourrez passer des uns aux autres. Pour vous y aider, choisissez entre les images de NotreSeigneur celle qui vous donnera le plus de dévotion, non pour la porter seulement sur vous, sans la regarder jamais, mais pour vous faire souvenir de parler souvent à lui ; et il ne manquera pas de vous mettre dans le cœur et dans la bouche ce que vous aurez à lui dire. Puisque vous parlez bien à d'autres personnes, comment les paroles pourraient-elles vous manquer pour vous entretenir avec Dieu ? Ne le croyez pas, mes sœurs ; et pour moi je ne saurais croire que cela puisse arriver, pourvu que vous vous y exerciez ; car,si vous ne le faites pas, qui doute que les paroles ne vous manquent, puisque en cessant de converser avec une personne, elle nous devient comme étrangère, quand même elle nous serait conjointe de parenté, et nous ne savons que lui dire parce que la parenté et l'amitié s'évanouissent lorsque la communication cesse. C'est aussi un autre fort bon moyen pour s'entretenir avec Dieu, que de prendre un livre en langage vulgaire, afin de recueillir l'entendement, pour pouvoir bien faire ensuite l'oraison vocale, et pour y accoutumer l'âme peu à peu par de saints artifices et de saints attraits, sans la dégoûter ni l'intimider. Représentez-vous que, depuis plusieurs années, vous êtes comme une femme qui a quitté son mari, que l'on ne saurait porter à retourner avec lui, sans user de beaucoup d'adresse. Voilà l'état où le péché nous a réduites ; notre âme est si accoutumée à se laisser emporter à tous ses plaisirs, ou pour mieux dire, à toutes ses peines, qu'elle ne se connaît plus elle-même. Ainsi, pour faire qu'elle veuille retourner en sa maison, il faut user de mille artifices ; car autrement, et si nous n'y travaillons peu à peu, nous ne pourrons jamais en venir à bout. Mais je vous assure encore que, pourvu que vous pratiquiez avec grand soin ce que je viens de vous dire, le profit que vous en ferez sera tel, que nulles paroles ne sont capables de l'exprimer. Tenez-vous donc toujours auprès de ce divin maître, avec un très-grand désir d'apprendre ce qu'il vous enseignera. Il vous rendra sans doute de bonnes disciples, et ne vous abandonnera point, à moins que vous ne l'abandonniez vous-mêmes. Considérez attentivement toutes ses paroles ; les premières qu'il prononcera vous feront connaître l'extrême amour qu'il vous porte ; et que peut-il y avoir de plus doux et de plus agréable à un bon disciple, que de voir que son maître l'aime ! 

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    « Reply #27 on: June 17, 2017, 01:54:19 AM »
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  • CHAPITRE XXVI. 

    Des moyens de recueillir ses pensées, pour tâcher de joindre l'oraison mentale à la vocale. 

    DE LA MANIÈRE DE JOINDRE L'ORAISON MENTALE À LA VOCALE. 

    Il faut revenir maintenant à notre oraison vocale, afin d'apprendre à prier de telle sorte en cette manière, qu'encore que nous ne nous en apercevions pas, Dieu y joigne aussi l'oraison mentale. Vous savez qu'il faut la commencer par l'examen de conscience, puis dire le Confiteor, et faire le signe de la croix. Mais étant seules lorsque vous vous employez à une si sainte occupation, tâchez, mes filles, d'avoir compagnie ; et quelle meilleure compagnie pourrezvous avoir que celui-là même qui vous a enseigné l'oraison que vous allez dire ? Imaginez-vous donc, mes sœurs, que vous êtes avec Notre-Seigneur Jésus-Christ ; considérez avec combien d'amour et d'humilité il vous a appris à faire cette prière ; et, croyez-moi, ne vous éloignez jamais, si vous pouvez, d'un ami si parfait et si véritable. Que si vous vous accoutumez à demeurer avec lui, et qu'il connaisse que vous désirez de tout votre cœur non-seulement de ne le point perdre de vue, mais de faire tout ce qui sera en votre pouvoir pour essayer de lui plaire, vous ne pourrez, comme l'on dit d'ordinaire, le chasser d'auprès de vous : jamais il ne vous abandonnera ; il vous assistera dans tous vos besoins ; et quelque part que vous alliez, il vous tiendra toujours compagnie. Or, croyez-vous que ce soit un bonheur et un secours peu considérable que d'avoir sans cesse à ses cotés un tel ami ? O mes sœurs, vous qui ne sauriez beaucoup discourir avec l'entendement, ni porter vos pensées à méditer, sans vous trouver aussitôt distraites, accoutumez-vous, je vous en prie, à ce que je viens de dire. Je sais par ma propre expérience que vous le pouvez ; car j'ai passé plusieurs années dans cette peine de ne pouvoir arrêter mon esprit durant l'oraison, et j'avoue qu'elle est très-grande. Mais si nous demandons à Dieu avec humilité qu'il nous en soulage, il est si bon qu'assurément il ne nous laissera pas ainsi seules, et nous viendra tenir compagnie. Que si nous ne pouvons acquérir ce bonheur en un an, acquérons-le en plusieurs années : car doit-on plaindre le temps à une occupation où il est si utilement employé ? Et qui nous empêche de l'y employer ? Je vous dis encore que l'on peut s'y accoutumer en travaillant à s'approcher toujours d'un si bon maître. Je ne vous demande pas néanmoins de penser continuellement à lui, de former plusieurs raisonnements, et d'appliquer votre esprit à faire de grandes et de subtiles considérations ; mais je vous demande seulement de le regarder ; car, si vous ne pouvez faire davantage, qui vous empêche de tenir au moins durant un peu de temps les yeux de votre âme attachés sur cet adorable époux de vos âmes ? Quoi ! vous pouvez bien regarder des choses difformes, et vous ne pourriez pas regarder le plus beau de tous les objets imaginables ? Que si après l'avoir considéré, vous ne le trouvez pas beau, je vous permets de ne plus le regarder, quoique cet époux céleste ne cesse de tenir ses yeux arrêtés sur vous. Hélas ! encore qu'il ait souffert de vous mille indignités, il ne laisse pas de vous regarder ; et vous croiriez faire un grand effort si vous détourniez vos regards des choses extérieures, pour les jeter quelquefois sur lui ! Considérez, comme le dit l'épouse dans le Cantique, qu'il ne désire autre chose, sinon que nous le regardions. Ainsi, pourvu que vous le cherchiez, vous le trouverez tel que vous le désirerez ; car il prend tant de plaisir à voir que nous attachons notre vue sur lui, qu'il n'y a rien qu'il ne fasse pour nous y porter. On dit que les femmes, pour bien vivre avec leurs maris, doivent suivre tous leurs sentiments, témoigner de la tristesse lorsqu'ils sont tristes, et de la joie quand ils sont gais, quoiqu'elles n'en aient point dans le cœur ; ce qui, en passant, vous doit faire remarquer, mes sœurs, de quelle sujétion il a plu à Dieu de nous délivrer. C'est là véritablement et sans rien exagérer, de quelle manière Notre-Seigneur traite avec nous ; car il veut que nous soyons maîtresses ; il assujettit à nos désirs, et se conforme à nos sentiments. Ainsi, si vous êtes dans la joie, considérez-le ressuscité ; et alors quel contentement sera le vôtre, de le voir sortir du tombeau tout éclatant de perfection, tout brillant de majesté, tout resplendissant de lumière et tout comblé du plaisir que donne à un vainqueur le gain d'une sanglante bataille, qui le rend maître d'un si grand royaume qu'il a conquis seulement pour vous le donner ! Pourrez-vous, après cela, croire que c'est beaucoup faire de jeter quelquefois les yeux sur celui qui veut ainsi vous mettre le sceptre à la main et la couronne sur la tête ? Que si vous êtes tristes ou dans la souffrance, considérez-le allant au jardin, et jugez quelles doivent être les peines dont son âme était accablée, puisque encore qu'il fût non-seulement patient, mais la patience même, il ne laissa pas de faire connaître sa tristesse, et de s'en plaindre. Considérez-le attaché à la colonne par l'excès de l'amour qu'il a pour nous, accablé de douleurs, déchiré à coups de fouets, persécuté des uns, outragé des autres, transi de froid, renoncé et abandonné par ses amis, et dans une si grande solitude, qu'il vous sera facile de vous consoler avec lui seule à seul. Ou bien considérezle chargé de sa croix, sans que même, en cet état, il lui soit donné le temps de respirer ; car, pourvu que vous tâchiez de vous consoler avec ce divin Sauveur, et que vous tourniez la tête de son côté pour le regarder, il oubliera ses douleurs pour faire cesser les vôtres ; et quoique ses yeux soient tout trempés de ses larmes, sa compassion les lui fera arrêter sur vous avec une douceur inconcevable. Si vous sentez, mes filles, que votre cœur soit attendri en voyant votre époux en cet état ; si, ne vous contentant pas de le regarder, vous prenez plaisir à vous entretenir avec lui, non par des discours étudiés, mais avec des paroles simples, qui lui témoignent combien ce qu'il souffre vous est sensible, ce sera alors que vous pourrez lui dire : « O Seigneur du monde et vrai époux de mon âme, est-il possible que vous vous trouviez réduit à une telle extrémité ! O mon Sauveur et mon Dieu, est-il possible que vous ne dédaigniez pas la compagnie d'une aussi vile créature que je suis ! car il me semble que je remarque, à votre visage, que vous tirez quelque consolation de moi. Comment se peut-il faire que les anges vous laissent seul, et que votre Père vous abandonne sans vous consoler ? Puis donc que cela est ainsi, et que vous voulez bien tant souffrir pour l'amour de moi, qu'est-ce que ce peu que je souffre pour l'amour de vous, et de quoi puis-je me plaindre ? Je suis tellement confuse de vous avoir vu en ce déplorable état, que je suis résolue de souffrir tous les maux qui pourront m'arriver, et de les considérer comme des biens, afin de vous imiter en quelque chose. Marchons donc ensemble, mon Sauveur ; je suis résolue de vous suivre en quelque part que vous alliez, et je passerai partout où vous passerez. » Embrassez ainsi, mes filles, la croix de votre divin Rédempteur, et, pourvu que vous le soulagiez en lui aidant à la porter, souffrez sans peine que les Juifs vous foulent aux pieds ; méprisez tout ce qu'ils vous diront, fermez l'oreille à leurs insolences ; et quoique vous trébuchiez, et que vous tombiez avec votre saint époux, n'abandonnez point cette croix. Considérez l'excès inconcevable de ses souffrances, et quelque grandes que vous vous imaginiez que soient les vôtres, et quelque sensibles qu'elles vous soient, elles vous sembleront si légères en comparaison des siennes, que vous vous trouverez toutes Vous me demanderez peut-être, mes sœurs, comment cela se peut pratiquer, et vous me direz que si vous aviez pu voir des yeux du corps notre Sauveur, lorsqu'il était dans le monde, vous auriez avec joie suivi ce conseil, sans les détourner jamais de dessus lui ; n'ayez point, je vous prie, cette croyance. Quiconque ne veut pas maintenant faire un peu d'efforts pour se recueillir et le regarder audedans de soi, ce qu'on peut faire sans aucun péril, et en y apportant seulement un peu de soin, aurait beaucoup moins pu se résoudre à demeurer avec la Magdeleine au pied de la croix, lorsqu'il aurait eu devant ses yeux l'objet de la mort. Car quelles ont été, à votre avis, les souffrances de la glorieuse Vierge et de cette bienheureuse sainte ? Que de menaces ! que de paroles injurieuses ! que de rebuts et que de mauvais traitements ces ministres du démon ne leur firentils point éprouver ! Ce qu'elles endurèrent devait sans doute être bien terrible ; mais comme elles étaient plus touchées de ces souffrances du Fils de Dieu que des leurs propres, une plus grande douleur en étouffait une moindre. Ainsi, mes sœurs, vous ne devez pas vous persuader que vous auriez pu supporter de si grands maux, puisque vous ne sauriez maintenant en souffrir de si petits. Mais en vous y exerçant, vous pourrez passer des uns aux autres. Pour vous y aider, choisissez entre les images de NotreSeigneur celle qui vous donnera le plus de dévotion, non pour la porter seulement sur vous, sans la regarder jamais, mais pour vous faire souvenir de parler souvent à lui ; et il ne manquera pas de vous mettre dans le cœur et dans la bouche ce que vous aurez à lui dire. Puisque vous parlez bien à d'autres personnes, comment les paroles pourraient-elles vous manquer pour vous entretenir avec Dieu ? Ne le croyez pas, mes sœurs ; et pour moi je ne saurais croire que cela puisse arriver, pourvu que vous vous y exerciez ; car,si vous ne le faites pas, qui doute que les paroles ne vous manquent, puisque en cessant de converser avec une personne, elle nous devient comme étrangère, quand même elle nous serait conjointe de parenté, et nous ne savons que lui dire parce que la parenté et l'amitié s'évanouissent lorsque la communication cesse. C'est aussi un autre fort bon moyen pour s'entretenir avec Dieu, que de prendre un livre en langage vulgaire, afin de recueillir l'entendement, pour pouvoir bien faire ensuite l'oraison vocale, et pour y accoutumer l'âme peu à peu par de saints artifices et de saints attraits, sans la dégoûter ni l'intimider. Représentez-vous que, depuis plusieurs années, vous êtes comme une femme qui a quitté son mari, que l'on ne saurait porter à retourner avec lui, sans user de beaucoup d'adresse. Voilà l'état où le péché nous a réduites ; notre âme est si accoutumée à se laisser emporter à tous ses plaisirs, ou pour mieux dire, à toutes ses peines, qu'elle ne se connaît plus elle-même. Ainsi, pour faire qu'elle veuille retourner en sa maison, il faut user de mille artifices ; car autrement, et si nous n'y travaillons peu à peu, nous ne pourrons jamais en venir à bout. Mais je vous assure encore que, pourvu que vous pratiquiez avec grand soin ce que je viens de vous dire, le profit que vous en ferez sera tel, que nulles paroles ne sont capables de l'exprimer. Tenez-vous donc toujours auprès de ce divin maître, avec un très-grand désir d'apprendre ce qu'il vous enseignera. Il vous rendra sans doute de bonnes disciples, et ne vous abandonnera point, à moins que vous ne l'abandonniez vous-mêmes. Considérez attentivement toutes ses paroles ; les premières qu'il prononcera vous feront connaître l'extrême amour qu'il vous porte ; et que peut-il y avoir de plus doux et de plus agréable à un bon disciple, que de voir que son maître l'aime ! 

    http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/carmel/theresedavila/Oeuvres%20par%20titre/Fran%E7ais/7%20Le%20Chemin%20de%20la%20perfection.pdf

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    « Reply #28 on: June 21, 2017, 12:25:07 AM »
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  • CHAPITRE XXVII. 

    Sur ces paroles du Pater : Notre Père, qui êtes dans les cieux ; et combien il importe A celles qui veulent être les véritables filles de Dieu de ne point faire cas de leur noblesse.

    Notre Père, qui êtes dans les cieux. O Seigneur mon Dieu ! qu'il paraît bien que vous êtes le Père d'un tel Fils, et que votre Fils fait bien connaître qu'il est le fils d'un tel Père ! Soyez béni éternellement ! N'aurait-il donc pas suffi de nous accorder, à la fin de notre oraison, une faveur si excessive ? Mais nous ne l'avons pas plus tôt commencée, que vous nous comblez de tant de bienfaits, qu'il serait à désirer que l'étonnement que notre esprit en aurait le rendant incapable de proférer la moindre parole, notre seule volonté fût tout occupée de vous. O mes filles, que ce serait bien ici le lieu de parler de la contemplation parfaite, et de faire que l'âme rentrât dans soimême, pour pouvoir mieux s'élever au-dessus d'elle, afin d'apprendre de ce saint Fils quel est ce lieu où il dit que son Père, qui est dans les cieux, fait sa demeure ! Quittons la terre, mes filles, car quelle apparence qu'après avoir compris quel est l'excès d'une si grande faveur, nous en tinssions si peu de compte que de demeurer encore sur la terre ? O vrai fils de Dieu, et mon vrai Seigneur ! comment, dès la première parole que nous vous disons, nous donnez-vous tant tout à la fois ? Comment vous humiliez-vous jusqu'à un tel excès d'abaissement que de vous unir à nous dans nos demandes, en voulant et en faisant que des créatures aussi viles et aussi misérables que nous sommes vous aient pour frère ? et comment nous donnezvous, au nom de votre Père éternel, tout ce qui peut se donner, en l'obligeant à nous reconnaître pour ses enfants ? car vos paroles ne sauraient manquer d'avoir leur effet. Ainsi vous l'obligez à les accomplir ; ce qui l'engage à d'étranges suites, puisqu'étant notre père, il doit oublier toutes nos offenses, pourvu que nous retournions à lui comme fit l'enfant prodigue ; il doit nous consoler dans nos peines ; il doit nous nourrir, comme étant incomparablement le meilleur de tous les pères, puisqu'il est infiniment parfait en tout ; et enfin il doit nous rendre héritiers avec vous de son royaume. « Considérez, ô mon Sauveur, que, pour ce qui est de vous, l'amour que vous nous portez est si extrême, que vous n'avez nul égard à vos intérêts. Vous avez été sur la terre semblable à nous, lorsque vous vous êtes revêtu de chair en vous revêtant de notre nature, et ainsi vous avez quelque raison de vous intéresser dans nos avantages. Mais considérez, d'un autre côté, que votre Père éternel est dans le ciel. C'est vous-même qui le dites ; et il est juste que vous preniez soin de ce qui regarde son honneur. N'est-ce pas assez que vous ayez bien voulu être déshonoré pour l'amour de nous ? Ne touchez point à l'honneur de votre Père, et ne l'engagez pas d'accorder des grâces si excessives à des créatures aussi méchantes que nous sommes, et qui en seront si méconnaissantes. Certes vous avez bien montré, ô mon doux Jésus, que votre Père et vous n'êtes qu'une même chose, que votre volonté est toujours la sienne, et que la sienne est toujours la vôtre. Car comment pouvez-vous, mon Seigneur, faire voir plus clairement jusqu'où va l'amour que vous nous portez, qu'en ce qu'ayant caché au démon avec tant de soin que vous étiez le fils de Dieu, rien n'a pu vous empêcher de nous accorder une aussi grande faveur que celle de nous le faire connaître ? Et quel autre que vous était capable de nous donner cette heureuse connaissance ? Ainsi je vois bien, mon Sauveur, que vous avez parlé pour vous et pour nous, comme un fils qui est très-cher à son père, et que vous êtes si puissant, que l'on accomplit dans le ciel tout ce que vous dites sur la terre. Soyez à jamais béni, Seigneur, vous qui prenez un si grand plaisir à donner, que rien ne peut vous empêcher de donner sans cesse. » Que vous en semble, mes filles ? trouvez-vous que ce maître qui commence par nous combler de tant de faveurs, afin que, nous affectionnant à lui, nous soyons capables d'apprendre ce qu'il nous enseigne, soit un bon maître ? et croyez-vous que nous devions nous contenter de proférer seulement des lèvres cette parole du Père, sans en concevoir le sens, pour être touchées jusque dans le fond de l'âme de l'excès d'un si grand amour ? Car y a-t-il quelque enfant qui, étant persuadé de la bonté, de la grandeur et de la puissance de son père, ne désirât pas de le connaître ? Que si toutes ces qualités ne se rencontraient pas dans un père, je ne m'étonnerais pas qu'on ne voulût point être reconnu pour son fils, puisque le monde est aujourd'hui si corrompu, que quand le fils se voit dans une condition plus relevée que n'est celle de son père, il tient à déshonneur de l'avoir pour père. Cet étrange abus ne s'étend pas, grâces à Dieu, jusqu'à nous, et il ne permettra jamais, s'il lui plaît, que l'on ait en cette maison la moindre pensée qui en approche. Nous serions dans un enfer et non pas dans un monastère, si celle dont la naissance est la plus noble ne parlait moins de ses parents que ne font les autres, puisqu'il doit y avoir entre nous toutes une égalité parfaite. O sacré collège des apôtres ! saint Pierre, qui n'était qu'un pauvre pêcheur, y fut préféré à saint Barthélémy, quoiqu'il fût, à ce que quelques-uns disent, fils d'un roi ; et notre Seigneur le voulut ainsi, parce qu'il savait ce qui devait se passer dans le monde touchant ces avantages de la naissance. Étant tous, comme nous sommes, formés de terre, les contestations qui arrivent sur ce sujet, sont comme si l'on disputait laquelle des deux diverses sortes de terre serait la plus propre à faire des briques ou du mortier. O mon Sauveur, quelle belle question ! Dieu nous garde, mes sœurs, de contester jamais sur des sujets si frivoles, quand ce ne serait qu'en riant. J'espère que sa divine majesté nous accordera cette grâce. Que si l'on aperçoit, en quelqu'une de vous, la moindre chose qui en approche, il faut aussitôt y remédier ; il faut que cette personne appréhende d'être un Judas entre les apôtres ; et il faut qu'on lui donne des pénitences, jusqu'à ce qu'elle comprenne qu'elle ne méritait pas seulement d'être considérée comme une fort mauvaise terre. Oh ! que vous avez un bon père, mes filles, en celui que vous donne notre bon Jésus ! Que l'on n'en connaisse donc point ici d'autre de qui l'on parle, et travaillez à vous rendre telles, que vous soyez dignes de recevoir des faveurs de lui, et de vous abandonner entièrement à sa conduite. Vous pouvez vous assurer qu'il ne vous rejettera pas, pourvu que vous lui soyez bien obéissantes. Et quelles seraient celles qui refuseraient de faire tous leurs efforts pour ne point perdre un tel père ? Hélas ! que vous avez en cela de grands sujets de consolation ! Je vous les laisse à méditer, afin de ne pas m'étendre davantage. Quelque vagabondes que soient vos pensées, vous ne sauriez, en considérant un tel fils et un tel Père, ne point trouver avec eux le Saint-Esprit. Je le prie de tout mon cœur d'enflammer votre volonté, et de l'attacher par les liens de son ardent et puissant amour, si l'extrême intérêt que vous avez de l'y attacher vous-mêmes n'est pas capable de vous y porter.

    http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/carmel/theresedavila/Oeuvres%20par%20titre/Fran%E7ais/7%20Le%20Chemin%20de%20la%20perfection.pdf

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    « Reply #29 on: June 28, 2017, 05:18:37 AM »
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  • CHAPITRE XXVIII.

    La Sainte continue à expliquer ces paroles de l'oraison dominicale : Notre Père, qui êtes dans les cieux ; et traite de l’oraison de recueillement. 

    SUR CES PAROLES : Qui êtes dans les cieux. 

    Voyons maintenant ce qu'entend votre maître par ces paroles : Qui êtes dans les cieux. Car croyez-vous qu'il importe peu de savoir ce que c'est que le ciel, et où il faut aller chercher votre très-saint et divin Père ? Je vous assure que tous les esprits distraits ont un trèsgrand besoin non seulement de le croire, mais de tâcher de le connaître par expérience, parce que c'est l'une des choses qui arrêtent le plus l'entendement, et font que l'âme se recueille davantage en elle-même. Vous savez bien déjà que Dieu est partout : or, comme partout où est le roi, là est la cour ; ainsi partout où est Dieu, là est le ciel ; et vous n'aurez pas sans doute de la peine à croire que toute la gloire se rencontre où son éternelle majesté se trouve. Considérez ce que dit saint Augustin : qu'après avoir cherché Dieu de tous côtés, il le trouva dans lui-même. Pensez-vous qu'il soit peu utile à une âme qui est distraite de comprendre cette vérité, et de connaître qu'elle n'a point besoin d'aller au ciel, afin de parler à son divin Père, pour trouver en lui toute sa joie, ni de crier de toute sa force pour s'entretenir avec lui ? Il est si proche de nous, qu'encore que nous ne parlions que tout bas, il ne laisse pas de nous entendre, et nous n'avons pas besoin d'ailes pour nous élever vers lui ; il suffit de nous tenir dans la solitude, de le regarder dans nous-mêmes, et de ne nous éloigner jamais de la compagnie d'un si divin hôte. Nous n'avons qu'à lui parler avec grande humilité, comme à notre père ; à lui demander nos besoins avec grande confiance, à lui faire entendre toutes nos peines ; à le supplier d'y apporter le remède, et à reconnaître en même temps que nous ne sommes pas dignes de porter le nom de ses enfants. Gardez-vous bien, mes filles, de ces fausses retenues que pratiquent certaines personnes qui croient faire, en cela, des actions d'humilité. Car si le roi vous gratifiait de quelque faveur, y aurait-il de l'humilité à la refuser ? Nullement ; mais il y en aurait au contraire à l'accepter et à vous réjouir de la recevoir, pourvu que vous reconnaissiez en même temps que vous en êtes indignes. Certes ce serait une plaisante humilité, si le roi du ciel et de la terre venait dans mon âme pour m'honorer de ses faveurs et s'entretenir avec moi, de ne daigner, par humilité, ni lui parler, ni demeurer avec lui, ni recevoir ce qu'il lui plairait de me donner ; mais de le quitter et de le laisser seul ; et que, quoiqu'il me pressât et me priât même de lui demander quelque chose, je voulusse, par humilité, demeurer dans mon indigence et dans ma misère, et qu'ainsi je l'obligeasse de s'en aller, parce qu'il verrait que je ne pourrais me résoudre à profiter de ses grâces. Laissez là, mes sœurs, je vous prie, ces belles humilités. Traitez avec Jésus-Christ comme avec votre père, comme avec votre frère, comme avec votre Seigneur, et comme avec votre époux, tantôt d'une manière, et tantôt d'une autre ; car il vous apprendra lui-même de quelle sorte vous devez agir pour le contenter et pour lui plaire. Ne soyez pas si simples et si stupides que d'y manquer ; au contraire, priez-le de vous tenir la parole qu'il vous a donnée, et demandez-lui que, puisqu'il veut bien être votre époux, il vous traite comme ses épouses. Enfin vous ne sauriez trop considérer combien il vous importe de bien comprendre cette vérité, que notre Seigneur est au dedans de nous-mêmes, et que nous devons nous efforcer d'y demeurer avec lui. DE L’ORAISON DE RECUEILLEMENT. Cette manière d'oraison, quoique vocale, fait qu'on se recueille beaucoup plutôt, et on en tire de grands avantages. On la nomme oraison de recueillement, parce que l'âme y recueille toutes ses puissances, et entre dans elle-même avec son Dieu, qui l'instruit et lui donne l'oraison de quiétude beaucoup plus promptement par ce moyen que par nul autre ; car étant là avec lui, elle peut penser à sa passion, et l'ayant présent devant ses yeux, l'offrir à son père, sans que son esprit se lasse en allant le chercher ou au jardin, ou à la colonne, ou sur le calvaire. Celles qui pourront s'enfermer, comme je viens de le dire, dans ce petit ciel de notre âme, où elles trouveront celui qui en est le créateur aussi bien que de la terre, et qui s'accoutumeront à ne rien regarder hors de là, et à ne se point mettre eu un lieu où leurs sens extérieurs se puissent distraire, doivent croire qu'elles marchent dans un excellent chemin, et qu'avançant beaucoup en peu de temps, elles boiront bientôt de l'eau de la céleste fontaine. C'est comme celui qui, voyageant sur la mer avec un vent favorable, arrive dans peu de jours où il veut aller, au lieu que ceux qui vont par terre en emploient beaucoup plus. Car quoiqu'étant en cet état, nous ne puissions pas dire que nous sommes déjà en pleine mer, vu que nous n'avons pas encore tout-à-fait quitté la terre, nous y sommes néanmoins en quelque sorte, puisqu'on recueillant nos sens et nos pensées, nous faisons pour la quitter tout ce qui est en notre pouvoir. Que si ce recueillement est véritable, on n'a pas peine à le connaître, parce qu'il opère un certain effet que celui qui l'a éprouvé comprend mieux que je ne saurais vous le faire entendre. C'est que l'âme, dans ces moments favorables que Dieu lui donne, se trouvant libre et victorieuse, pénètre le néant des choses du monde, s'élève vers le ciel, et, à l'imitation de ceux qui se retranchent dans un fort pour se mettre à couvert des attaques de leurs ennemis, elle retire ses sens de ce qui est extérieur, et s'en éloigne de telle sorte, que, sans y faire réflexion, les yeux du corps se ferment d'eux-mêmes aux choses visibles, et ceux de l'esprit s'ouvrent et deviennent plus clairvoyants pour les invisibles. Aussi ceux qui marchent par ce chemin ont presque toujours les yeux fermés durant la prière ; ce qui est une coutume excellente et utile pour plusieurs choses. Car encore qu'il se faille faire d'abord quelque violence pour ne point regarder des objets sensibles, cela n'arrive qu'au commencement, parce que, quand on y est accoutumé, il faudrait se faire une plus grande violence pour les ouvrir qu'on n'en faisait auparavant pour les fermer. Il semble alors que l'âme comprend qu'elle se fortifie de plus en plus aux dépens du corps, et que le laissant seul et affaibli elle acquiert une nouvelle vigueur pour le combattre. Or, quoique d'abord on ne s'aperçoive pas de ce que je viens de dire, à cause que ce recueillement de l'âme a plusieurs degrés différents, et que celui-ci ne produit pas cet effet, toutefois, si ensuite des peines que le corps souffre au commencement en voulant résister à l'esprit sans comprendre qu'il se ruine lui-même en ne s'y assujettissant pas, nous nous faisons violence durant quelques jours et nous nous y accoutumons, nous connaîtrons clairement le profit que nous y aurons fait, puisque, aussitôt que nous commencerons à prier, nous verrons que, sans y rien contribuer de notre part, les abeilles viendront d’elles-mêmes à la ruche pour travailler à faire le miel, parce que notre Seigneur veut que, pour récompense de notre travail, notre volonté devienne de telle sorte la maîtresse de nos sens, qu'aussitôt qu'elle leur fait le moindre signe de se vouloir recueillir, ils lui obéissent et se recueillent avec elle. Que si après ils s'échappent, c'est toujours beaucoup qu'ils lui aient été soumis, puisqu'ils ne s'en vont alors que comme des esclaves qui sortent de la maison de leur maître, sans faire le mal qu'ils auraient pu faire, et que, quand la volonté les rappelle, ils reviennent plus vite qu'ils ne s'en étaient allés. Il arrive même que cela s'étant passé diverses fois de la sorte, Notre-Seigneur fait qu'ils s’arrêtent entièrement, sans plus empêcher l'âme d'entrer dans une contemplation parfaite. Tâchez, mes filles, de bien concevoir ce que j'ai dit ; et, bien qu'il paraisse assez obscur, ceux qui le pratiqueront le comprendront aisément. Ces âmes vont donc comme si elles voyageaient sur la mer, et puisqu'il nous importe tant de ne pas aller lentement, parlons un peu des moyens de nous accoutumer à bien marcher. Ceux qui travaillent à se recueillir courent moins de fortune de tomber, et le feu du divin amour s'attache plus promptement à leur âme, parce qu'elle en est si proche, que, pour peu que leur entendement le souflle, la moindre étincelle qui en rejaillit est capable de l'embraser entièrement, à cause qu'étant dégagée de toutes les choses extérieures, et se trouvant seule avec son Dieu, elle est toute préparée à s'allumer. Représentez-vous qu'il y a dans nous un palais si magnifique, que toute la matière en est d'or et de pierres précieuses, puisque, pour tout dire en un mot, il est digne de ce grand monarque qui l'habite. Songez que vous faites une partie de la beauté de ce palais ; car cela est vrai, puisque rien n'égale la beauté d'une âme enrichie de plusieurs vertus, qui, de même que des pierres précieuses, éclatent d'autant plus, qu'elles sont plus grandes. Et enfin imaginez-vous que le roi des rois est dans ce palais, qu'il daigne vous y recevoir, qu'il est assis sur un superbe trône, et que ce trône est votre cœur. Il vous semblera peut-être d'abord que cette comparaison, dont je me sers pour vous faire comprendre ceci, est extravagante ; mais elle pourra néanmoins vous être fort utile, parce que les femmes étant ignorantes, c'est un moyen propre pour vous faire voir qu'il y a dedans nous quelque chose d'incomparablement plus estimable que ce qui nous parait au dehors. Car ne vous imaginez pas qu'il n'y ait rien au dedans de nous. Et plût à Dieu qu'il n'y eut que les femmes qui manquassent à considérer ce qui est, puisque, si l'on avait soin de rappeler en sa mémoire le souvenir de ce divin hôte qui habite au milieu de nous, il serait impossible, à mon avis, de tant s'appliquer aux choses du monde qui frappent nos sens, voyant combien elles sont indignes d'être comparées à celles qui sont en nous-mêmes. Que pourrait faire davantage une bête brute, que de suivre l'impétuosité de ses sens, et de se jeter sur la proie qui lui plaît, afin de s'en rassasier ? Et n'y a-t-il donc point de différence entre les bêtes et nous ? Quelques-uns se moqueront peut-être de moi, et diront qu'il n'y a rien de plus évident ; et je veux bien qu'ils aient raison, quoique j'avoue qu'il m'a paru fort obscur durant quelque temps. Je comprenais assez que j'avais une âme. Mais les choses de la terre qui ne sont que vanité, me bouchant les yeux, je ne comprenais ni la dignité de cette âme, ni l'honneur que Dieu lui fait d'être au milieu d'elle. Car si j'eusse connu alors, comme je fais maintenant, qu'un si grand monarque habitait dans ce petit palais de mon âme, il me semble que je ne l'aurais pas si souvent laissé tout seul, et que quelquefois au moins je serais demeuré avec lui, et aurais pris plus de soin de nettoyer ce palais qui était rempli de tant d'ordures. Y a-t-il rien de si admirable que de penser que celui dont la grandeur pourrait remplir mille mondes, ne dédaigne pas de se retirer dans un petit espace, et que c'est ainsi qu'il voulut bien s'enfermer dans le sein de la très-sainte Vierge sa mère ? Comme il est le maître absolu et le souverain Seigneur de l'univers, il porte avec lui la liberté ; et comme il nous aime uniquement, il se proportionne à nous. Ainsi lorsqu'une âme commence d'entrer dans ces saintes voies, il ne se fait pas connaître à elle, de crainte qu'elle ne se trouble de voir qu'étant si petite elle doit contenir une chose qui est si grande, mais il l’étend et l'agrandit peu à peu, selon qu'il le juge nécessaire pour la rendre capable de recevoir toutes les grâces dont il veut la favoriser. C'est ce qui me fait dire qu'il porte avec lui la liberté ; et par ce mot de liberté j'entends le pouvoir qu'il a d'accroître et d'agrandir ce palais. Mais l'importance est de le lui donner avec une volonté pleine, déterminée, et sans réserve, afin qu'il puisse y mettre et en ôter tout ce qu'il lui plaira, comme lui appartenant absolument. C'est là ce que sa divine majesté désire de nous ; et, puisqu'il n'y a rien de plus raisonnable, pourrions-nous le lui refuser ? Il ne veut point forcer notre volonté, il reçoit ce qu'elle lui donne ; mais il ne se donne entièrement à nous que lorsque nous nous donnons entièrement à lui. Cela est certain et si important, que je ne saurais trop le répéter. Ce roi éternel n'agit pleinement dans notre âme que quand il la voit libre de tout et toute à lui. Pourrait-il en user autrement, puisqu'il aime parfaitement l'ordre, et qu'ainsi, si nous remplissions ce palais de petites gens tirées de la lie du peuple, et de toutes sortes de bagatelles, comment un si grand prince pourrait-il avec toute sa cour y venir loger ? Ne serait-ce pas beaucoup qu'il voulût seulement demeurer quelques moments au milieu de tant d'embarras ? Car pensez-vous, mes filles que ce roi de gloire vienne seul ? N'entendez-vous pas que son fils, après avoir dit Notre Père, ajoute aussitôt qui êtes dans les cieux ? Or ceux qui composent la cour d'un tel prince, n'ont garde de le laisser seul, ils l'accompagnent toujours, et le prient sans cesse en notre faveur, parce qu'ils sont pleins de charité. Ne vous imaginez pas que ce soit comme ici-bas, où lorsqu'un seigneur ou un prélat honore quelqu'un de sa bienveillance, soit qu'il en ait des raisons particulières, ou que son inclination seule l'y porte, on commence aussitôt d'envier et de haïr cette personne, quoiqu'elle n'en donne point de sujet, et ainsi sa faveur lui coûte cher. 

    http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/carmel/theresedavila/Oeuvres%20par%20titre/Fran%E7ais/7%20Le%20Chemin%20de%20la%20perfection.pdf